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LA

GOUVERNANTE,

COMÉDIE.

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.

ANGÉLIQUE, JULIETTE.

JULIETTE, suivant Angélique qui réve.
ANGÉLIQUE, est-ce tout? Faites-vous violence:
Je voudrois bien savoir à quoi sert le silence;
Il ne guérit de rien; au contraire, il aigrit
Les maux et les tourmens du cœur et de l'esprit.
Se taire est n'être plus qu'une ombre qui s'ennuie;
Le babil est le charme et l'ame de la vie...

Vous ne répondez rien! Quel est donc votre but
Et votre idée?

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On n'a que trop de quoi parler quand on soupire.
Où sont donc ces transports, cette vivacité?
Nos entretiens faisoient votre félicité;

Vous ne pouviez finir. Lorsque je me rappelle...
ANGÉLIQUE.

Je ne te parlois pas alors d'un infidele.

JULIETTE.

Doit-on, lorsque l'on perd le cœur d'un inconstant, Perdre aussi la parole? Allons, il faut d'autant Soulager son dépit; rien n'est plus salutaire.

ANGÉLIQUE.

Où parle la raison le dépit doit se taire.

JULIETTE.

Et la raison vous parle, à vous, Angélique?

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Ah! le bel entretien! Ma foi, garre l'ennui;

Mais il est tout venu.

ANGÉLIQUE.

Non, ce guide propice

A porté la lumiere au fond du précipice

Où j'aurois essuyé le plus grand des malheurs.

JULIETTE.

Bon! bon! L'amour bientôt le comblera de fleurs.
ANGÉLIQUE.

Non, je n'ai plus en lui la moindre confiance.
Où m'alloit entraîner mon peu d'expérience!
Eh! comment pouvons-nous ne nous pas égarer?
Comment fuir les dangers qu'on nous laisse ignorer?
A qui notre jeunesse est-elle confiée?

Hélas! pour l'ordinaire elle est sacrifiée.

Quel est le sort du sexe! Ah! Juliette, il s'ensuit Qu'on croit qu'il ne vaut pas la peine d'être instruit.

JULIETTE.

Ah, diantre! vous voilà tout-à-fait surprenante!
Ce beau chef-d'oeuvre vient de notre Gouvernante.
Depuis six ou sept mois qu'elle a trouvé moyen
De s'impatroniser, je n'y connois plus rien;
La Baronne elle-même en a fait son amie,
Et ne fait que vanter sa rare prud'hommie:
Nous étions, vous et moi, bien mieux auparavant.
ANGÉLIQUE.

Je voudrois l'avoir eue en sortant du couvent:
Oui, Juliette, ce sont quatre ans que je regrette.

JULIETTE.

Oui, votre tante a fait une fort belle emplette!...

Cette femme n'entend qu'à donner des vapeurs.
Mais parlons de Sainville. Espérez que vos cœurs
Seront bientôt remis en bonne intelligence.
Je sais que de sa part un peu de négligence...
ANGÉLIQUE.

Tu nommes négligence un total abandon!
L'excuse n'a plus lieu, non plus que le pardon.

JULIETTE.

Si Sainville a quitté sa retraite profonde
Pour aller se fourrer dans le tracas du monde,
C'est malgré lui; pour moi, j'ai tout lieu de douter
Qu'il puisse encor long-tems s'y plaire et le goûter.
Il n'a fait qu'obéir, et par force, à son pere.
Son esprit, son humeur, son goût, son caractere,
Feront qu'il y sera tout-à-fait étranger:
Il est trop philosophe.

ANGÉLIQUE.

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Ils l'auront fait changer.

JULIETTE.

Non: il est trop bien né; c'est sur quoi je me fonde.
Quel triomphe pour vous! quand dégoûté du monde...
ANGÉLIQUE.

Qu'il y reste, et s'y fasse un nom bien éclatant.
Juliette, je médite un projet important.

JULIETTE.

Vous voulez tout-à-fait renoncer à Sainville?

ANGÉLIQUE.

Je voudrois être encor dans mon premier asyle.

JULIETTE.

Eh! pour quoi faire? Au lieu de bénir chaque jour
La main qui vous a fait sortir de ce séjour
Où les infortunés de qui vous êtes née

Dès vos plus jeunes ans vous ont abandonnée,
Vous songez à rentrer dans le sein de l'ennui?
ANGÉLIQUE.

Le monde n'a plus rien qui me plaise.

JULIETTE.

Aujourd'hui ;

Mais demain il pourra vous plaire davantage.
Le dépit prend toujours le parti le moins sage.
Demeurez... Les absens sont bientôt oubliés.
La Baronne vous fait mille et mille amitiés;
Elle a pour vous les yeux de la plus tendre mere;
C'est une tante enfin comme il ne s'en voit guere.
Mais si vous ne restez sous ses yeux, j'ai bien peur
Qu'un autre ne parvienne à vous ôter son cœur,
Et qu'avec un époux elle ne s'en console.
La veuve la plus sage est toujours assez folle
Pour se remarier; cela se voit souvent.
Il ne sera plus tems de sortir du couvent;
Il y faudra gémir, enrager comme une autre,
Et pleurer à-la-fois sa folie et la vôtre:
Je vous en avertis, craignez cet incident.
Mais la voici qui vient avec le Président:
Sortons.

(elle entraine Angélique.)

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