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une diversion fort troublante. Aucun de nous ici n'est en humeur de traiter légèrement la moindre parole de M. Pasteur, mais quand on nous apporte dans cette discussion le bruit lointain des simples pressentiments intimes du maître, je dis qu'on nous embarrasse sans avancer notre tàche. Pour moi, je le déclare franchement, je me croirais indigne de prendre ma part légitime de la grande gloire que M. Pasteur a conquise à mon pays, si je ne faisais observer que nos adversaires n'ont pas argumenté en apportant son nom dans nos débats. D'ailleurs, si les inquiétudes auxquelles ils ont fait allusion devaient se transformer un jour en dangers démontrés, mieux vaudrait que les méchants microbes, qui sortent des villes avec les égouts vinssent réunir leur longévité extraordinaire dans un lieu creux et limité que de rester dispersés on ne sait où.

Je n'ai pas, Messieurs, à vous parler d'un projet de canalisation portant les eaux d'égout à la mer. Cette solution qui, de parti pris et de gaieté de cœur, perd les richesses fertilisantes que jadis on reprochait si singulièrement à Gennevilliers de gaspiller, a été expressément produite pour préserver le territoire d'Achères contre l'arrivée des eaux d'égout. Vous pourrez, en d'autres temps, reprendre cette fastueuse erreur; mais aujourd'hui elle échappe à l'étude du principe qui a fait le sujet exclusif des travaux de votre commission. Je vous redis nos conclusions :

« Les eaux d'égout seront employées en épandages sur des sols perméables. Les épandages se feront sur chaque hectare en quantités proportionnées à la profondeur et au degré de perméabilité de ces sols. »

Il ne suffit pas d'insister sur la généralité de ce précepte, qui vise la salubrité de toutes les agglomérations; il faut qu'on ne se méprenne ni sur la portée des choses, ni sur le sens des mots. On a trop répété et on répète trop souvent encore que les épandages des eaux d'égout sur les sols perméables en feutrent la surface; et, par là, annulent leur perméabilité et perdent leur capacité d'épuration. On a, d'autre part, assimilé l'épuration en sols perméables à une simple filtration, et on persiste à confondre les deux termes. Ce sont des erreurs qu'il faut réduire, si l'on veut appré cier clairement la conclusion qui vous est soumise. Jamais les eaux d'égout ne feutrent un sol perméable sur lequel on les épand, c'est-à-dire sur lequel on fait des arrosages méthodiques. Le filtrage et l'épuration sont des opérations qui n'ont aucune analogie. Je dessine sous vos yeux deux figures (page 57) qui montrent cette différence.

La première fait voir un bassin de filtrage. On y a préparé un fond composé de matériaux perméables; sous ce fond, sont disposés des drains d'écoulement. Le bassin est empli et entretenu à niveau, tant que l'eau sortant des drains est propre. Dans cet ap

pareil, l'eau, en passant à travers les interstices des sables du fond, y dépose simplement les corps solides qu'elle tient en suspension; mais, quand les dépôts ont bouché les interstices, le filtre ne peut plus fonctionner; il faut le vider, et refaire le fond filtrant avec des matériaux neufs. On voit qu'un filtre est un appareil dont

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le fonctionnement et la durée sont limités. Il faut ajouter qu'il n'effectue que des nettoyages mécaniques.

La seconde figure fait voir la coupe d'une portion de champ d'é

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puration par épandage. L'opération consiste, non pas à couvrir le sol d'une nappe d'eau d'égout, comme on l'a dit, mais à faire courir cette eau par intervalles dans des rigoles espacées de plusieurs mètres. Le sol est perméable: l'eau des rigoles s'y disperse en descendant. Le sol est poreux : l'air y pénètre par toute la surface en contact avec l'atmosphère, et tombe dans les profondeurs. Gaz et liquides se rencontrent pour entretenir les réactions comburantes qui produisent l'épuration. A la différence du filtre, on com

prend que l'appareil d'épuration bien mené est un appareil qui entretient de lui-même la continuité de son fonctionnement, parce que le fond d'action est en rapport permanent avec l'atmosphère. A la différence du filtre, on voit encore que le sol perméable ouvert est un foyer de combustion.

