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Renoncer au plaisir qui convient à mon âge, Consacrer à l'ennui le cours de mes beaux ans, Commencer mon hiver au fort de mon printems, M'enfoncer, m'abymer au fond de mon ménage, Pour y végéter comme un sot.

LA FLEUR.

Ah! pauvre malheureuse!

LE MARQUIS.

Hem?

LA FLEUR.

Moi, je ne dis mot.

(on entend quelque bruit. )

LE MARQUIS.

(seul.)

Va donc voir ce qu'on veut. L'attente est un supplice. Ah! si ce pouvoit être un billet d'Arthénice!

LA FLEUR.

Tenez, c'est un billet joliment tortillé.
LE MARQUIS, lisant à part.

<< Mes résolutions sont prises;

<< Venez où vous savez à huit heures précises. LA FLEUR, à part.

«

Comme il a l'air émoustille!

LE MARQUIS, continuant.

Malgré tous mes parens... La maudite cohorte!... « Pour vous suivre ce soir, je les tromperai tous. << Je sens que mon devoir en murmure... Qu'importe? << Mais l'on n'est plus à soi lorsque l'on est à vous ».

Ah! pour moi quel bonheur, ou plutôt quelle gloire!

Ne perdons point de tems.

(il tire un écrin de sa poche.)

LA FLEUR.

Quelle est donc cette histoire?

LE MARQUIS.

Avec ces diamans va faire de l'argent;

Cours emprunter dessus à l'un de nos corsaires
Les deux mille louis qui me sont nécessaires.
Viens me les apporter: sur-tout sois diligent.
J'ai des ordres encore à te donner ensuite.
Voici madame Argant, sauve-toi, prends la fuite.

SCENE II.

MADAME ARGANT, LE MARQUIS.

MADAME ARGANT.

Où va-t-il porter ces écrins?

LE MARQUIS.

Chez un metteur en œuvre.

MADAME ARGANT.

Eh! pourquoi donc?

LE MARQUIS.

Je crains

Pour quelques diamans qui, du moins à ma vue, Paroissent en danger. Pour ne rien hasarder, J'envoie en faire la revue.

Il s'en perd bien souvent, faute d'y regarder.

MADAME ARGANT.

C'est bien fait. Ce présent n'est-il pas fort honnête?

LE MARQUIS.

Honnête! ah! pour le moins; et j'en suis très content.

MADAME ARGANT.

Je brûle de le voir orner votre conquête.
Votre pere obstiné m'embarrasse pourtant;
Il paroît opposer la même résistance.
En vain j'ai de sa niece employé l'assistance.
Ce refus me paroît d'autant plus surprenant
Qu'elle a sur mon époux un empire étonnant;
Et que, pour ainsi dire, elle en est adorée.
Vous souriez?

LE MARQUIS.

Qui? moi!

MADAME ARGANT.

Ce n'est rien.

Peut-on savoir pourquoi?

LE MARQUIS.

MADAME ARGANT.

Une mere aussi tendre que moi

De votre confiance a droit d'être honorée.

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Non; vous m'inquiétez. Plus vous voulez vous taire,

Plus vous me donnez à penser;

Je veux absolument entrer dans ce mystere.

LE MARQUIS.

Il ne falloit pas moins que cet ordre absolu
Pour vous sacrifier toute ma répugnance.
Si je me détermine à rompre le silence,
Daignez vous souvenir que vous l'avez voulu.
Mais cependant, madame, il faudroit me promettre...

MADAME ARGAN T.

Eh! quoi?

LE MARQUIS.

De ne me point commettre.

MADAME ARGANT.

Je m'en garderai bien.

LE MARQUIS.

J'ose vous en prier.

D'ailleurs, quoi qu'il en soit de cette confidence,
Croyez que je n'en tire aucune conséquence.
Le fait en question est assez singulier.
Marianne, entre nous, vous est-elle connue?
Oui, lorsqu'avec mon pere elle est ici venue,
Saviez-vous, comme un fait bien sûr et bien constant,
Qu'il existoit encore en France
Une autre demoiselle Argant?

MADAME ARGANT.

Sans doute.

LE MARQUIS.

En aviez-vous une entiere assurance?

MADAME ARGANT.

Mon mari le disoit.

LE MARQUIS.

J'entends.

MADAME ARGANT.

Oui, je crois, dans mon jeune tems, Avoir ouï parler du pere et de la fille. D'ailleurs nous habitions des lieux trop différens Pour être bien au fait du sort de vos parens. pas autrement connu votre famille.

Je n'ai

LE MARQUIS.

Il y paroît.

MADAME ARGANT.

En quoi?

LE MARQUIS.

Sur-tout point de courroux.

MADAME ARGANT.

Je n'entends rien à ce mystere.

LE MARQUIS.

Ni moi non plus. Mais, entre nous, Marianne n'est point la niece de mon pere.

MADAME ARGANT.

Elle ne seroit point sa niece?

LE MARQUIS.

Eh! vraiment non;

Et j'ignore à quel titre elle en a pris le nom.

MADAME ARGANT.

Ah! quelle découverte !

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