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comme royaliste et que, malgré cette enseigne politique, elle n'obtint qu'un très maigre succès. Aussi un épigrammatiste s'empressa-t-il de formuler cet arrêt sur la pièce : A présent, moi, que je l'ai vue,

Je dis du meilleur de mon cœur :
Celui qui l'avait défendue

Etait un ami de l'auteur.

L'an 1811 vit châtier, en province, l'audace qu'avaient eue certains directeurs de représenter ces pièces non autorisées le Masque de fer, de Legrand, le Souper de Henri IV et les Pruneaux de Tours. On défendit de même, dans les départements récemment annexés, certains. ouvrages de Schiller, de Goethe, de Werner et de Kotzebue susceptibles de troubler l'ordre social. On établit, en outre, à Hambourg et à Amsterdam, un censeur chargé de

réprimer les folies germaniques dont les partisans dénigraient les littérateurs, les journaux, le théâtre français pour exalter aux dépens des nôtres les ridicules productions de l'Allemagne et du Nord. »

La guerre contre Alexandre Ier fournit en 1812, à la Censure, l'occasion d'ajourner tout ouvrage contenant des passages favorables à la Russie ou à ses souverains.

En 1813, l'Empereur lui-même défendit l'Intrigante, d'Étienne, dans laquelle il avait vu la critique des mariages qu'il se plaisait à conclure entre des filles de l'ancienne noblesse et de jeunes officiers.

Étienne de Jouy avait, deux ans auparavant, dramatisé, en la personne de Tippo-Saeb, l'effort suprême des populations indiennes contre la tyrannie anglaise. Cette pièce, présentée par le comte de Rémusat au ministre de

la Police, provoqua de celui-ci un refus très net. De Jouy n'obtint qu'en 1813 la permission de faire jouer son ouvrage, dont beaucoup de vers furent soulignés avec affectation. L'Empereur voulut le voir aux Tuileries; il en fit ensuite à Talma une critique des plus vives mais si juste que l'auteur, en nous la transmettant, avoue qu'il fut sur le point de retirer sa pièce pour la refaire suivant le plan suggéré par le monarque.

Quand à nos longues victoires succédèrent des revers, la police ordonna aux théâtres d'exercer sur l'opinion une influence patriotique. Elle laissa reprendre, à l'Odéon, le Siège de Calais, devenu de circonstance, en supprimant toutefois les vers qui eussent pu provoquer une manifestation royaliste. Elle défendit alors, au même théâtre, le Ruban de nuit, ou les Petites querelles politiques, dans lequel un mouchoir couleur de feu et un ruban bleu symbolisaient l'Empire et la monarchie; mais elle laissa imprimer, sur l'affiche des Variétés, la Manie des campagnes, sous-titre pris peut-être dans une intention d'épigramme, et elle n'empêcha point de fredonner, dans le Tableau parlant, ces vers que plus d'un spectateur appliquait méchamment à Napoléon vieilli :

Vous étiez ce que vous n'êtes plus,
Vous n'étiez pas ce que vous êtes,
Et vous aviez pour faire des conquêtes,
Et vous aviez ce que vous n'avez plus...

En résumant le rôle de la Censure pendant le Consulat et l'Empire, on voit qu'il se borna à prévenir les tumultes, à réprimer les haines, à défendre l'ordre et la morale. publique. Elle l'avait fait sous les régimes précédents, elle

le fit par la suite sans que sa juste surveillance ait, quoi qu'on en dise, empêché jamais l'éclosion d'œuvres géniales. La Censure est indispensable dans un pays comme le nôtre, où la liberté toujours dégénère en licence. Que voyons-nous effectivement au théâtre depuis que rien ne le régente? L'outrage systématique contre les hommes au pouvoir, l'appel aux passions brutales, aux luttes de classes, au rançonnement des gens, à l'anéantissement des choses. Dans un autre ordre d'idées, la substitution de l'argot à l'esprit, du cynisme aux finesses, l'exhibition de nudités, l'apologie des crimes passionnels. Quant aux chefs-d'œuvre espérés, ils brillent par leur complète absence.

