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7. Dans les occasions où le souverain exerce lui-même son autorité, soit que la conséquence de l'affaire le demande ainsi, ou que des considérations particulières l'obligent à se réserver ce qu'il pourrait commettre à d'autres personnes, ministres ou officiers, il est obligé de prendre une connaissance exacte de la vérité, et se rendre accessible aux personnes par qui il peut en avoir des preuves. Ainsi, il doit écouter également et ceux qui se plaignent, et ceux contre qui on lui fait des plaintes, et leur donner autant qu'il se peut l'usage libre des voies qui peuvent le conduire aux preuves de la vérité, afin que la découvrant, il ordonne et fasse exécuter ce qui sera juste (1).

[Français, vous entendez votre Roi, et il veut, à son tour, que votre voix lui parvienne, et lui expose vos besoins et vos vœux; la sienne sera toujours celle de l'amour qu'il porte à ses peuples : les cités les plus vastes et les hameaux les plus ignorés, tous les points de son royaume sont également sous ses yeux, et il rapproche en même temps tous ses sujets de son cœur. Il ne croit pas qu'il puisse avoir de sentimens trop paternels pour des peuples dont la valeur, la loyauté et le dévouement à leurs rois, ont fait, durant de longs siècles, la gloire et la prospérité (2).]

8. Comme il arrive souvent que, dans le cas où le souverain doit prendre connaissance de la vérité, elle se trouve opprimée par la prévarication de ceux même à qui il peut confier le soin de s'en informer, ou de ceux qui, ayant l'honneur d'approcher de sa personne lui font des rapports ou des plaintes, ou d'autres affaires dont ils déguisent la vérité; il est de sa sagesse et de son devoir de modérer sa confiance en tous ces ministres, et en tous ceux qui ont l'honneur d'approcher de lui, et de qui il peut prendre les avis, ou recevoir quelque témoignage de la vérité; car il est souvent de la prudence du prince, surtout dans les affaires qui sont importantes, et où quelque ministre témoignerait de l'empressement, de penser qu'on peut lui ôter la connaissance de la vérité, et de prendre les voies pour la découvrir, de crainte que se laissant surprendre au mensonge, à l'imposture, et à la calomnie, il n'accorde sa protection à quelque injustice (3), et ne donne l'accès à des ministres protecteurs de l'iniquité (4).

[Les princes ne sauraient donc être trop en garde là-dessus, pour ne pas s'en laisser imposer par des esprits mal faits ou envieux, qui, sous le prétexte du bien et de la tranquillité publique, ne cherchent que leur intérêt particulier, et qui ne font tous leurs efforts pour rendre suspectes certaines opinions, que dans la vue de perdre les plus honnêtes gens (5).]

9. Comme le souverain est le seul qui ait dans son état la puissance temporelle dans toute son étendue (Charte, 13.), qu'il doit

(1) Prov. 29. 14. Deuter. 1. 16. (2) 9 mars 1814, proclamation du Roi. (3) Deuter. 13. 14. Ibid. 17. 4. Prov. 28. 5. (4) Prov. 29. 12. (5) Burlamaqui, princip. de droit polit., ch. 2, §7.

l'usage de cette puissance pour y faire régner la justice et la vérité, et que l'une et l'autre sont inséparables de l'esprit de la religion et du culte de Dieu de qui il tient cette puissance; il doit aussi à la religion et au culte de Dieu l'usage de la puissance qu'il tient de lui; ce qui l'oblige à protéger et maintenir l'exercice libre de la religion, et donner aux lois de l'église le secours que les occasions rendent nécessaire. (Charte, 5, 6.) Et aussi voit-on que, pour ce qui regarde la religion catholique, et ce que l'église définit et détermine, nos Rois s'en déclarent les protecteurs, gardes-conservateurs et exécuteurs (1). (Charte, 7.)

[J'ai terminé avec le Saint-Siège les conventions nécessaires pour la circonscription des nouveaux diocèses dont la loi autorisait l'établissement. Toutes les églises vont être pourvues de leurs pasteurs, et le clergé de France, complètement organisé, contribuera à appeler sur nous les bienfaits de la Providence (2)... Graces à la paix rendue à l'église de France, la religion, cette base éternelle de toute félicité, même sur la terre, va, je n'en doute pas, refleurir parmi nous; le calme et la confiance commencent à renaître (3).]

10. On peut mettre au nombe des devoirs de ceux qui ont le gouvernement souverain, la prudence dans la dispensation des bienfaits et des récompenses qui doivent distinguer les mérites, en donner l'estime, et en attirer l'imitation. Et ils doivent aussi dispenser sagement les priviléges, les exemptions (Charte, 1, 2.), et les autres graces, surtout celles qui pourraient tourner au préjudice d'autres personnes (4). Et dans l'usage des punitions et des châtimens, ils peuvent modérer la sévérité dans quelques occasions où la sagesse et la clémence peuvent s'accorder (5); n'en relâchant point en celles où la nécessité de l'exemple et la dignité de la justice demandent l'usage de la fermeté.

