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La rigueur de cette disposition avait pour but de préserver l'industrie du fléau de l'agiotage. Cependant, cette prohibition, contraire au principe de propriété reconnu dans la personne des inventeurs, leur enlevait souvent d'utiles ressources, de vrais moyens de fortune. Aussi, fut-elle levée par un décret du 25 novembre 1806, qui abroge la disposition de l'art. 14 en ce qui concerne la défense d'exploiter un brevet par actions. Ceux qui veulent exploiter leur titre de cette manière sont tenus, aux termes de ce décret, de se pourvoir de l'autorisation du gouvernement.

Mais, quelle que soit la facilité avec laquelle un inventeur puisse disposer et user de son brevet, la loi considérant ce titre comme constituant une propriété mobilière, l'a soumis, comme toutes les propriétés de cette nature, à une contribution spéciale qui, dans le réglement des revenus de l'Etat, est regardée comme faisant partie de la contribution des patentes. Ainsi l'art. 5, tit. 2, de la loi du 25 mai 1791, dispose que toute personne pourvue d'un brevet d'invention sera tenue d'acquitter, en sus de la taxe dudit brevet, la taxe des patentes annuelles imposée à toutes les professions d'arts et métiers.

Cependant, si un breveté négligeait de payer régulièrement la taxe de cette patente, ou s'il ne s'était point encore muni de la patente au moment où il a mis son brevet en exercice, nous ne pensons pas qu'un contrefacteur qu'il poursuivrait pourrait lui opposer en défense le défaut de paiement de la taxe. Nous nous fondons sur ce que les patentes ayant été établies dans l'intérêt du fisc, le fisc seul a droit de sévir contre les individus qui n'ont pas acquitté leur patente annuelle. A cet égard, les tiers sont sans qualité; peu doit leur importer que le breveté ait ou n'ait pas acquitté cet impôt.

Quant au mode à suivre pour la cession d'un brevet, la loi du 25 mai en a posé les règles dans l'art. 15 du tit. 2, ainsi conçu : « Lorsque le propriétaire d'un brevet aura cédé son droit en tout ou en partie (ce qu'il ne pourra faire que par un acte notarié), les deux parties contractantes sont tenues, à peine de nullité, de faire enregistrer ce transport au secrétariat de leurs départements respectifs, lesquels en informeront aussitôt le directoire des brevets d'invention, afin que celuic en instruise les autres départements.

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Il est inutile de faire remarquer ici que le cédant et le cessionnaire ne sont tenus de faire enregistrer l'acte de cession, chacun de leur côté, au secrétariat de leur département, qu'autant qu'ils demeurent dans des départements différents; mais, lorsqu'ils habitent tous deux dans le même, l'enregistrement fait par l'un dispense l'autre de le faire; et, dans ce

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cas, un tiers ne pourrait pas opposer le défaut de l'enregistrement à celui des deux qui ne se scrait pas soumis à cette formalité, lorsque ce dernier pourrait justifier que l'enregistrement a eu lieu, à la diligence de son cédant ou de son cessionnaire.

La loi a voulu seulement que le secrétariat de la préfecture du département où demeurent les deux parties contractantes fût averti de la cession. Or, il l'est suffisamment par l'enregistrement auquel aura fait procéder l'un des contractants.

Mais, lorsqu'ils ont leur domicile dans deux départements différents, ils sont tenus, à peine de nullité, de faire enregistrer la cession au secrétariat de leurs départements respectifs; les tiers poursuivis pourraient avec raison se prévaloir du défaut d'accomplissement de cette formalité, soit que ces tiers demeurassent dans le département où l'enregistrement aura eu lieu, soit qu'ils demeurassent dans un autre où il n'aura point été fait, soit que les poursuites fussent exercées par celui des contractants qui aurait soumis la cession à l'enregistrement, soit qu'elles le fussent par celui qui n'aurait pas rempli la formalité, la loi ne distinguant pas, et imposant aux deux parties contractantes l'obligation de faire enregistrer leur transport au secrétariat de leurs départements respectifs, et ce, à peine de nullité.

L'art. 1o du tit. 2 de la loi du 25 mai, en déterminant les formes à suivre par l'inventeur qui veut se faire délivrer un brevet, est conçu dans des termes tels qu'ils ne permettent pas de penser que la loi ait entendu faire, de la qualité des personnes, une cause d'admission ou d'exclusion quant à la faculté de prendre ce brevet. Il faut en induire que, quelle que soit cette qualité, et pourvu qu'elle ne soit pas, par une disposition spéciale, placée hors des règles du droit commun, il est loisible à tous de demander un brevet d'invention.