Il ne nous reste plus, Messieurs, après ces rectifications faites, qu'à recommander nos conclusions à vos votes.

M. DURAND-CLAYE. - Ainsi que notre honorable rapporteur, j'estime que nous avons à voter ici une question de principes et non à discuter au point de vue technique des détails d'exécution. Sur les principes, je ne saurais rien ajouter de bien nouveau à ce que M. le rapporteur vient d'exposer si nettement devant vous. .Au point de vue technique, ma situation est particulièrement délicate; je suis votre collègue, il est vrai, et à ce titre, qui m'est cher en ce qui concerne de très amicales et anciennes relations, je puis discuter librement sur des questions générales d'hygiène. Mais je suis aussi un des ingénieurs en chef de la ville, un de ceux qui on leur part de responsabilité dans le service municipal, et je n'ai pas le droit de découvrir l'administration et le conseil municipal de la ville de Paris; je ne puis discuter des détails techniques ou administratifs qui ne sauraient avoir ici de sanction régulière. Je vons fournirai donc simplement quelques renseignements sommaires.

On a nié l'infection de la Seine; il me semble inutile d'entrer dans de longs détails à ce sujet. Le fleuve qui dose au mètre cube 1 gramme ou 2 grammes d'azote en amont de Paris, en dose 29 à 30 après le débouché des collecteurs à Clichy et ne retrouve sa pureté d'amont qu'aux environs de Mantes. J'ajouterai que cette infection préexistait à la question d'envoi des vidanges à l'égout: dès 1866, alors qu'il n'existait pas de tinettes-filtres à Paris, l'altération du fleuve était telle que le service d'assainissement de la Seine était créé. Au point de vue de nos études et de nos travaux, la présence ou l'absence des vidanges ne nous occupe en rien, il nous faut les mêmes appareils, les mêmes surfaces pour traiter 300,000 mètres cubes d'eau d'égout ordinaires par jour ou 302,000 mètres cubes avec les vidanges; des chiffres que j'ai produits bien souvent confirment au point de vue de la composition chimique cette observation pratique.

J'arrive aux procédés d'épuration; je constate d'abord qu'aucune voix ne s'est élevée pour soutenir les procédés chimiques, et cependant c'était là la panacée indiscutable pour nos adversaires il n'y a pas longtemps. MM. Duverdy, Salet et autres membres du comité de Saint-Germain, ont sans doute oublié leur ancien zèle pour es solutions imparfaites et coûteuses, abandonnées aujourd'hui de

tout le monde. Reste l'envoi à la mer, j'entends l'envoi pur et simple sans irrigations, tel que l'a préconisé M. Duverdy. Je ne vous arrêterai pas, Messieurs, aux difficultés techniques ou financières; il me suffira de vous dire que le projet de M. Dumont, dont on vous a entretenu, exige une élévation des eaux de plus de 100 mètres, une force de 8,000 chevaux-vapeur, un tunnel de 12,000 mètres de longueur, etc. Jamais une œuvre de pareilles dimensions ne sera acceptée par l'administration municipale, au prix de plus de cent millions certainement de premier établissement et de plusieurs millions d'exploitation annuelle, à moins ce qui est loin d'être démontré qu'aucune autre solution plus simple et plus économique ne soit absolument impossible.

Et pour quels résultats se lancerait-on dans cette voie désastreuse?

Que se passerait-il au débouché de l'émissaire? Exactement ce qui se passe actuellement à Clichy, et même quelque chose de pire. L'eau de la mer n'a pas, que je sache, la moindre propriété spéciale d'épuration; il se formera des dépôts de vase et des nappes de matières flottantes infectes. Tandis que la Seine entraîne les détritus des égouts en aval de Clichy et les oxyde peu à peu en s'épurant elle-même, la mer ne fera que les ballotter à gauche et à droite et répandra l'infection sur les plages charmantes de la Seine-Inférieure. L'exemple de Londres est topique; la marée remonte les eaux d'égout jusqu'à Teddington et altère la Tamise en amont et en aval des débouchés de Barking et de Crosness. Danzic, voisine de la mer, n'y rejette plus ses eaux d'égout; j'ai étudié des projets d'épuration pour Odessa, Cannes, Nice, le Havre, tant il est vrai que le déversement à la mer n'est pas une solution. Il est à peine besoin de faire remarquer que le déversement à la mer anéantit une richesse agricole considérable; 100 mètres cubes d'eau d'égout représentent une tonne de fumier; et leur envoi à la mer sans utilisation constitue une perte sèche de 3,000 tonnes de fumier par 24 heures.

