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pit de leur sotte jactance; ils le sont aujourd'hui plus que jamais! Ils se disent souverains, et leurs représentans les ont vendus au despote! Ils nomment leurs agens, et ces agens les pillent, les maltraitent, les oppriment, les bravent et se jouent de leurs vaines clameurs. Ils ont pris les armes pour défendre leurs droits, et ils ne sont que d'aveugles satellites, dévoués aux ordres des scélérats conjurés pour les remettre à la chaîne.

› Pauvre peuple, objet de leurs dédains éternels, de leurs injustices, de leurs outrages; toi qu'ils ont condamné à la misère, et qu'i's comptent pour rien; s'il nous reste encore quelque espoir, il repose uniquement sur toi; sauve la patrie prête à périr. Cours en foule au sénat, dénonce à grands cris les municipaux prévaricateurs de la police; demandé que toutes ces maisons de jeu, vrais repaires de brigands, soient fermées; demande que le bien des pauvres ne soit plus la proie d'une horde de scélérats; fais retentir les airs de tes tristes gémissemens: peut-être qu'un reste de pudeur forcera les pères-conscrits à te faire justice. Ce n'est qu'en abolissant ces jeux infàmes, qu'ils prouveront à la France qu'ils ne les soutiennent pas comme un moyen de contrerévolution.

› En attendant qu'ils les abolissent, ô vous mes frères d'armes, vrais amis de la liberté, tracez l'effrayant tableau des atrocités qui se commettent impunément dans la capitale; faites le circuler dans les provinces, que les citoyens dans toute l'étendue de l'empire français, apprennent à quels dangers leurs délégués infidèles exposent la patrie, avec quel mépris, ils se jouent de la nation. >

Dans son numéro du 11 février, Marat publie une lettre nouvelle, aussi riche en renseignemens que la première. « Ce 9 février 1791. Vous nous avez peint avec des couleurs bien sombres, mon cher Marat, les tripots de la section du Palais-Royal; mais ces couleurs sont encore trop peu rembrunies.... Bientôt le Palais-Royal sera un coupe-gorge, et si l'assemblée nationale, au lieu de s'amuser à des niaiseries, ne vient pas à notre secours, Paris ne sera bientôt plus qu'une repaire de boucans et de brelans. Voici une liste de

maisons de jeu que vous n'avez pas encore dénoncées, et qui méritent pourtant bien de l'être. Je les désignerai par les personsonnages qui les tiennent.

Rue de Cléry. La soi-disant baronne de Monmouy,, fameuse par la subtilité de ses mains. Au nombre infini des dupes qu'elle a faites, elle vient de joindre le fameux peintre Hallé, qu'elle ne quittera qu'à la besace. Observez. que pour être recu dans cette maison, il faut être franc ministériel, ou tout au moins aristocrate fieffé: tels sont les sapajous conduits par la séquelle des nymphes antiques qui la bantent.

Rue de Richelieu. La soi-disant dame Leberge, aimant bien le jeu, et plus encore le plaisir. Quoiqu'elle affiche les grands airs, et qu'elle se livre au premier venu avec la facilité d'une femme de la cour, elle a un petit ami de coeur, peu huppé, qu'elle gratific d'une paire de souliers chaque mois.

Rue Vivienne. La soi-disant dame Rémond, ayant quitté les boulevards pour donner à jouer chaque soir, à danser deux fois par semaine, et à coucher toutes les nuits. On prétend qu'il ne lui est pas possible de résister à un homme qui a la jambe belle, fùt-il bourreau.

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Rue Neuve-des-Petits-Champs. La soi-disant dame Liquière, peu jolie, mais très-aimable quand elle veut, ayant de l'esprit comme Ninon, des mains à la Polignac, et l'esprit d'ordre de la Guimard.

Rue Saint-Marc. La soi-disant dame Dorozelle, plus malheureuse que coupable, ayant été à la Force par ordre d'un juge du nouveau tribunal de police, dont elle était dans l'impuissance de payer la protection. La soi-disant dame Roncé, petite blonde sans âme, trop neuve pour faire for'une avec des cartes, et s'amusant à la tenter, en passant de faux billets de caisse. La soi-disant comtesse Auguste, si fameuse par la querelle que lui a faite avec la police, le petit Boucher, secrétaire de Bailly, pour se venger de n'avoir pu s'en faire aimer, quoiqu'elle soit d'un naturel très-aimant, comme le veut le nommé Boursolles; qui se plaint de cette inconstante et le jour et la nuit.

Rue des Filles-Saint-Thomas. La soi-disant demoiselle Guérin, bonne personne, dont le cœur n'est pas encore gâté, et dont les hommes honnêtes déplorent l'infortune; on la dit trop vive pour

escamoter.

Rue de Louvois. La soi-disant dame Guadagny, ayant trop peu d'astuce et trop de penchant au plaisir, pour faire fortune au jeu; elle est la rivale malheureuse de la petite Guérin, `elle ne s'en console pas.

Rue Neuve-Saint-Eustache. La soi-disant dame Lambert, bonne pâte de femme, dont la maison n'a point l'air tripot. La soidisant dame Lebrun, pendant passable de la bonne Lambert, Rue Sainte-Anne. La soi-disant dame Manon, digne élève des escrocs avec lesquels elle a toujours vécu.

Rue de Richelieu. La soi-disant Châteauminóis, provençale surannée, mais dont les malheureuses dispositions pour le 31 se sont développées sous les auspices de nos augustes législateurs, Chapelier, Maury, Cazalès, Dandré, Malouet, Regnier, Foucault, Montlausier, etc.