Ainsi un étranger peut le requérir aussi justement qu'un régnicole; sa position d'étranger ne saurait le priver du bénéfice des droits reconnus et attribués à l'inventeur. Il peut, dès lors, prétendre à la garantie d'une jouissance privative sur les produits de son travail.

Aux termes de nos lois, l'étranger étant admis à acquérir, à posséder, à jouir, à transmettre ses biens en France, de même qu'un Français, peut, par suite des mêmes dispositions, valablement exploiter un brevet auquel la loi attache le titre de propriété mobilière. Ses droits, à cet égard, seront ceux de l'inventeur comme lui, il pourra fabriquer et vendre exclusivement et privativement; comme lui, il pourra

poursuivre ses contrefacteurs devant toutes les juridictions. compétentes.

Cependant, l'étranger demandeur et poursuivant en contrefaçon sera-t-il tenu de la caution judicatum solvi? Il est à remarquer que la loi ne soumet à cette obligation que l'étranger demandeur dans une instance autre qu'une instance commerciale. De là, la question première, qu'il convient d'examiner, si l'exercice d'un brevet d'invention, en d'autres termes, une poursuite afin de faire constater et punir une contrefaçon constitue une instance civile ou une instance commerciale.

si.

On pourrait considérer l'exercice d'un brevet d'invention comme constituant une opération commerciale, par suite de cette disposition de la loi (art. 5, tit. 2, loi du 25 mai) qui oblige le breveté à payer la taxe des patentes annuelles imposées à toutes les professions d'arts et métiers. En effet, le breveté qui vend un procédé, fait nécessairement un acte de commerce, puisqu'il livre au consommateur, en échange d'un prix convenu, une matière première qu'il a travaillée, confectionnée, à laquelle il a donné un usage spécial, pour la vendre et en tirer un prix. Là, se retrouvent les caractères auxquels la loi reconnaît un acte de commerce. Nul doute, alors, que si un étranger, breveté d'invention en France, engage le premier une instance contre un consommateur auquel il aura livré son invention, nul doute qu'alors il ne doive être dispensé de la caution judicatum solvi, parce que ce débat sera purement commercial.

Mais doit-on considérer comme tel une poursuite en contrefaçon ? Nous ne le pensons pas. Ici, en effet, il ne s'agit plus d'un acte d'échange, de négoce, de commerce. Il s'agit d'une action toute spéciale, et qui, par la nature de son objet, de même que par la juridiction qui doit s'en trouver saisie, sort entièrement de la compétence commerciale.

Le breveté qui poursuit un contrefacteur se plaint d'une lésion de ses droits privatifs, d'un trouble porté à sa jouissance exclusive, d'une attaque à sa propriété. Il n'y a point, au fond de cette contestation, un intérêt commercial; il n'y a qu'un intérêt civil. Dès lors, ce nous semble, l'inventeur étranger, préalablement à toutes poursuites, est tenu de la garantie des frais du procès, suivant les dispositions des art. 16 du Code civil, 166 et 167 du Code de Procédure.

Un individu frappé de mort civile pourrait-il valablement se faire breveter d'invention? La question est délicate, si l'on réfléchit sur la sévérité avec laquelle la loi statue à l'égard des morts civilement. Ils perdent la propriété de tous les biens qu'ils, possédaient. Leur succession est ouverte au profit de

leurs héritiers; ils ne peuvent plus ni recueillir aucune succession, ni transmettre à ce titre les biens qu'ils ont acquis par la suite. Ils ne peuvent ni disposer de leurs biens en tout ou en partie, soit par donation entre vifs, soit par testament, ni recevoir à ce titre si ce n'est pour cause d'aliments, etc. (art. 25, Code civil.)

