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Le poëte dans les deux derniers vers fait allusion à Ronsard qui, trouvant la langue françoise trop stérile, avoit autrefois essayé en vain de la dénaturer. Cette tirade présente plusieurs traits saillans; la comparaison est neuve et poétique. On peut juger du mérite de ce petit poëme par les citations que nous avons faites. Les contemporains lui reprocherent avec raison une marche trop uniforme, et quelques détails didactiques devenus trop communs depuis que Boileau les avoit traités dans des vers pleins de force et de précision.

Le succès qu'obtint l'Épître de Clio dissipa les doutes modestes que La Chaussée avoit eus jusqu'alors sur son talent. Le théâtre lui offrant les moyens les plus prompts de se faire connoître, il débuta par une comédie que l'élégance du style et des combinaisons nouvelles firent réussir. La fable de la Fausse Antipathie est fondée sur une supposition fort extraordinaire. Un jeune homme et une demoiselle ont été forcés à s'unir sans qu'on ait consulté leur choix: ils ne s'étoient jamais vus, et même aux autels ils n'ont pas jeté

les yeux l'un sur l'autre : une antipathie dont l'auteur auroit eu peinè à rendre raison les a séparés immédiatement après la cérémonie; le mari s'est éloigné; on le croit mort. Il est inutile de faire remarquer toute l'absurdité de cette conception; la curiosité si naturelle aux jeunes gens les a nécessairement portés du moins à se regarder au moment où ils ont été mariés. Cependant ils se rencontrent dans le monde; sans se connoître ils deviennent épris l'un de l'autre ; un lien odieux dont chacun se plaint est le seul obstacle à leur bonheur; enfin tout se découvre, et les amans qui étoient loin de se croire époux reprennent leurs anciens nœuds. On voit tout ce que l'intrigue a d'invraisemblable et de romanesque. Le style est la partie la plus estimable de cette piece; cet avantage, et quelques scenes touchantes auxquelles on n'étoit pas encore habitué, lui procurerent le succès passager qu'elle obtint. Il y a quelques intentions comiques dans cet ouvrage, mais on voit que le talent de l'auteur ne se prêtoit que difficilement à ce genre; il revient comme malgré lui au ton sérieux qui lui

étoit beaucoup plus familier. Nous en citerons un exemple qui nous fournira en même tems l'occasion de présenter un parallele intéressant. Une femme qui regrette le tems où elle pouvoit plaire, veut faire une leçon à une jeune femme dont elle est jalouse; celle-ci lui répond avec malice, et lui fait sentir que le chagrin seul de ne plus attirer les hommages la rend aussi sévere. Orphise dit à Léonore:

Oui, je n'ignore pas qu'une femme à votre âge
N'aime guere à jouer un second personnage:
Elle voudroit que tout lui devint personnel,
Etre l'unique but, l'objet perpétuel

Où tendent tous les cœurs, les yeux, et les oreilles ;
Plaire à l'exclusion de toutes ses pareilles;
N'en reconnoître aucune, et dominer partout:

A votre âge, madame, on est fort de ce goût.

LÉONORE.

Oui, je sais qu'une femme aime un peu trop à plaire;
C'est de l'âge où je suis la foiblesse ordinaire.
Dans l'arriere-saison on ne fait qu'en changer;
Du monde qui nous quitte on cherche à se venger,
Du plaisir qui nous fuit, des défauts qu'on regrette,
Auxquels on voudroit bien être encore sujette;

Alors, par désespoir et par nécessité,

On se masque, et l'on prend un air d'austérité;
On se croit vertueuse en voulant le paroître,

Tandis qu'au fond du cœur on néglige de l'être;
Qu'au contraire on se fait un plaisir inhumain
De nourrir son orgueil aux dépens du prochain;
L'esprit de charité paroît une foiblesse,

Et la mauvaise humeur prend le nom de sagesse. Il y a dans ces vers de l'élégance et de la facilité; mais l'auteur a affoibli le comique de la situation. en rendant les idées trop générales. La réponse de Léonore seroit beaucoup plus piquante si les traits qu'elle lance contre les prudes avoient une application particuliere aux défauts et aux ridicules d'Orphise. Moliere a traité cette situation en maître dans le Misanthrope. Un fragment de la réplique de Célimene au sermon intéressé d'Arsinoé suffira pour montrer combien l'imitateur est loin du modele. La prude est venue officieusement avertir Célimene des bruits qui courent sur elle; la jeune coquette, après lui avoir fait un remerciement ironique, lui parle ainsi :

En un lieu l'antre jour, où je rendois visite,

Je trouvai quelques gens d'un très rare mérite,

Qui, parlant des vrais soins d'une ame qui vit bien,
Firent tomber sur vous, madame, l'entretien. ·
Là, votre pruderie et vos éclats de zele

Ne furent pas cités comme un fort bon modele;
Cette affectation d'un grave extérieur,
Vos discours éternels de sagesse et d'honneur,
Vos mines et vos cris aux ombres d'indécence
Que d'un mot ambigu peut avoir l'innocence,
Cette hauteur d'estime où vous êtes de vous,
Et ces yeux
de pitié que vous jetez sur tous,
Vos fréquentes leçons et vos aigres censures
Sur des choses qui sont innocentes et pures;
Tout cela, si je puis vous parler franchement,
Madame, fut blåmé d'un commun sentiment;
« A quoi bon, disoient-ils, cette mine modeste,
« Et ce sage dehors que dément tout le reste?
« Elle est à bien prier exacte au dernier point;
<«< Mais elle bat ses gens, et ne les paye point:

<< Dans tous les lieux dévots elle étale un grand zele;

<< Mais elle met du blanc, et veut paroître belle:

<< Elle fait des tableaux couvrir les nudités;

«Mais elle a de l'amour pour les réalités ».
Pour moi, contre chacun je pris votre défense,
Et leur assurai fort que c'étoit médisance :
Mais tous les sentimens combattirent le mien;
Et leur conclusion fut que vous feriez bien

De prendre moins de soin des actions des autres,

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