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civils. Nous traiterons séparément des attributions que la loi confère aux juges de paix dans l'une et l'autre de ces périodes.

SECTION I. Présomption d'absence.

I. Il y a présomption d'absence lorsqu'une personne a quitté son domicile, et que le temps fixé pour son retour est écoulé sans que l'on sache la cause de son retardement. La loi a dû s'occuper alors de ses intérêts pécuniaires et du sort de ses enfants: «S'il y a nécessité de pourvoir à l'administration de tout ou partie des biens laissés par une personne présumée absente, et qui n'a point de procureur fondé, il y sera statué, porte l'art. 112 du Code civil, par le tribunal de première instance, sur la demande des parties intéressées. »

D'après cet article, le tribunal peut charger un curateur de gérer les affaires de l'absent, pour lesquelles il y a urgence; mais les pouvoirs de ce curateur doivent être extrêmement limités. Ainsi, on ne devrait pas lui permettre, dit M. Toullier, de faire l'inventaire des papiers de l'absent: il suffit qu'un magistrat commis par le tribunal, lui remette ceux qui sont nécessaires à sa mission particulière.

II. « Le tribunal, à la requête de la partie la plus diligente, commettra un notaire pour représenter les présumés absents, dans les inventaires, comptes, partages et liquidations dans Fesquels ils seront intéressés. » (Art. 113.)

III. M. Bousquet, dans son traité des Fonctions des Juges de Paix, n° 331 et 332, pense que tous les intéressés ont le droit de faire apposer les scellés sur les meubles de l'absent présumé, et que le juge de paix peut même les apposer d'office. Il se fonde sur ce que, d'après l'esprit de l'art. 911, S2, du Code de Procédure, ce magistrat doit surveiller les intérêts des absents. « Il serait dangereux, dit-il, d'attendre l'envoi en possession provisoire (qui n'a lieu qu'après la déclaration. d'absence), pour mettre en usage les mesures conservatoires, lorsque les circonstances sont telles, que le mobilier de celui qui a disparu est à l'abandon,»

Cette opinion nous semble un peu hasardée.

"

D'abord, l'art. 911 ne se rapporte qu'au cas où le conjoint, ou un des héritiers du défunt, est absent, et cet article se trouve sous la rubrique de l'Apposition des scellés après décès. Ensuite, comme dit M. Toullier, la présomption d'absence n'est point suffisante pour autoriser la justice à pourvoir à l'administration des biens de l'absent, ni à se mêler de ses affaires. Personne n'oserait s'éloigner du lieu qu'il habite, s'il avait à craindre que, sous prétexte de veiller à ses inté

rêts, on pût pénétrer dans le secret de ses affaires, ou s'immiscer dans l'administration de ses biens. » C'est ce qui arriverait cependant par l'apposition des scellés; car, comme il serait impossible, à moins de faire des frais énormes et de laisser dépérir le mobilier, de maintenir les scellés jusqu'à l'envoi en possession provisoire des héritiers présomptifs, qui ne peut être ordonné que cinq ans au moins après la disparition, il faudrait bien procéder à un inventaire quelque temps après l'apposition, et l'on tomberait ainsi dans le grave inconvénient que signale M. Toullier.

Si, néanmoins, il y avait nécessité de prendre des mesures conservatoires pour tout ou partie du mobilier, les parties intéressées, ou même le procureur du roi (art. 114), pourraient s'adresser au tribunal, qui lear en donnerait l'autorisation. Mais l'apposition des scellés d'office, qui n'est justifiée par aucune disposition de la loi, nous paraît tout-à-fait contraire à son esprit.

IV. Il n'en serait pas de même, à notre avis, du cas où s'ouvre une succession à laquelle un absent est appelé. Cependant l'opinion contraire a été sanctionnée par plusieurs · arrêts, l'un, de la cour d'appel de Paris, du 27 mars 1808; l'autre, de celle de Bruxelles, du 2 juillet 1808; le troisième, de la cour de Rennes, du 9 avril 1810; les autres, des cours de Colmar, 24 décembre 1816, et de Toulouse, 1er mai 1823. Le motif de toutes ces décisions est que la loi n'a prescrit aucune mesure pour la conservation des droits réservés à un absent, dans une succession ouverte depuis sa disparition.