Nous voici donc ramenés au seul procédé que vous propose votre commission, l'épuration par le sol. Nous nous débarrasserons tout d'abord, si vous le voulez bien, des objections tirées de Gennevilliers. Elles ont changé de terrain vous vous rappelez, Messieurs, cette tournée que nous avons faite à Gennevilliers en 1878 avec le Congrès international d'hygiène; un groupe bruyant d'opposants, parmi lesquels se distinguaient déjà nos adversaires actuels, suivait les visiteurs en criant que la commune de Gennevilliers était perdue à tout jamais, empoisonnée par les irrigations; que les légumes étaient tous creux et pourris; il fallut emprunter la scie d'un menuisier pour couper sur place un choux gigantesque et en montrer l'excellente qualité, vous savez, Messieurs, ce qu'il est advenu de

tout ce bruit; une enquête, poursuivie avec un soin scrupuleux par plusieurs commissions et notamment par notre honorable président, M. le Dr Proust, a montré que l'état sanitaire de Gennevilliers était excellent; chacun de vous peut s'en convaincre en parcourant la plaine et causant avec les habitants; les cultures sont des plus prospères; le taux de location de l'hectare est monté de 100 francs à 450 francs. Nos drains, que plaisantait à la dernière séance M. Duverdy, écoulent une eau d'une pureté parfaite, qui se compose de toute l'eau d'égout épurée que n'ont pas évaporée le sol et les plantes, mélangée des tranches supérieures de la nappe souterraine que nous maintenons ainsi à un niveau convenable pour éviter l'inondation des caves.

« Mais, nous dit-on, ce n'est pas Gennevilliers que vous allez répéter à Achères», et on lance de nouveau le gros mot de dépotoir. «A Gennevilliers la culture est libre et à Achères l'épuration sera « forcée; vous inondez ce pays d'une couche d'eau infecte au lieu « de faire l'irrigation facultative en rigoles. » Messieurs, les personnes qui répètent sans cesse cette objection n'ont pas encore compris ou ne veulent pas comprendre l'épuration par le sol; elles pensent en outre qu'aucun de vous ne voudra se donner la peine d'aller en tramway jusqu'à Gennevilliers et de voir ce qui s'y passe en hiver. Vous le savez, Messieurs, ce n'est pas la végétation, mais bien le sol qui épure; cette épuration se fait par le passage des liquides chargés de matières organiques à travers les interstices d'un sol perméable où les particules, divisées à l'infini, s'oxydent au contact de l'air et donnent de l'acide azotique, sans doute sous l'influence d'un microbe spécial, suivant les beaux travaux de MM. Schoesing et Müntz. L'épuration se fait en tout temps, en hiver comme en été; mais dès que la saison le permet, l'utilisation agricole peut profiter de l'épuration et fournir aux plantes les azotales formées dans le sol. Les matières organiques solides, retenues à la surface, forment en outre un excellent produit de colmatage. L'opération se continue ainsi à Gennevilliers, précisément dans les conditions où elle se fera à Achères; l'eau circule en tout temps en rigoles et revient tous les deux ou trois jours sur la même pièce. Nous avons consommé cette année plus de 20 millions de mètres cubes au 1er décembre sur 500 à 600 hectares, et pendant les mois d'automne et d'hiver nous continuons à déverser 1,500,000 mètres cubes sur les terrains, nos cantonniers assurant la distribution en l'absence des cultivateurs. C'est exactement ce que nous ferons à Achères le terrain y est excellent; il est formé sur plusieurs mètres d'épaisseur d'alluvions modernes et anciennes d'une extrême perméabilité; l'eau d'égout y sera répartie par intermittences à l'aide de rigoles; on y fera des cultures, dès que la saison le permettra; nous avons déjà des demandes de concession, tant sur les terrains

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