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on n'en trouve déjà plus. Sur la première goutte desséchée, on peut aussi en faire évaporer une seconde et une troisième, pour charger la préparation, ce qui n'a d'inconvénient que lorsque les eaux sont riches en sels, au point de former un dépôt abondant qui gêne l'examen.

Certaines eaux ne contiennent qu'un trop petit nombre d'organismes pour qu'il soit possible de les mettre en évidence sans . avoir recours à un des deux artifices de condensation suivants: Le premier consiste à maintenir un flacon, bien bouché mais incomplètement rempli de l'eau à examiner, pendant trois jours à une température de 20 à 25o; après ce temps, les bacilles se sont assez multipliés pour qu'on puisse les trouver facilement. Le même résultat est encore obtenu en remplissant plusieurs bouteilles de l'eau suspecte, après les avoir préalablement bien lavées avec la même eau, et en prélevant sur chacune d'elles quelques centimètres cubes pris uniquement à la surface. Il est bon, quand on veut avoir des bacilles très vivaces, de laisser les bouteilles exposées 24 heures seulement à une température de 25. Avec ce dernier procédé, la condensation microbique est considérable, mais elle a pour résultat la mort rapide des bacilles, qui paraissent ne pouvoir vivre longtemps dans un milieu aussi encombré; dès le second jour, il se fait une purification spontanée de l'eau, et après le quatrième on ne trouve presque plus de virgules, tandis que dans l'eau non artificiellement chargée, elles sont encore fort vivaces après une huitaine de jours.

Vers la fin du mois de septembre dernier, les eaux de la Basse-Deûle, à Lille, que nous avons examinées suivant ces divers procédés, se sont montrées richement peuplées de bacilles courbes semblables à ceux que nous avions trouvés quelques jours auparavant chez nos cholériques. Comme on peut le voir sur la figure ci-contre (fig. 7), ces bacilles présentaient des formes légèrement variées, parmi lesquelles celle qui correspond exactement à la description du bacille cholérique était la plus rare; les autres, d'ailleurs, en différaient peu, et il est admissible qu'elles ne soient que des modifications du même organisme, survenues sous l'influence de conditions de milieu plus ou moins favorables à son développement. C'est là d'ailleurs

l'appréciation qu'a bien voulu nous donner de cette apparence M. Rietsch à qui nous avons adressé quelques-unes de nos préparations, et qui remarqua que nos virgules étaient peutêtre un peu plus grasses que les siennes. Depuis cette époque, de temps à autre nous examinons l'eau de ce même canal-égout de la Basse-Deûle, et nous y trouvons toujours les mêmes organismes. Un échantillon pris le 20 novembre se montra surtout riche en bacilles courbes ou tout semblables à ceux de Marseille; quelques chaudes journées avaient précédé la prise de cet échantillon.

Le 10 novembre, alors que l'épidémie cholérique était dans son plein à Paris, nous avons recueilli de l'eau de Seine et de l'eau d'égout, dans le quartier du Châtelet. Examinée le lendemain, l'eau de Seine s'est montrée fourmillant de bacilles courbes vivaces; après coloration, sans condensation, il n'était pas rare d'en rencontrer jusqu'à dix sur le champ du microscope; de petites colonies, formées de cinq à six bacilles, se montraient cà et là. Tous, à de rares exceptions, répondaient au type cholérique proprement dit, sans mélanges de formes incertaines ni douteuses (fig. 4). L'eau d'égout en était moins richement peuplée: on n'en rencontrait souvent que deux ou trois dans le champ de l'objectif; par contre, les autres formes étaient plus fréquentes, et les microbes droits vulgaires étaient, comme bien on pense, fort nombreux (fig. 6).

Dans l'eau de source d'Emmerin, qui alimente Lille, nous avons décelé, par le procédé de la culture spontanée en bouteille la présence de bacilles courbes très nets, mais remarquables par leurs petites dimensions, en rapport sans doute avec leur jeune âge (fig. 8). Un examen précédent, fait sans condensation, avait été négatif; notre deuxième examen fut fait d'ailleurs vers le 20 novembre, époque à laquelle quelques cas bénins de choléra étaient observés à Lille.

Jusqu'ici, il n'y a rien qui puisse contrarier les adeptes enthousiastes du microbe courbe pathogène; le choléra régnait à Paris; on pouvait aussi le soupçonner de frapper quelques coups peu bruyants à Lille, et on pouvait penser tenir le coupable; mais le fait qui suit, et dont on trouvera sans doute bien d'au

tres exemples, est d'une interprétation un peu différente. Ce fait est celui de la présence des mêmes micro-organismes dans une eau qui nous a été envoyée, le 25 novembre dernier de Bruyères, petite localité du département de Seine-et-Oise, dans laquelle rien ne ressemblant de près ou de loin à du choléra n'a été observé. Cependant, ce sont encore les mêmes bacilles courbes que nous avons trouvés, fort nombreux même, et de la variété ténue et déliée qui correspond au type cholérigène (fig. 9) 1.

