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blique, est loin d'assurer la restitution à l'agriculture des immenses richesses fertilisantes que contiennent les eaux d'égout.

Considérant, d'autre part, que le projet d'un canal d'assainissement de Paris à la mer présenté par son auteur, M. A. Dumont, ancien ingénieur en chef des ponts et chaussées, à l'Institut de France, dans sa séance du 27 octobre 1884, peut et doit réaliser d'abord et d'une manière intégrale l'assainissement de la Seine;

Que, traversant de vastes surfaces agricoles, il assurera, autant que possible, l'utilisation des eaux d'égout;

Considérant que l'exécution de ce projet paraît d'une réalisation facile; que le prix des travaux à exécuter semble loin d'être hors de proportion avec les immenses avantages qui doivent résulter de son exécution;

Pour ces motifs :

La Société de médecine publique est d'avis de recommander à l'attention du Conseil municipal de la ville de Paris et à celle des ministres compétents, le projet de M. A. Dumont ou tout autre analogue, la Société estimant que seul, le projet qui conduira les eaux d'égout vers la mer en passant par les plateaux, sera de nature à résoudre le problème si grave en ses conséquences de l'assainissement absolu de la Seine et de l'utilisation, aussi complète que possible, des eaux d'égout.

M. TRÉLAT (Émile). — Les orateurs qui ont occupé cette tribune depuis l'ouverture de la discussion n'auront pas réussi, je l'espère, à vous faire oublier la question que vous avez à traiter. Mais ils vous en ont distrait, cela n'est pas douteux. On n'entend pas la passion un peu âpre de M. le docteur Larger, ou l'imagination abondante de M. Duverdy, ou la commisération émue de M. le docteur Salet, discourir pendant des heures sur les choses les plus diverses, sans se trouver emporté bien loin; et je n'hésite pas à penser que ceux de mes honorables collègues, qui n'ont pas une compétence immédiate dans le sujet, sont, à l'heure qu'il est, dévoyés ou tout au moins fort inquiets. C'est la tâche de votre rapporteur de calmer ces inquiétudes, et c'est son devoir de vous ramener à l'objet de vos délibérations.

Depuis quatre années, Messieurs, que vous nous avez confié l'étude du régime sanitaire des résidus de la vie dans les grandes agglomérations, nous vous avons présenté trois rapports correspondant aux trois parties, qu'une analyse méthodique nous avait amenés à distinguer dans notre sujet la maison, la voie publique, la banlieue. Nos conclusions ont été les suivantes :

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Pour la maison :

« Les vidanges ne séjourneront pas dans les maisons; elles en " sortiront dans le plus bref délai. »

Pour la voie publique :

«En sortant du dernier siphon de la maison, les matières alvines « doivent être directement menées à l'égout.

« La conduite d'apport doit être un tuyau fermé projetant immédiatement les matières dans le flot de l'égout.

« Les matières doivent tomber à l'égout dans un courant d'eau suffisant pour y être diluées jusqu'à devenir inoffensives, et pour ètre entraînées sans repos jusqu'aux débouchés extérieurs des grands collecteurs. ▾

Pour la banlieue :

Les eaux d'égout seront employées en épandages sur des sols perméables. Les épandages se feront sur chaque hectare en quan« tités proportionnées à la profondeur et au degré de perméabilité « de ces sols. »>

Je vous prie, Messieurs, de remarquer le caractère d'absolue généralité qui distingue ces résolutions. La dernière, qui est celle que vous discutez aujourd'hui, ne le cède en rien à cet égard aux précédentes. C'est qu'en effet, bien qu'elle ait entrepris son étude à l'occasion d'un mémoire sur les mesures à proposer au Conseil municipal de Paris, la Société de médecine publique ne devait procéder ici qu'en vue de poser des principes, de montrer le sens des solutions, de fixer, en un mot, le cadre dans lequel devaient jouer les applications. Si votre Commission a bien fait de considérer qu'au delà de cette tâche votre autorité scientifique ne pouvait que se perdre dans le conflit des intérêts, et votre utilité sociale s'éteindre dans l'incompatibilité des préceptes, s'il est bon que la Société produise une opinion positive et précise dans la pressante question du régime des résidus des grandes villes, vous n'admettrez pas que notre discussion s'égare plus longtemps dans les voies où l'on vient de l'engager.

Regardez, je vous en prie, Messieurs, où nous allons.

Vos commissaires viennent vous dire que la salubrité des villes commande de répandre les eaux d'égout sur des sols perméables, et qu'il y a urgence à le professer publiquement. Que faisons-nous depuis deux séances? Examinons-nous si les avantages de ce procédé sont réels? Non.

