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PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.

Le droit public est le système des règles qui regardent l'ordre général du gouvernement et de la police d'un état. Ces règles sont nécessairement fondées sur les besoins de la nation prise en masse ; et ces besoins, recevant l'impression morale de chaque siècle, fournissent au législateur et au philosophe de nombreux sujets de méditation. Dans cette infinité de lois concernant l'ordre public, que l'on nomme arbitraires, en ce qu'elles émanent de la volonté de l'homme, la même autorité qui les a établies peut les changer et les abolir. Les préceptes de la nature sont seuls immuables; essentiels à l'ordre de la société, ils sont connus saus être promulgués; ils consistent dans le discernement du bien et du mal: on peut dire qu'ils naissent avec nous.

En France, avec notre gouvernement représentatif, tous les citoyens sont appelés à la confection des lois. Les uns y prennent une part directe, tels sont le roi et les membres des deux chambres; les autres tiennent indirectement la balance politique par la voie d'élection et de pétition. Cette association de tout un peuple est plus qu'un droit qu'il exerce, c'est un devoir qu'il remplit.

La fidélité aux institutions du pays ne consiste pas seulement dans une obéissance absolue; respectons les lois tant qu'elles sont en vigueur, mais sachons avec courage, chacun selon ses facultés politiques, en demander le redressement ou l'abrogation, si elles répugnent à nos mœurs, si elles ne sont pas conformes à l'intérêt national.

Mais, pour soutenir constitutionnellement notre édifice social, nous ne devons pas examiner légèrement les lois qui nous régissent; nous ne saurions trop les approfondir et nous pénétrer de leur véritable esprit. L'indifférence en matière politique est un délit moral. Ceux qui le commettent perdent volontairement la plus belle prérogative du citoyen.

Quand le traité du droit public de Domat parut pour la première fois, la France était encore sous le régime du bon plaisir. Les principes développés par cet habile jurisconsulte, n'avaient pas, pour le corps entier de la nation, ce charme d'utilité si bien senti de nos jours. Ce livre n'était fait en apparence que pour quelques classes privilégiées. Il semblait que les magistrats et les membres du barreau dussent seuls profiter des généreux travaux de Domat. Mais lorsque la France régénérée, proclama l'égalité

devant la loi, la liberté individuelle, la tolérance religieuse, l'émancipation de la presse, l'admissibilité de tous les citoyens aux emplois civils et militaires, l'inviolabilité de la propriété, l'égale répartition des impôts, etc., elle voulut remonter à la source de ses lois, de ses usages, et, demandant à l'histoire les leçons de l'expérience, elle consulta les monumens anciens, et profita de la lumière de quelque part qu'elle vînt.

Parmi ceux qui avaient écrit sur le droit public, nul n'avait mieux compris que Domat les besoins de la société. Il avait tracé les règles naturelles qui sont l'objet de l'entendement et font la véritable science des lois. Les règles arbitraires, qui sont l'objet de la mémoire, n'étaient que l'accessoire de son travail, et ne se trouvaient citées par lui que comme application de ses principes.

La plupart des bases qu'il adopta n'étaient posées ni dans le droit romain, ni ailleurs. Il les tira de la loi divine, guide infaillible de justice et d'équité. Ces immenses recherches ne furent pas perdues pour nous, au jour de la restauration de nos lois. Nous ne pouvions puiser à des sources plus pures. La république, l'empire, le gouvernement royal, vinrent tour-à-tour emprunter à Domat les plus belles pages de son traité du droit public. Son livre est maintenant le patrimoine de la France, nous recueillons sa succession, nous devons vérifier les richesses qu'il nous a léguées, et dresser un inventaire exact et fidèle des acquisitions que nous avons faites, pour en reporter l'honneur et la gloire à l'auteur de nos institutions constitutionnelles.

Tel est le but que nous nous sommes proposé en ajoutant au texte de Domat la conférence des lois nouvelles et de la jurisprudence.

On verra comment il comprenait les droits et les devoirs de ceux qui ont le gouvernement souverain, l'usage des forces nécessaires pour maintenir la tranquillité publique et pour défendre l'état contre les ennemis extérieurs. On retrouvera dans sa distinction entre la puissance spirituelle et la puissance temporelle, ces maximes de droit naturel qu'il tira des saintes Écritures pour prouver que le gouvernement civil ne doit pas être l'esclave du clergé; que si les princes temporels doivent être soumis aux puissances spirituelles en ce qui regarde le spirituel, les ministres de l'église doivent être aussi de leur part soumis à l'autorité des princes en ce qui regarde le temporel.

A cette occasion, nous avons inséré la déclaration de 1682, l'édit de Louis XIV de la même année, la loi organique de l'an 10, et enfin le décret du 25 février 1810, confirmatif de la déclaration et de l'édit de mars 1682. Nous n'avons pas négligé de transcrire les ordonnances du 16 juin 1828, conséquences des anciennes lois toujours en vigueur. Malgré leurs imperfections,

ces ordonnances n'en resteront pas moins comme un monument de notre droit public et comme une consécration de ces anciens principes, que certains esprits ambitieux voudraient anéantir en plaçant l'autel sur le trône. Mais quelques efforts qu'ils fassent pour troubler la paix publique, ils ne pourront y parvenir. La loi divine et la raison humaine ne leur accordent que la mission des Apôtres, c'est-à-dire l'autorité sur le spirituel et l'obéissance aux princes. Avec une volonté ferme et la confiance de la nation, un gouvernement sera toujours assez fort pour faire respecter ses droits.