Cependant, la nature et l'origine des droits de l'inventeur sont telles qu'il semble qu'elles ne puissent être attaquées par des dispositions pénales qui, d'ailleurs, n'ôtent pas au mort civil la faculté de recueillir les fruits de son travail. La loi ne règle que la propriété de ses biens, au moment de la mort civile encourue. Elle les fait passer à ses héritiers légitimes. Elle lui interdit la faculté de recueillir par voie de succession, et de transmettre, par acte entre vifs ou testamentaire, ceux qu'il aurait acquis par la suite. Il pourrait donc encore en recueillir la loi le reconnaît implicitement. Ces dispositions contre le mort civil sont, de plus, des dispositions rigoureuses qui, en droit, doivent toujours être restreintes dans le cercle tracé par la loi; on ne saurait les étendre sans s'exposer à violer les droits de l'humanité.

Les droits de l'inventeur sont des droits naturels fondés sur le respect dû à la propriété du travail. A ce titre, ils peuvent appartenir à quiconque a un intérêt à les réclamer; et s'il arrive qu'un homme frappé de mort civile vienne à découvrir et à mettre à exécution une de ces idées de génie qui attestent la puissance de son travail et la nouveauté, ainsi qué l'utilité de sa découverte, il y aurait une grave injustice à le priver des avantages que la loi a voulu consacrer au profit de l'inventeur d'un procédé industriel.

Mais si, après avoir obtenu un brevet d'invention, le mort civil qui en fait usage est obligé de diriger une action judiciaire, il ne pourra le faire en son nom. La loi l'a déclaré déchu du bénéfice de réclamer la justice de la société. Il ne pourra l'invoquer qu'en observant les règles tracées par le sixième paragraphe de l'art. 25 du Code civil, c'est-à-dire que sous le nom et par le ministère d'un curateur spécial qui lui est nommé par le tribunal où l'action est portée.

Par des raisons d'une nature différente, nous sommes porté à penser qu'un failli ne pourrait se faire breveter d'invention. S'il n'est pas exclu de la société, il est, dès l'instant de l'ouverture de sa faillite, dessaisi de l'administration de tous ses biens. Tout ce qu'il possède devient le gage de ses créanciers, de même que tout ce qui lui serait transmis à quelque titre que ce soit, durant l'état de sa faillite. Le failli ne possède plus

rien, ne peut plus rien posséder tant que la masse de ses créanciers est saisie de tous ses droits.

Comment, dès-lors, lui serait-il possible de se faire délivrer un titre de jouissance privative, lui qui n'aurait pas en propre la somme nécessaire pour acquitter les droits de délivrance du brevet ? Il ne pourrait, d'ailleurs, recueillir les bénéfices du procédé breveté, puisque la loi l'a déchu de la gestion de ce qui peut lui appartenir. Cet état, du reste, n'étant jamais que transitoire, le failli, inventeur d'une découverte importante, ne saurait éprouver un grand préjudice de ce qui n'est qu'un retard apporté à l'exploitation de sa décou

verte.

C'est par les mêmes raisons qu'un inventeur déjà breveté, et qui tombe en faillite, ne peut plus continuer l'exploitation de son brevet. Ce brevet devient la garantie de ses créanciers, qui, substitués alors à tous ses droits et ayant un intérêt à ne pas interrompre l'exploitation, peuvent la continuer au nom de la masse, et affecter à l'augmentation de l'actif les bénéfices qu'elle peut produire.

Il n'est pas essentiellement nécessaire d'être l'inventeur même, pour pouvoir prendre un brevet valable. En effet, celui qui a découvert un procédé nouveau a pu, avant de le mettre à exécution, céder son droit à un tiers dans une position plus avantageuse que lui pour en tirer parti. Le contrat qui serait ainsi intervenu ne détruirait pas le mérite de nouveauté de l'invention, et celui qui se serait rendu acquéreur de ce procédé pourrait, à ce titre, se faire délivrer un brevet, pourvu que jusqu'à ce moment la découverte n'eût pas encore été rendue publique.

La cession qui aurait lieu, dans ce cas, étant un acte purement privé, ne serait pas soumise aux formtaliés que nous avons examinées ci-dessus en parlant de l'art. 15, tit. 2, de la loi du 25 mai 1791.

En effet, dans ce dernier cas, la loi parle d'une cession partielle ou totale des droits résultant d'un brevet d'invention, et, dans le cas qui nous occupe, c'est un acte purement civil et privé qui règle les conditions d'un marché licite, mais antérieur à la divulgation du procédé par les voies qu'il faut suivre pour obtenir un brevet d'invention. Dans ce dernier cas, ce sont deux hommes qui stipulent sur une chose connue d'eux seuls, et antérieurement à la délivrance et à l'existence même du brevet.

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