Nous écoutons plaider cette thèse : Qu'il ne faut pas conduire les eaux d'égout de Paris dans la forêt de Saint-Germain.

Je veux bien que cette question locale mérite votre attention. Mais j'affirme que ce n'est pas aujourd'hui que vous pouvez la lui accorder; et que, si vous le faisiez, ce serait véritablement que vous renonceriez à conclure sur l'étude fondamentale que vous avez en

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treprise. Je vous ramènerai donc aux conclusions de notre rapport. Mais je ne puis le tenter immédiatement; car on a fait miroiter devant vous des considérations si étonnantes, on vous a intéressé à tant de choses, on vous a exposé des théories si inattendues, que - j'en juge par moi-même vos esprits n'ont pu échapper au trouble qu'y laisse toujours le concours d'idées tumultueuses. J'ai donc besoin de vous prier d'oublier beaucoup de choses et de n'en pas croire beaucoup d'autres, avant de vous remettre avec calme en face de nos conclusions si simples.

La belle application de Gennevilliers qui s'exerce aujourd'hui sur plus de 600 hectares, et qui se développe sans cesse depuis quinze ans qu'elle a commencé, embarrasse beaucoup nos contradicteurs. Ils ont longtemps essayé de la faire passer pour une source de pestilence. Ils paraissaient y avoir renoncé. Mais voici M. le Dr Larger qui reprend la thèse. Heureusement qu'il est plus facile d'argumenter autour d'une réalité que d'en supprimer l'existence. La réalité ici, c'est que la population croît dans la plaine de Gennevilliers à mesure que les épandages d'eaux d'égouts s'y développent. Et c'est pour cela que nos convictions se sont assises et pour cela que nous voulons étendre les bienfaits constatés à Gennevillers.

On a répété ici ce qu'on avait déjà dit vingt fois en d'autres lieux. On a répété que Gennevilliers était un atelier inconstant; qu'il perdait toute son activité pendant les pluies persistantes et les inondations. Notre réponse a toujours été et sera toujours la même Entendez-vous donc aussi que les égouts des villes sont inutiles, parce qu'ils manquent de temps en temps de débouchés; que les routes et les chemins de fer ne servent à rien, parce qu'ils sont quelquefois interceptés par les neiges ou par les coupures des ponts emportés; que la mer n'est pas bienfaisante aux hommes, parce qu'elle a des tempêtes? Alors même que vous entendriez cela, nous vous montrerions qu'à Gennevilliers, si la profondeur du sol chome pendant les grandes eaux, la surface profite de lavages généraux, dont l'ampleur et l'énergie sont des compensations plus que suffisantes à l'interruption de l'atelier normal.

Voici, Messieurs, un argument moins vieilli certainement, et qui ne manque pas de surprendre M. Duverdy a découvert qu'à Gennevilliers l'eau recueillie après l'opération dans le sol, n'est pas l'eau d'égout répandue à la surface. Cette eau claire et limpide est tout simplement, parait-il, l'eau de la nappe qu'alimentent les hauteurs du mont Valérien et de Saint-Cloud. Je n'y veux pas contredire. Mais je propose encore une question à M. Duverdy: Que devient donc l'eau d'épandage? Pense-t-il qu'elle passe totalement en vapeurs débitées dans l'air par les plantes? Les intéressantes expériences de M. Marié-Davy ont bien montré combien est actif ce mode de soustraction du liquide. Mais il serait vraiment

difficile de se laisser aller, pour comprendre M. Duverdy, jusqu'à dire que les champs de Gennevilliers sont de simples ateliers d'évaporation. Vous ne pouvez pas croire cela, Messieurs.

Mais les irrigations de Gennevilliers ne sont pas seules à préoccuper nos contradicteurs. Ils n'aiment pas entendre parler du nettoyage de la Seine. Si toutes les immondices parisiennes tombaient régulièrement au fleuve sans affliger personne, il ne serait plus jamais question de les répandre sur les terres. De cette pensée est née l'apologie, que MM. Larger et Duverdy vous ont faite, de la Seine dans son état actuel. C'est l'argumentation la plus inattendue, et j'oserai dire la plus témeraire. M. le Dr Larger vous a prouvé, d'une part que tout était sain aux rives du fleuve noirci par les excreta parisiens; et, de l'autre, M. Duverdy vous a montré que les eaux de la Seine sont perdues à jamais, qu'elles sont toujours corrompues et qu'elles ne pourront plus servir à l'alimentation ».

