D'avoir empoisonné tout le cours de ma vie. C'est me faire un reproche assez mortifiant. LE MARQUIS. En flattant mon amour, en le fortifiant Dans mon ame incertaine et toujours combattue, D'un mal qui dans le tems n'étoit pas incurable. Sur votre appui je n'ai que trop compté. Devois-je encore aimer? Je vous ai raconté L'histoire de ce triste et secret hyménée Dont on me fit briser la chaîne fortunée: Vous savez quelle fut la douleur que j'en eus; Et qu'ayant employé bien des soins superflus A chercher en tous lieux une épouse si chere, Alors pour me venger des rigueurs de mon pere, Je me promis du moins le reste de mes jours De fuir également l'hymen et les amours. Vaine promesse! Hélas! qu'est-elle devenue? Sans vous, cruel ami, je l'aurois mieux tenue. THÉODON. J'aurois quelque reproche à vous faire à mon tour: Avois-je mendié l'aveu de votre amour? Votre cœur s'est ouvert sans nulle violence; Quand vous avez rompu ce pénible silence Vous cherchiez de l'espoir, je vous en ai donné. LE MARQUIS. C'est de quoi je me plains. THÉODON. J'en dois être étonné; Car enfin je n'ai pu ni dù vous faire un crime Je n'aurois pas laissé mourir un feu si beau ; J'ai trahi mes sermens, j'ai vaincu mes scrupules; Quels sont donc ces travers si grands et si fâcheux? LE MARQUIS. C'est l'amour à mon âge, et l'amour malheureux; THÉODON. Eh! par où cette crainte est-elle autorisée? LE MARQUIS. enflammé? Puis-je plaire à l'objet qui m'a trop J'en jure bien autant; mais quelle différence! Je sens trop que l'amour lui doit la préférence. Entre nous en effet le choix n'est pas égal. THÉODON. Il est rare d'aimer sans avoir de rival. LE MARQUIS. Je le crois; mais du moins il eût fallu m'instruire. THÉODON. Darviane, en tout cas, ne pourra pas vous nuire. LE MARQUIS. Il n'est point de rival qui ne soit dangereux. THÉODON. Il vient de recevoir un ordre rigoureux Vous me débarrassez d'un poids bien importun. Je n'exagere point un si cruel excès; Et vous, si vous m'aimez, achevez votre ouvrage. Je ne puis trop payer le bonheur de ma vie. Je verrai Dorisée. LE MARQUIS. Oui, réglez avec elle. THÉODON. Je compte vous porter une heureuse nouvelle. LE MARQUIS. Vous me le promettez? THÉODON. Vous pouvez espérer. LE MARQUIS. Près d'elle, en attendant, je vais donc respirer. SCENE II. THÉODON. Cette affaire n'est pas difficile à conclure; |