La soi-disant dame Delatour, ample prêtresse de Vénus et de Bacchus, donnant leçon aux jeunes gens et dans un boudoir, et à une table à jeu.

Rue de Grammont. La soi-disant dame Malingnant, pensionnaire du sieur Audoucet, très-adroite à cacher l'odeur de l'onguent gris sous les parfuns de la tubéreuse, mais peu féconde en jargon, malgré les soins de Champrenets.

Au Palais-Royal. Les soi-disant Dusaillant et d'Emailly, qui n'ont pour plaire à ceux qu'elles s'efforcent de ruiner que leur table et leur parure.

Rue Notre-Dame-des-Victoires. La soi-disant baronne de Lisembat, grande-héroïne des coulisses, bien que sexagénaire et à moustaches grises, comme le sapeur des vétérans; des dépouilles de ses adorateurs, elle s'est fait une bonne maison. Le sage Riquetti vient d'y faire retraite pendant quinze jours, dans la vue de méditer à son aise le plan des artifices qu'il développera pour leurrer les badauds de l'armée parisienne, et s'en faire nommer

le commandant-général. Et comme il faut toujours qu'elle conserve le souvenir de ses chers amis, on assure qu'elle a escamoté l'étui d'or, plein d'assignats, que Riquetti a reçu de la part de Léopold, pour proposer dans le comité ecclésiastique la restitution de l'Alsace et de la Lorraine. La médisance publie que c'est pour se venger de ce rapt; que le vertueux Riquetti a invité la députation municipale du 8 (voir plus haut, tom. 8), de réprimer les maisons de jeu, qui se multiplient chaque jour dans Paris. On aura lieu de le croire, si ce sénateur et la municipalité s'en tiennent là. Un peu de patience, et nous verrons si les tribunes ont eu tort d'applaudir, ›

Une rumeur populaire, difficile à décrire, éclata, à la suite de ces dénonciations. Les compagnies du centre de la garde nationale, munies du pouvoir de leurs sections respectives, se mirent à la chasse des maisons de jeu, avec une grande activité. Chaque jour, des pétitions à la municipalité dans lesquelles étaient hautement condamnée la loterie elle-même, demandaient qu'une mesure vigoureuse fermât, à tout jamais, ces sources de corruption. Sollicité de toutes parts, et mis en demeure d'agir sur des scandales que la publicité livrait au grand jour, le corps municipal se hâta, ét le 17 février, il envoya une députation à l'assemblée nationale. L'orateur, l'abbé Mulot, s'exprima ainsi : «A mesure que vos lois nous régénèrent, nous souffrons davantage du reste des désordres. L'ancien régime avait laissé des habitudes odieuses qu'il tolérait à la honte des mœurs. Un nouvel ordre succède; mais pendant qu'il s'établit, la licence des, jeux s'accroît tous les jours par l'impunité. Toutes les fois que, sans risquer de causer des secousses dangereuses, l'ancienne et la nouvelle municipalité ont cru pouvoir mettre à exécution les anciennes ordonnances, elles l'ont fait; mais presque toujours leurs efforts ont été impuissans. 3000 maisons de jeux se sont successivement ouvertes dans la capitale. Elles tentent la misère, séduisent la faiblesse, et favorisent la mauvaise foi. L'homme vient demander à la fortune infidèle ce qu'il ne veut plus obtenir du travail. De là viennent le vol, l'assassinat et le suicide. Pour combler ces

abîmes, vainement on recourt aux lois. Tous les réglemens présentent le jeu comme un aélit; mais aucun ne donne le moyen de constater ce délit, par conséquent de le prévenir. Les crimes se multiplient, et la source des malheurs est sous vos yeux; l'appåt perfide est placé même jusque sur votre passage, et le meilleur des rois en a la vue blessée des fenêtres de son palais. Augmentez, s'il se peut, votre gloire. Veuillez décréter une loi qui prononce dans quelle classe ce délit doit être placé, qui détermine le genre de preuves qu'il faudra fournir pour le constater, et la peine qu'il devra encourir. Nous vous remettrons à ce sujet un travail qui est la preuve de notre zèle et des soins. que nous avons pris pour cette partie de la police de la capitale. Heureuse la municipalité de pouvoir venir déposer dans le sein de l'assemblée nationale, ses espérances et son dévoûment!..

M. le président (Duport) répondit : «L'assemblée nationale võit avec satisfaction les motifs qui vous animent. Elle voudrait voir tous les Français avec les mœurs des hommes libres. Ce serait la plus douce récompense de ses travaux. C'est dans les maisons de jeux qu'on fait l'apprentissage de tous les vices, cette passion funeste mène de l'égoïsme à la bassesse, et souvent au crime. C'est là que l'homme apprend à moins aimer sa femme et ses enfans. C'est là qu'il perd les vertus qui font le bonheur de la société. L'assemblée pèsera dans sa sagesse les moyens d'apporter un remède à ce mal. Elle vous invite à assister à sa séance.»

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Talleyrand qu'on supposait alors en concurrence avec Sieyes pour l'évêché de Paris, était accusé publiquement d'avoir gagné six à sept cent mille francs dans les maisons de jeu. Voici comment i s'en explique lui-même dans une lettre aux au teurs de la Chronique : « J'ai gagné, dans l'espace de deux mois, non dans des maisons de jeu, mais dans la société ou au club des échecs, regardé presqu'en tout temps, par la nature même de son institution, comme une maison particulière, environ trente mille francs. Je rétablis ici l'exactitude des faits sans avoir l'intention de les justifier. Le goût du jeu s'est répandu d'une manière même importune dans la société. Je ne l'aimai jamais, et

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