Il paraît par cette loi qu'il est de la prudence d'un prince, que quand il s'est porté à quelque sévérité au-delà des bornes ordinaires, il prenne un temps pour y faire réflexion, et suspende cependant l'exécution, si les circonstances peuvent le permettre.

11. Outre ces devoirs du souverain qu'on vient d'expliquer dans les articles précédens, et qui regardent sa conduite au dedans de son état, il a ses engagemens à l'égard des étrangers ses voisins ou alliés, soit pour entretenir la paix avec eux autant qu'il se peut, ou pour se défendre et son état de leurs entreprises (6). (Charte, 14.)

[La déclaration qui annonce au monde les principes sur lesquels se

(1) Ord. de François I, du mois de juillet 1543. Nov. 109. in præfat. V. l'art. 4 de la sect. 2. (2) 28 janvier 1823, discours du Roi à l'ouverture de la session des chambres. V. l'ord. du 31 octobre 1822, qui prescrit la publication de la bulle relative à la circonscription des diocèses du royaume. V. la loi du 4 juillet 1821, et sur le concordat, la loi du 11 juin 1817. (3) 1 nov. 1817, séance royale, ibid. (4) L. 2, § 10, ff. ne quid in loco pub. vel itin. fiat. d. 1. § 16. (5) L. 20. C. pon. (6) Rom. 12. 18.

de

fonde l'union des cinq puissances fait assez connaître l'amitié qui règne entre les souverains; cette union salutaire, dictée par la justice, et consolidée par la morale et la religion, a pour but de prévenir le fléau de la guerre, par le maintien des traités, par la garantie des droits existans, et nous permet de fixer nos regards sur les longs jours de paix qu'une telle alliance promet à l'Europe (1).]

12. Comme plusieurs des devoirs du souverain, soit au dedans ou au dehors de son état, demandent l'usage des finances et le droit de les exiger (2); ce droit renferme le devoir d'une sage conduite à les imposer et à les proportionner aux besoins de l'état, et à ce que peuvent porter les peuples (3). (Charte, 2, 47, 48, 49.)

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13. Ces devoirs généraux qu'on vient d'expliquer comprennent dans leur étendue tout le détail des devoirs de ceux qui ont le gouvernement souverain. Car ils s'étendent à tout ce qui regarde l'administration de la justice, la police générale de l'état, l'ordre public, la tranquillité des sujets, le repos des familles, la vigilance à tout ce qui peut contribuer au bien commun, le choix de ministres habiles et qui aiment la justice et la vérité, la nomination de bons officiers pour les dignités et les charges que le souverain doit remplir, lui-même de personnes qui lui soient connues, et l'observation des réglemens pour remplir les autres par d'autres voies que son propre choix, le discernement entre l'usage de la sévérité ou de la clémence dans les occasions où la justice peut souffrir qu'on relâche de sa rigueur (Charte, 67.), une sage dispensation des bienfaits, des récompenses, des exemptions, des priviléges et autres graces (Charte, 1.); une bonne administration des deniers publics; la prudence pour la conduite à l'égard des étrangers, et enfin pour tout ce qui peut rendre le gouvernement agréable aux bons, terrible aux méchans, et digne en tout de la fonction divine de gouverner les hommes, et de l'usage d'une puissance qui, ne pouvant venir que de Dieu, est une participation de la sienne même (4). (Charte, 13, 14, 57.)

[Perfectionner le mouvement des grands corps politiques créés par la Charte, mettre les différentes parties de l'administration en harmonie avec cette loi fondamentale; inspirer une confiance générale dans la stabilité du trône et dans l'inflexibilité des lois qui protègent les intérêts de tous, tel est le but de mes efforts. Pour l'atteindre, deux conditions sont nécessaires, le temps et le repos. Nous ne devons pas demander à des institutions naissantes ce qu'on ne peut attendre que de leur entier développement et des mœurs qu'elles sont destinées à former. Jusque là, sachons reconnaître que dans les affaires publiques, la patience et la modération sont aussi des puissances, et celles de toutes qui trompent le moins. Ne perdons pas de vue qu'il serait im

(1) 10 décembre 1818, discours du Roi à l'ouverture de la session des Chambres. (2) V. l'art. 24 et les suiv. de la sect. 2. (3) Deuter. 17. 17. L. un. § 14. C. de cad. toll. (4) L. 3, ff. de offic. Præfect. vid. V. 2 Paral. 34. V. ps. 100.

possible au gouvernement de maintenir l'ordre, cette première garantie de la liberté, s'il n'était armé d'une force proportionnée aux difficultés au milieu desquelles il se trouve (1). ]

14. On peut ajouter pour un dernier devoir du souverain, qui est une suite du premier, et qui renferme aussi tous les autres, bien que sa puissance semble le mettre au-dessus des lois, personne n'ayant droit de lui faire rendre compte de sa conduite; il doit observer celles qui peuvent le regarder; et il y est obligé non-seulement pour donner l'exemple aux sujets, et leur rendre leur devoir aimable, mais parce qu'il n'est pas dispensé du sien par cette puissance (2) du souverain, et qu'au contraire ce rang l'oblige même à préférer à ses intérêts particuliers le bien commun de l'état, et qu'il est de sa gloire de regarder comme le sien propre (3). (Charte, 74.)