Il est vrai qu'aux termes de l'art. 136 du Code civil, s'il s'ouvre une succession à laquelle soit appelé un individu dont l'existence n'est pas reconnue, elle sera dévolue exclusivement à ceux avec lesquels il aurait eu le droit de concourir, ou à ceux qui l'auraient recueillie à son défaut.

Il est vrai que l'article suivant, qui réserve à l'absent l'action en pétition d'hérédité et tous les autres droits qui peuvent lui compéter, ne prescrit aucune mesure conservatoire dans son intérêt.

Mais qui veut la fin veut les moyens. Or, à quoi servirait l'action en pétition d'hérédité, accordée à l'absent après son retour, si rien ne constatait la valeur de la succession, qui pouvait être toute mobilière ?

L'ancienne jurisprudence n'accordait la dévolution aux héritiers présents, qu'à la charge de faire inventaire et de donnercaution. (Duparc-Poullain, Principes du Droit, t. 11. p. 46.)

Cette mesure sage, dit Toullier, est aussi dans l'esprit du Code. Il donne aux enfants naturels la totalité des biens de

leurs père et inère, lorsqu'à l'ouverture de la succession il ne se présente pas de parents au degré successible (art. 758); mais il les oblige à faire apposer les scellés, à faire faire inventaire, et même à faire emploi du mobilier ou à donner caution pour en assurer la restitution, en cas qu'il se présente des héritiers. (Art. 771.)

» Il impose les mêmes obligations à l'époux survivant, à qui la succession est aussi dévolue, s'il ne se présente ni parents au degré successible, ni enfants naturels.

» Enfin l'administration des domaines même, à qui la succession est dévolue par déshérence, est obligée, sous peine de dommages et intérêts envers les héritiers, s'il s'en présente, de faire mettre les scellés et de faire faire inventaire.

» Pourquoi donc les héritiers présents, qui s'emparent d'une succession, à l'exclusion de l'absent présumé, en vertu d'une dévolution qui n'est que provisoire, telle que celle qui est faite en faveur des enfants naturels, de l'époux survivant et de l'état, seraient-ils seuls dispensés de toute mesure conservatoire ? »

Nous ajouterons que, même après le jugement qui déclare l'absence, ceux qui ont obtenu l'envoi en possession provisoire des biens de l'absent, doivent faire procéder à l'inventaire du mobilier et des titres. Or, une succession échue à l'absent fait essentiellement partie de ses biens, s'il reparaît. Eadem ratio, idem jus.

Est-il bien vrai de dire, enfin, que le législateur n'a prescrit aucune mesure pour la conservation des droits qui peuvent s'ouvrir en faveur d'un absent?

L'art. 911 du Code de Procédure porte, S 2: « Le scellé sera apposé, soit à la diligence du ministère public, soit sur la déclaration du maire ou adjoint de la commune, et même d'office par le juge de paix, si le conjoint, ou si les héritiers ou l'un d'eux sont absents. >>

Il nous semble que cet article a un rapport direct avec la difficulté qui nous occupe. Ici un des héritiers est absent; donc les scellés doivent être apposés même d'office.

Vainement objecterait-on que, par le mot absent, le législateur a voulu désigner seulement la non-présence dans le lieu où la succession est ouverte. Nous répondrons, d'abord, que la loi ne regarde point comme absent l'individu dont on a des nouvelles, quoiqu'il soit actuellement éloigné de son domicile ou du lieu où sa présence serait nécessaire. L'art. 840 du Code civil, en effet, distingue les absents des non-présents, et indique ainsi la véritable signification du premier de ces

mots.

.

En quel sens doit-on entendre le mɔt absent, dans l'art 9112 demande M. Carré.

On doit le prendre dans les deux sens, répond-il: absent du lieu, quoique existant, absent présumé ou déclaré, suivant les dispositions du Code civil, lorsque, dans ce dernier cas, la succession est échue avant l'absence.

M. Pigeau professe la même doctrine.

Nous ne saurions admettre cette distinction, qui prend sa base dans une application fausse, selon nous, de l'art 136 du Code civil. Celui dont l'existence n'est pas reconnue, dit-on, n'est point héritier, puisque sa portion est dévolue à ceux avec qui il aurait eu le droit de concourir. Or, puisqu'il n'est pas héritier, ce n'est pas de lui qu'a parlé le législateur dans l'art. 911, sous la dénomination d'héritier absent.

