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guerre qui paroiffoit inévitable: mes ordres étoient de poursuivre mon voyage jusqu'à Berlin, fi je ne pouvois faire aucunes conditions avantageufes avec fon alteffe.

Avant de quitter l'affemblée, je priai ces melfieurs de me continuer leur eftime & leur confiance en cas que mon voyage fût sans succès; leur réponse fut un nouvel encouragement. pour moi.

En revenant à Amsterdam, je reçus une lettre du prince Frédéric, qui me caufa autant de furprife que de joie. Son alteffe défiroit que je vinffe à Berlin faire une nouvelle tentative auprès de fa majesté. Me voilà donc à peu près le même jour envoyé par mes concitoyens, & demandé directement à Berlin , pour négocier enfin un accommodement entre le parti patriotique & la maifon d'Orange. Quelque honorable que fût cette commiffion, je ne me déguifois pas qu'elle étoit auffi délicate que pénible. Si j'avois pour moi la liberté d'agir au nom des États de Hollande l'influence d'un

prince chéri auprès du Roi de Pruffe & du duc régnant, j'avois à combattre les opinions du cabinet de Berlin, les brigues de l'Angleterre, qui ne tendoient qu'à attifer le feu de las guerre, & fur-tout M. de Hertzberg, ennemi dėclaré de la république, auteur principal des. démarches hoftiles de fa cour. Mais fuivons notre correfpondance.

LETTRE

De Monfeigneur le Prince Frédéric.

MON

ON AMI,

A Berlin, ce 4 septembre 1787.

Les temps font un peu changés depuis ma dernière mais je fuis convaincu que les fentimens élevés de ceux qui vous occafionnent quelques troubles à préfent, foufcriront volontiers à des accommodemens qui correfpondent à leurs vues généreufes, dès qu'ils ne font pas contraires à la dignité qu'ils doivent foutenir à la face d'un public, qui malheureusement ne juge pas toujours avec impartialité, & qui par cet aveuglement, ne peut difcerner la fauffe grandeur de la véritable. Il taxe pour cet effetla générofité d'ame, de foibleffe & de caprice; l'orgueil & l'efprit vindicatif, de fermeté, de grandeur, & de courage. Je crois donc qu'il y auroit un jufte milieu à trouver: mais il y a une infinité de chofes qu'on ne peut pas fe dire dans ce moment par écrit, crainte que la lettre ne fe perde. Si vous pouviez venir ici chargé de faire des propofitions qui tendiffent au but bienfaisant que nous nous propofons, peut-être vous pourriez me mettre plus à portées

de les rendre fructueufes par la manière de les préfenter au fouverain, dont vous avez le bonheur d'être connu. Vous jugerez combien cette miffion me seroit agréable, d'après les fentimens que vous avez fu m'infpirer quand j'ai eu le bonheur de faire votre connoiffance, & combien mon cœur s'épanchera en contentement, quand il fe convaincra que par votre ministère l'on réuffit de faire le bien public. Quelle gloire pour vous de devenir le fauveur de la Hollande quelle fatisfaction pour moi de vous en avoir fourni les moyens ! N'hésitez pas, je vous prie, & perfuadez-vous de plus en plus qu'on ne fauroit être avec plus d'amitié & une eftime plus parfaite, votre très-dévoué ami, Frédéric Augufte.

Je manque d'expreffions pour peindre les fentimens divers dont mon ame étoit rem-. plie. Je doute qu'aucun mortel fe foit trouvé dans des circonftances auffi fingulières, auffi étonnantes la fuite va les rendre plus extraor→ dinaires encore.

RÉPON SE

A la Lettre précédente.

MONSEIGNEUR,

Je fuis au comble de la joie, puisque je touche à l'heureux moment de mettre à vos

pieds ma reconnoiffance & mon attachement. Vous défirez que je vienne à Berlin plaider la caufe de la patrie: eh bien, mon heureufe étoile a voulu que tandis que Votre Alteffe me traçoit fes ordres, j'en reçuffe de pareils à la Haye. Quelle fatisfaction, fi de ces heureux rapports, i en réfultoit tout le fuccès que nous espérons depuis fi long-temps, & pour lequel nous avons déjà tant écrit, & tant fait d'efforts!

Pourquoi l'être fuprême n'a-t-il pas mis dans le cœur de tous les princes cette douce philantropie, ce défintéreffement & cette grandeur d'ame qu'il a placés dans celui de Votre Alteffe? c'eft fans doute pour offrir à l'univers des modèles d'autant plus précieux qu'ils font plus rares: c'eft fans doute auffi pour montrer au commun des hommes, que les princes ne font pas moins par leur nature foibles & fufceptibles d'erreur; fur-tout que la vertu ne tient point à la naiffance.

Il en eft des miniftres comme des princes: c'eft un grand malheur pour les nations quand ils méconnoiffent leurs devoirs. Ils peuvent par une politique vicieufe, & fouvent par corruption, abuser les fouverains, & caufer des maux irréparables à leurs fujets.

En politique comme en morale, je fuis fier de penser comme Votre Alteffe. Quant à la politique, malgré l'énorme quantité de fentiers. qui aboutiffent à la grande route des intérêts

des nations, je ne connois qu'une feule marche, elle eft la plus courte & la plus avantatageufe; c'eft celle de bien connoître jufqu'où s'étendent les droits & les devoirs réciproques des fouverains & des peuples, & d'aller directement à cette connoiffance. Il importe fur-tout, dans les divifions d'un état quelconque, de bien diftinguer fi dans la multitude des agens d'une feule & même cause, il n'en eft pas qui voilent leur intérêt particulier, leur amour propre enfin fous celui de l'intérêt public & du défintéreffement. Si l'on ajoute à ces considérations l'influence que ces agens peuvent avoir fur la plupart des citoyens qui leur font dévoués, & qui n'agiffent que machinalement dans ce qu'on appelle les délégations, les volontés du peuple, l'on fentira d'après un tel examen, combien il eft effentiel d'être très-fcrupuleux dans fes jugemens fur les véritables intérêts des nations, & fur les véritables motifs qui dirigent ces agens confervateurs ou réformateurs. Nulle part ces examens doivent être plus difficiles, que dans ces provinces où la conftitution eft un vrai labyrinthe. Enfin je crois, qu'avant de réformer il faut pacifier; car la réforme exige des délibérations pacifiques, une convention réciproque de concourir au même but; autrement, tout devient confufion & défordre, & le remède dont on vouloit fe fervir, produit alors un effet pire que le mal même.

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