[Vous me seconderez, messieurs, pour accomplir les desseins que j'ai médités, et pour assurer de plus en plus le bonheur des peuples que la divine Providence a confiés à mes soins. Vous ne serez pas plus émus que moi de ces inquiétudes irréfléchies qui agitent encore quelques esprits, malgré la sécurité dont nous jouissons. Cette sécurité ne sera pas compromise, messieurs: comptez que je veillerai avec une égale sollicitude à tous les intérêts de l'état, et que je saurai concilier ce qu'exigent l'exercice des libertés légales, le maintien de l'ordre et la répression de la licence (4).]

TITRE III.

Du conseil du prince, et des fonctions et devoirs de ceux qui y sont appelés.

On entend traiter dans ce titre de ce qui regarde en général les fonctions et les devoirs de ceux qui sont appelés au conseil des princes en quelque sens qu'on veuille entendre ce mot, soit des conseils réglés dans quelques états, et composés d'officiers dont les lois de l'état obligent le prince de prendre conseil, ou que lui-même fasse le choix des personnes qu'il veut y appeler. Car on doit présupposer qu'il est de la sagesse et du devoir des princes les mieux intentionnés et les plus habiles de prendre des avis et des conseils dans les affaires qu'ils ont à régler, soit pour le bien de l'état, ou pour rendre la justice aux particuliers (5); et comme, d'une part, ils doivent s'instruire de la vérité des faits qu'ils ne peuvent savoir par eux-mêmes, et qui doivent venir à leur connaissance, et que de l'autre il est de leur intérêt et du bien public qu'ils s'aident de l'expérience et des lumières de

(1) 19 décembre 1820, discours du Roi à l'ouverture de la session des Chambres. (2) L. 4. C. de legib. et Const. pr. (3) L. 3. C. de testam. (4) 13 janvier 1826, discours du Roi à l'ouverture de la session des chambres. (5) L. 8. C. de leg. et coust. pr. D. 1. in f. Prov. 25. 2. 13. 10. cod.

personnes capables de leur donner de bons conseils ou de bons avis (1).

Il n'y eut jamais de prince qui eût moins besoin de conseil qu'en avait Moïse, de qui on peut dire que son conseil était Dieu même à qui il avait la liberté de recourir dans toutes ses difficultés ; ce qui n'empêcha pas qu'il ne reçût agréablement et n'exécutât le conseil que lui donna Fethro son beau-père, sur la manière dont il rendait la justice au peuple.

On a cru devoir expliquer dans ce titre ce qui regarde en général les fonctions et les devoirs des personnes qui, par leurs charges ou par la volonté des princes, sont appelées pour leur donner des conseils, ou qui par ce même engagement de leurs charges ou autrement se trouvent dans l'occasion et dans le devoir de leur donner quelques avis, ou à leur faire connaître la vérité des faits qu'ils ignorent, et dont il est nécessaire qu'ils aient connaissance pour y pourvoir selon le besoin. Ainsi, les règles qu'on expliquera dans ce titre se rapportent en général à toutes ces fonctions et à tous ces devoirs, soit qu'il s'agisse d'affaires qui regardent la personne du prince, ou sa maison, ou des affaires d'état, comme d'entreprises de guerre, de traités de paix, de réglemens généraux de la police et du gouvernement de l'état, et autres semblables, ou que ce soit pour des affaires particulières de toute nature qui peuvent mériter la connaissance du souverain.

C'est en ce sens général et indéfini qu'on entend parler ici du conseil du prince. Ainsi, la matière de ce titre regarde en général toutes les personnes, officiers, ministres et autres qui sont auprès des princes, et qui ont à leur donner quelque conseil ou avis de quelque nature qu'ils puissent être. Ce qui fera la matière de deux sections, l'une des diverses sortes de fonctions de ces personnes, et l'autre des devoirs qui en sont les suites.

SECTION PREMIÈRE.

Des fonctions des officiers, ministres ou autres qui sont engagés à donner aux princes des conseils ou des avis.

1. Les fonctions des personnes qui ont l'honneur d'être auprès du prince, soit par leurs charges, ou comme ministres (Charte, 54, 13.), ou parce qu'il les honore de sa confidence, sont diffé– rentes et de plusieurs sortes selon leurs engagemens, et selon les occasions, comme on le verra par les articles qui suivent.

2. On peut distinguer en général ces fonctions par leur nature en trois espèces. La première, de celles qui regardent la personne du prince, ses droits et ses intérêts; la seconde, de celles qui regardent l'état, et la troisième, de celles qui regardent les affaires particulières qui doivent venir à la connaissance du prince.

(1) Exod. 18. 13. V. Prov. 1. 5. V. Tob. 4. 19. Nov. 22. in Præfat.

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