Vous voyez, Messieurs, la portée de la double assertion. A quoi bon assainir la Seine, puisqu'on s'y porte bien dans son voisinage, quand elle est polluée ? - Pourquoi se tourmenter du nettoyage des eaux du fleuve, puisqu'elles sont à tout jamais condamnées à l'impureté par le régime hydraulique auquel elles sont désormais soumises ? Et alors, tout est pour le mieux dans les grandes cités traversées par une rivière; il n'y a qu'à y conduire au plus vite la totalité des excreta. Me suis-je donc trop avancé, Messieurs, en disant que l'argumentation était téméraire ? Mais elle ne l'est pas seulement dans la conclusion qu'elle impose; elle l'est particulièrement dans son exposé. Que vous a dit M. Duverdy? Les besoins de la navigation ont exigé l'établissement de nombreux barrages sur la Seine; ces barrages ont transformé l'inclinaison continue de la surface en une suite de plans d'eaux horizontaux qui s'échelonnent à chaque barrage, si bien que le courant est complètement supprimé et que la Seine ne débite plus que l'eau dépensée à l'écluse pour le passage des bateaux. La rivière ainsi aménagée n'est plus qu'un canal et un canal qu'on ne cure pas; car, où mettrait-on les eaux pendant le curage? La Seine avec ses barrages n'est donc plus qu'une suite de bassins qui s'envasent et où croupissent des eaux dormantes.

C'est là, Messieurs, une singulière hydraulique! Je suis d'autant plus porté à vous prémunir contre elle, que son auteur l'a exposée devant vous,' non seulement avec le talent de parole que vous savez, mais avec une verve dont l'éclat vous a sûrement tous frappés. Je vous assure, Messieurs, que c'est un portrait inexact, infidèle, mauvais, que celui qui vous a été fait de la Seine. Les barrages bienfaisants de la Seine n'ont pas fait de cette rivière un cours d'eau sans courant, une suite de bassins emplis d'eau dormante. Le fleuve

y débite par seconde quarante mètres cubes à l'étiage; jusqu'à deux mille mètres cubes, et plus, en temps de crues. Croyez-le, aucun aménagement du lit du fleuve ne peut arrêter cette dépense, qui est après l'établissement des barrages ce qu'elle était avant. Vous la voyez se faire sous vos yeux à la crète des retenues, où l'eau se déverse en cascade sur toute la longueur de l'ouvrage. Il est vraiment difficile de prendre au sérieux la théorie de M. Duverdy, qui ne voit d'autre renouvellement de l'eau des biefs que celui qui résulte de la très minime dépense de l'écluse au passage des bateaux. La Seine, qui doit toutes ses eaux à la Manche, ne peut pas perdre

son cours.

Mais il y a plus. M. Duverdy a omis de vous dire que les barrages, auquels il impute de si grands maux, sont mobiles; qu'ils ne retiennent pas constamment l'eau ; qu'ils s'ouvrent en partie ou disparaissent complètement, selon que le débit de la rivière augmente ou devient excessif. Et, alors vous voyez se produire des nettoyages de fond bien autrement efficaces que les misérables curages de canaux qu'on s'est efforcé de vous faire regretter dans notre Seine. Il se fait des chasses d'eau qui pèsent sur le fond, qui le ramènent et qui entraînent avant tout les vases; ce qui ne veut pas dire que, mème pourvue de barrages mobiles, une rivière puisse impunément encombrer son lit d'immondices. Ces rectifications ne sont pas faites, Messieurs, pour donner crédit à l'hydraulique, sous les auspices de laquelle notre honorable collègue M. Duverdy a placé son irrévocable condamnation des eaux de la Seine; mais elles ramènent à l'idée juste, à celle qu'ont adoptée tous ceux qui ont étudié la question sans parti pris, à l'idée absolue qu'il ne faut pas laisser polluer la rivière d'une grande ville et qu'en conséquence on doit jeter les eaux d'égout autre part que dans son

cours.

Nos contradicteurs ont pris l'habitude de nous opposer une considération de M. Pasteur qui ne peut guère avancer la solution que nous poursuivons, mais qui ne manque pas de troubler les esprits. Ils peignent l'effroi dont est saisi M. Pasteur à la pensée que l'épandage des eaux d'égout sur les sols d'épuration y apporte et y accumule les germes de maladies contagieuses qui peuvent exister dans les résidus liquides des villes, et dont quelques-uns, comme il l'a montré, ont une prodigieuse longévité. M. Duverdy est encore resté une fois fidèle à cette habitude. Je ne puis pas, Messieurs, vous imposer la fatigue d'entendre redire ce que nous avons répété souvent les uns ou les autres, ce qui est résumé dans le rapport que vous avez en main. Permettez-moi pourtant d'observer que la considération qu'on invoque ici n'est que la formule d'un sentiment; que, dans ces conditions, la mise en scène du grand nom de M. Pasteur est presque un procédé d'intimidation et, tout au moins,

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