II

En dépit des auteurs qui, en acceptant Napoléon comme guerrier et législateur, lui dénient tout sens artistique, le grand homme n'aimait pas que le bruit du canon. La musique le conquit de bonne heure ; il en comprenait l'effet sur le moral des hommes autant que sur l'esprit des chefs surmenés. Sa Correspondance nous en offre ces attestations précises.

Aux Inspecteurs du Conservatoire de Musique, à Paris.

Milan, 8 thermidor an V (26 juillet 1797).

J'ai reçu, citoyens, votre lettre du 16 messidor, avec le mémoire qui y était joint. On s'occupe dans ce moment-ci, dans les différentes villes d'Italie, à faire copier et mettre en état toute la musique que vous demandez.

De tous les beaux-arts, la musique est celui qui a le plus d'influence sur les passions, celui que le législateur doit le

plus encourager. Un morceau de musique fait de main de maître touche immanquablement le sentiment et a beaucoup plus d'influence qu'un bon ouvrage de morale, qui convainc la raison sans toucher à nos habitudes.

Au ministre de l'Intérieur de la République Cisalpine.

Passariano, 26 vendémiaire an VI (17 octobre 1797).

Je vous prie, citoyen ministre, de faire connaître aux musiciens de la République Cisalpine, et en général à toute l'Italie, que j'offre au concours, à celui qui fera la meilleure marche ayant pour sujet la mort du général Hoche, un prix et une médaille de cent sequins. Vous voudrez bien nommer trois artistes qui seront chargés d'adjuger ce prix.

Quartier général, au Caire, 1er nivôse an VII (21 décembre 1798). Tous les jours, à midi, il sera joué sur les places, vis-àvis des hôpitaux, par la musique des corps, différents airs qui inspirent de la gaîté aux malades et leur retracent les beaux moments des campagnes passées.

7

BONAPARTE.

La musique vocale l'intéresse au même point. Le nivôse an VI (27 décembre 1797), on l'a vu se rendre, avec les Directeurs et le ministre de l'Intérieur, au Conservatoire, pour y entendre les morceaux composés par Paisiello et Chérubini à la gloire de Hoche.

Le 15 brumaire an IX (6 novembre 1800), il assiste, avec sa famille, aux exercices des élèves du Conservatoire de Musique. Entre les morceaux exécutés, on distingue le Miserere de Leonardo Leo, à deux choeurs. Quelques jours plus tard, Bonaparte fait adresser par Bénézeth, conseiller d'État, une lettre de satisfaction au citoyen Sarrette, directeur du Conservatoire, et gratifie d'une somme de 500 francs,

à titre d'encouragement, le citoyen Ribou, qui a chanté un air de Paisiello, le citoyen Henry, entendu dans un air de Sacchini, et le citoyen Gasse, premier violon d'orchestre.

Entre temps, le conquérant de l'Italie n'a point démenti son penchant :

Au général Berthier, commandant en chef de l'armée de réserve.

Milan, 2 messidor an VIII (21 juin 1800).

Je vous prie, citoyen général, d'inviter deux des meilleures virtuoses d'Italie de se rendre à Paris pour y chanter un duo en italien, à la fête du 14 juillet. Vous leur ferez donner ce qui leur sera nécessaire pour leur voyage, et le ministre de l'Intérieur, auquel vous les adresserez, les traitera d'une manière conforme à leur mérite et les indemnisera de ce qu'ils auraient gagné en Italie.

Déjà Bonaparte a pris l'habitude de faire venir, à son quartier-général, des virtuoses mâles ou femelles qui le distraient et qu'il rétribue largement. Sa ferveur musicale s'en accroît; des billets encore en témoignent:

Au citoyen Chaptal, ministre de l'Intérieur.

Paris, frimaire an XII (29 novembre 1803).

Je désire, citoyen ministre, que vous fassiez faire, sur l'air du Chant du Départ, un chant pour la descente en Angleterre. Faites également faire plusieurs chants sur le même sujet, sur différents airs.

A l'Impératrice.

Munich, 5 brumaire an XIV (27 octobre 1805).

J'ai donné hier aux dames de cette ville un concert. Le maître de chapelle est un homme de mérite.

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