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Tous ces amusemens imprévus et nouveaux,
Dont tout le monde ici soupçonne des rivaux
Assez vains pour nourrir une erreur si grossiere.
Je lui fais des présens de la même maniere...
On s'attache encor plus par ses propres bienfaits;
Je le sens, je l'en veux accabler désormais.

On s'enrichit du bien qu'on fait à ce qu'on aime.

DAMON.

Mais tu dois lui causer un embarras extrême.
Que peut-elle penser?... Durval, y songes-tu?

DURVAL.

Oui, je viens de jouir de toute sa vertu.

J'ai vu le trouble affreux dont son ame est atteinte;
Cependant je feignois en écoutant sa plainte ;
J'affectois un air libre, et vingt fois j'ai pensé
Me déclarer... Tu vas me traiter d'insensé.
Malgré tout cet amour dont je t'ai rendu compte,
Je me sens retenu par une fausse honte.

Un préjugé fatal au bonheur des époux
Me force à lui cacher un triomphe si doux.
Je sens le ridicule où cet amour m'expose.

DAMON.

Comment! du ridicule ! Et quelle en est la cause? Quoi! d'aimer sa femme?

DURVAL.

Oui le point est délicat: Pour plus d'une raison je ne veux point d'éclat; Je n'ai déja donné sur moi que trop de prise...

Ce raccommodement devient une entreprise...
J'avois imaginé d'obtenir de la cour

Un congé pour passer deux mois dans ce séjour,
Sous prétexte de faire ici ton mariage.

Damon, voilà pourquoi Constance est du voyage.
J'y croyois être libre et seul avec les miens,
Je comptois y trouver en secret des moyens
Pour pouvoir sans éclat renouer notre chaîne ;
Mais pour les malheureux la prévoyance est vaine.
Ma maison est ouverte à tous les survenans,
Mon rang m'attire ici mille respects gênans....
Clitandre avec Damis, sans que je les en prie,
Ne se sont-ils pas mis aussi de la partie?

Tu les connois, ce sont d'assez mauvais railleurs;
Alors contre moi seul ils deviendront meilleurs:
Ainsi des autres ; c'est à quoi je dois m'attendre...
Je ne pourrai jamais soutenir cet esclandre;
Il faudra tout quitter : j'irai me séquestrer,
Ou, pour mieux dire, ici je viendrai m'enterrer
Avec des campagnards dont tu connois l'espece,
Sans que dans mon désert un seul ami paroisse.
Et, véritablement, quelle société

Que celle d'un mari de sa femme entêté,

Qui n'a des yeux, des soins, des égards que pour elle,
Et que, pour
ainsi dire, elle tient en tutele?
DAMON, froidement.

Tout bien examiné, vous verrez qu'un mari
Ne doit jamais aimer que la femme d'autrui.

DURVAL.

Tu ris! Suis-je venu pour mettre la réforme?
DAMON, ironiquement.

Le serment de s'aimer n'est donc que pour la forme?
L'intérêt le fait faire, il ne tient qu'un moment...
(vivement.)

Dis-moi, trahirois-tu tout autre engagement?
Oserois-tu produire une excuse aussi folle?
Au dernier des humains tu tiendrois ta parole;
Il sauroit t'y forcer, aussi-bien que les lois.
(tendrement.)

Mais une femme n'a pour soutenir ses droits
Que sa fidélité, sa foiblesse, et ses larmes;
Un époux ne craint point de si fragiles armes.
peut-on faire ainsi sans le moindre remord
Un abus si cruel de la loi du plus fort?

Ah!

DURVAL.

Je suis désespéré; mais je cede à l'usage.
Suis-je le seul?... Tu sais que l'homme le plus sage
Doit s'en rendre l'esclave.

DAMON, vivement.

Oui, lorsqu'il ne s'agit Que d'un goût passager, d'un meuble ou d'un habit : Mais la vertu n'est point sujette à ses caprices; La mode n'a point droit de nous donner des vices, Ou de légitimer le crime au fond des cœurs. Il suffit qu'un usage intéresse les mœurs Pour qu'on ne doive plus en être la victime;

L'exemple ne peut pas autoriser un crime.
Faisons ce qu'on doit faire, et non pas ce qu'on fait.

DURVAL.

Mais enfin je me sens assez fort en effet
Pour sacrifier tout, sans que je le regrette,
Pour aller vivre ensemble au fond d'une retraite.

DAMON.

Mais voilà le parti d'un vrai désespéré.

DURVAL.

Et c'est pourtant le seul que j'aurois préféré.
Un inconvénient, sans doute inévitable,
M'imprime une terreur encor plus véritable.
Si j'apprends à Constance un triomphe si doux,
Si ma femme me voit tomber à ses genoux,
Comment daignera-t-elle user de sa victoire?
Je crains de lui donner moins d'amour que de gloire;
Je crains que sa fierté ne surcharge mes fers.
On en voit tous les jours mille exemples divers.

DAMON.

On en trouve toujours de toutes les especes,
Sur-tout lorsque l'on cherche à flatter ses foiblesses.
Ce soupçon pour Constance est trop injurieux.

DURVAL.

Tu ne le connois pas ce sexe impérieux :
Dans notre abaissement il met son bien suprême;
Il veut réguer, il veut maîtriser ce qu'il aime,
Et ne croit point jouir du plaisir d'être aimé
S'il n'est pas le tyran du cœur qu'il a charmé.

DAMON.

Ce reproche convient à l'un tout comme à l'autre.
Eh! pourquoi voulons-nous qu'il soit soumis au nôtre?
Mais le traitons-nous mieux quand nous l'avons séduit?
Notre empire commence où le sien est détruit.
Nous plaindrons-nous toujours,injustes que nous sommes,
De ce sexe qui n'a que le défaut des hommes?
Quel ridicule orgueil nous fait mésestimer
Ce que nous ne pouvons nous empêcher d'aimer?

DURVAL.

Constance aura de plus à punir mes parjures,
A redouter encor de nouvelles injures,

A craindre une rechûte, un nouvel abandon;
Constance doit me faire acheter mon pardon.
Que de soins, de soupirs, de regrets, et de larmes
Faudra-t-il que j'oppose à ses justes alarmes!
Plus je vais employer de foiblesse et d'amour,
Et plus son ascendant croîtra de jour en jour.
(il réve.)

Ah! c'en est trop, il faut suivre ma destinée,
La résolution en est déterminée...

DAMON, en l'embrassant.

Ah! cher ami, reçois le prix de ta vertu.
Que ce retour heureux va causer...

Quelle méprise!

DURVAL.

Que dis-tu ?

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