Enfin, sur une pomme de terre qui nous servait de témoin lors d'un essai de culture, et qui n'avait pu s'ensemencer qu'avec les poussières répandues dans l'atmosphère de la cloche dont elle était recouverte, nous avons recueilli de petites colonies de microbes courbes dont les caractères morphologiques sont encore les mêmes que ceux des bacilles trouvés dans les intestins cholériques, et dans les diverses eaux suspectes ou non suspectes que nous avons examinées (fig. 10).

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III. Si on veut bien examiner de près les planches ci-contre dont les figures reproduisent aussi fidèlement que possible toutes les formes qui nous ont paru caractéristiques, on constatera que ces divers bacilles courbes ne diffèrent que peu entre eux, à l'exception toutefois de quelques organismes plus ou moins épais, mais démesurément allongés: encore observet-on tous les intermédiaires entre ces formes longues et les formes les plus courtes. Presque tous les autres sont conformes au type fixé par M. Koch, qui décrit ses bacilles cholérigènes comme ayant la moitié ou les deux tiers de la longueur des bacilles de la tuberculose, un peu plus gros que ceux-ci, moins réguliers, et pourvus d'une légère courbure qui les fait ressembler à une virgule, ou d'une double courbure qui leur donne la forme d'un S. Nous avons retrouvé aussi la forme en chapelet, ou

1. Depuis ce dernier examen, dans les derniers jours de décembre, nous avons encore rencontré les mêmes bacilles courbes dans l'eau d'un puits qui alimente la caserne des chasseurs à pied, à Lille, eau de parfaite qualité d'ailleurs, si on en juge par l'excellent état sanitaire de ce corps.

plutôt en vis, qui leur donne une grande ressemblance avec les spirilles de la fièvre récurrente (fig. 7 et 10).

L'impression générale qui résulte de l'examen d'un grand nombre de préparations et de leur comparaison, c'est que les bacilles courbes vivant dans les eaux d'égoût, c'est-à-dire dans des milieux riches en matières susceptibles de servir à leur nutrition, sont plus épais, plus gras, que ceux qu'on rencontre dans les eaux courantes. Ce ne sont sans doute là que des modifications sans importance en rapport seulement avec les conditions de milieu.

Après un mois de séjour en bouteille, nous avons examiné de nouveau l'eau de Seine prise au Châtelet le 10 novembre: les bacilles courbes y avaient notablement diminué de nombre, et presque tous les survivants avaient pris des formes irrégulières, bosselées, dues au développement à l'une de leurs extrémités d'une spore qui leur donnait bien l'aspect de virgules (fig. 5). La forme épaissie dans le milieu et aminciè aux extrémités n'était pas non plus rare: c'est celle qu'on a qualifiée d'accent circonflexe.

Le comma, la virgule, l'accent circonflexe, la parenthèse aussi, que rappellent les formes allongées, on voit que tout l'arsenal de l'accentuation paraît devoir être insuffisant pour caractériser les diverses formes des bacilles courbes; mais l'association presque constante de ces diverses formes dans une même eau enlève toute importance à leur différenciation exacte.

Il est probable que les recherches des bacilles courbes iront se multipliant, et les analyses bactérioscopiques des eaux, qui tendent à se substituer à leur analyse chimique, en amèneront sans doute la découverte dans toutes les eaux polluées, susceptibles de leur servir de milieu de culture.

Comme le pensent MM. Nicati et Rietsch, l'existence des spores de ces microbes dans l'air pourrait seule expliquer leur présence un peu ubiquitaire, mais nous ne saurions accepter la différenciation morphologique que ces observateurs veulent établir entre ces organismes et ceux dont ils étudient

les propriétés biologiques et pathogéniques, suivant la voie tracée par M. Koch.

Nous reconnaissons que la forme d'un microbe ne signifie rien pour établir sa spécificité, et cela d'autant plus volontiers que l'école pastorienne a toujours soutenu ce principe; oubliant que M. Koch n'a pas toujours été de cet avis, nous attendons qu'il ait prouvé la spécificité de son microbe par l'expérimentation; mais nous soutenons l'identité de forme de ce dernier avec un micro-organisme très répandu parmi les divers bacilles courbes des eaux que nous avons examinées.

Si la spécificité du bacille-comma était abandonnée quelque jour par son auteur, nous en conclurions qu'il est décidément le même que celui que nous avons observé; mais si, au contraire, cette spécificité venait à être établie, nous ne pourrions nous défendre de l'idée que c'est encore lui que nous avons rencontré, et que, par ces temps d'épidémie cholérique, sa présence un peu partout, à divers degrés de virulence atténuée, pourrait bien donner l'explication des constitutions médicales, d'autant que la transmission du choléra par l'air paraît difficile à nier, et que la présence de ses germes dans l'atmosphère doit en conséquence être acceptée.

Avant ces derniers temps, on ignorait la présence de bacilles courbes dans les eaux, et on ne peut savoir s'ils y sont apparus en même temps que le choléra se répandait chez nous; il sera intéressant de rechercher ce qu'ils sont devenus quand la maladie indienne nous aura quittés depuis quelque temps.

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