Pour avoir cette volonté et inspirer cette confiance, il faut que le choix du prince, à l'égard des hauts fonctionnaires, ne tombe que sur des hommes amis des libertés publiques. C'est ainsi qu'on voit fleurir le commerce et l'industrie, c'est ainsi qu'on voit s'établir l'ordre dans les finances, et que les impôts sout acquittés saus murmure parce qu'ils ont été réclamés légalement.

On consultera toujours avec fruit les OEuvres de Domat sur l'ordre des finances, sur la police générale des choses qui sont à l'usage du public, sur celle des arts, du commerce, des hôpitaux, des universités et des diverses branches de l'administration publique.

A ces matières nous avons appliqué la législation et la jurisprudence ancienne et nouvelle. Nous regrettons de ne pouvoir y ajouter les lois communale et départementale, si long-temps promises à la France, et dont nous avons vu les projets offerts à nos legislateurs, mais retirés avant la discussion. Il n'est pas éloigné le jour où, dans des proportions plus larges, ces lois nous seront rendues. Notre espérance ne sera pas déçue, le temps est gros de l'avenir.

Confians dans la loyauté et l'intégrité de la magistrature, nous attendons avec calme le complément nécessaire de nos institutions. Fidèle à ces anciennes doctrines, si clairement définies par Domat, l'ordre judiciaire est l'orgueil de la France. Toutes les lois qui se rattachent à son organisation actuelle, à ses franchises, ont été recueillies par nous avec une attention scrupulense. Remontant à l'origine de la cour de cassation, des cours royales, des tribunaux inférieurs, du ministère public, nous avons observé la magistrature dans toute la carrière qu'elle a parcourue. Nous avons aussi inséré dans ce travail toute la législation et la jurisprudence sur les notaires, les avoués, les huissiers, et tous les auxiliaires de la justice. Nous n'avons rien omis sur ce qui concerne l'ordre des avocats, que l'ordonnance de 1822 a pu dépouiller de quelques-unes de ses prérogatives, sans lui ôter ce noble désintéressement et cette indépendance d'esprit qui forment son plus bel apanage.

Dans la justice administrative, nous avons suivi pas à pas le

conseil d'état et la cour des comptes. Nous avons aussi consigné la loi du 28 pluviose an 8, qui concerne l'administration et la division générale du royaume par départemens et par arrondissemens communaux, à laquelle se trouvent appliquées toutes les dispositions législatives et réglementaires, ainsi que les décisions qui s'y rapportent. C'est surtout à cette partie de la distribution du pouvoir que de graves réformes sont à faire.

Faut-il dire maintenant, qu'à l'exemple de Domat, lorsque nous ne trouvons pas de règles certaines, ou lorsque nous voulons corroborer ces règles, nous ne craignons pas de nous servir de l'autorité des publicistes? Parmi les anciens, nous avons appelé à notre secours Montesquieu, Filangieri, Burlamaqui, Blackstone, Puffendorf, Mayer; et parmi les modernes, MM. de Châteaubriand, Benjamin Constant, Henrion de Pensey, Devaux du Cher. Dans un ouvrage destiné à être utile, nous ne pouvions mieux choisir que les opinions de ceux qui ont consacré leur existence à donner un noble essor à l'esprit humain.

Nous osons done affirmer que l'ouvrage de Domat, appuyé par tant d'hommes célèbres, accompagné des lois et arrêts rendus jusqu'à ce jour, et qui justifient ses raisons, est encore le traité le plus complet de notre droit public.

Toutefois, la sagesse des hommes ne pouvant naturellement prévoir que les événemens les plus ordinaires, on rencontre chaque jour des questions nouvelles dont la solution n'existe pas dans le texte de la loi ; c'est alors qu'il faut remédier au silence du législateur, soit en procédant par analogie, mais avec précaution et discernement, soit en se réglant par des motifs d'intérêt public, ou par des exemples tirés des auteurs, bien qu'ils n'aient pas force de loi. Et qui mieux que Domat peut fournir de bons exemples dans les cas difficiles? Il a posé toutes les bases générales; et s'il avait besoin d'éloges, les nombreuses conférences que le droit actuel nous a permis de faire avec son important travail, fourniraient à jamais la preuve de la supériorité de son génie, qui n'a rien perdu de sa force par les changemens survenus dans la société des hommes. Les vrais principes ne varient jamais; les cas particuliers qu'il a pu omettre, parce qu'ils n'existaient pas de son temps, doivent être considérés comme exprimés, si la raison de décider est la mème. Au surplus, le but qu'on ne doit pas perdre de vue, c'est qu'en droit public il faut juger par le plus ou moins d'importance des intérêts en conflit, et que l'intérêt général doit toujours dominer l'intérêt particulier. Ĉes grandes maximes de l'ordre social, le modeste avocat du roi au présidial de Clermont, Domat enfin, les a proclamées avec cette philosophie douce et persuasive, qui nous plaît d'autant mieux qu'elle est revêtue de tout le charme de la vérité; aussi n'a-t-il pas écrit seulement pour son siècle: inspiré par l'amour de la justice et de l'équité, il fut le précurseur de cette charte consti

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