Sans doute l'absent n'est pas héritier hic et nunc, car on ne peut être héritier qu'autant qu'on existe et qu'on accepte l'héritage; mais il est impossible de lui contester au moins la qualité d'héritier éventuel, en présence de la disposition de l'art. 137, qui lui réserve son action en pétition d'hérédité. Or cette éventualité ne doit-elle pas suffire pour nécessiter un acte de précaution, qui, sans blesser les intérêts de l'héritier présent, tend à conserver les droits non moins sacrés d'un cohéritier dont le retour est au moins présumable ?

Au reste, cette grave question s'est présentée devant la cour royale de Riom, et voici comment un de nos plus savants jurisconsultes, M. Grenier, alors procureur-général, a motivé son opinion, qui a été sanctionnée par arrêt du 20 mars 1816.

Les cohéritiers de l'absent disaient: D'après les art. 725 et 775 du Code civil, deux conditions sont indispensables pour que l'on puisse concourir au partage d'une succession; la certitude de l'existence du prétendu successible, au moment où elle s'est ouverte, et sa volonté de se porter héritier. Jusqu'à l'accomplissement de ces deux conditions, les présomptions et la plénitude des droits sont pour les successibles qui se présentent, Sous aucun rapport l'hérédité ne peut rester incertaine. On ne trouve ni au titre des successions, ni à celui des absents, aucune disposition par laquelle soient prescrites des formalités pour la conservation des droits des successibles qui ne paraissent pas à la première adition. La loi leur réserve seulement l'action ordinaire en pétition d'hérédité, s'ils se présentent en temps utile; mais il n'est pas permis de créer, dans le silence de la loi, une mesure qui nécessiterait des frais non autorisés.

M. Grenier a répondu :

<«< Il ne s'agit pas de statuer sur la dévolution des droits successifs qui se sont ouverts après la disparition de Maurice Rougier; mais seulement de prendre des mesures conservatoires pour le cas de son retour. Ses intérêts étant placés sous la surveillance immédiate des magistrats, ils doivent prendre, pour les lui garantir, toutes les précautions qui sont indiquées par la loi, et qui ne portent aucune atteinte aux droits des tiers. Les art. 135 et 136, en déterminant le sort actuel des droits héréditaires qui s'ouvrent dans l'absence d'un successible, n'excluent pas les mesures propres à assurer le plein exercice de ses droits à venir. Il faut s'attacher surtout à l'économie de la loi considérée dans son ensemble, et se bien pénétrer de la latitude qu'elle laisse aux tribunaux dans l'intérêt des absents. Le chapitre 1, relatif à la présomption d'absence, embrasse dans ses dispositions et confie à la surveillance des tribunaux tout ce qui peut intéresser les absents présumés. L'art. 113 étant général, on ne saurait y sous-entendre une disposition qui n'y est point écrite. Pour appliquer la disposition de cet article à Maurice Rougier, il suffit qu'il soit intéressé au partage; et on ne peut pas dire qu'il ne le soit pas, sous le prétexte que l'art. 136 appelle les autres successibles à son exclusion. A la vérité il ne prend point actuellement part à la succession, parce que son existence n'est pas certaine; mais on ne peut pas pour cela le considérer comme mort, et par suite comme exclu définitivement. C'est précisément de cet état d'incertitude et de doute que dérivent les droits de garantie que le ministère public doit réclamer pour lui. L'art. 137 lui réserve l'action en pétition d'hérédité. Il faut donc prendre des précautions pour qu'il puisse un jour exercer utilement cette action; il est donc essentiel, pour les intérêts de tous, qu'il soit procédé à l'inventaire du mobilier et des titres, seul moyen d'éviter toute discussion ultérieure. Telle est la disposition expresse de l'art. 126, pour le cas d'envoi en possession après la déclaration d'absence; et l'ɔn ne saurait trouver de motif suffisant pour se dispenser de prendre, en faveur de l'absent présumé, des sûretés qui sont rigoureusement commandées dans l'intérêt des absents declarés. »

Il est difficile de ne pas se rendre à une dialectique aussi pressante. Cependant, comme les cours royales sont divisées sur cette question, le doute est permis. Faisons des vœux pour que la cour régulatrice soit bientôt appelée à fixer la jurisprudence.

V. Quand c'est la femme qui a disparu, il ne s'opère aucun

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