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rieures, l'alliance de la coalition et de l'émigration, la résistance des frères du roi, des princes et de la noblesse aux objurgations de Louis XVI, de Marie-Antoinette, les pressant de déposer les armes, de cesser leurs intrigues et de rentrer dans leurs foyers.

Cette résistance fut le plus impolitique des calculs, la plus coupable des erreurs, et elle fournit aux adversaires de la monarchie le plus légitime, le plus irritant de ses griefs.

La guerre étrangère, en poussant les passions à l'extrême, en exaspérant l'opinion, en donnant à la révolution l'irrésistible élan de la fierté nationale offensée, en lui communiquant la fièvre d'une sorte de patriotique délire, fit plus contre la royauté et le roi que la guerre civile de la Vendée elle-même. Elle rendit à jamais impossible, la conciliation espérée. Elle amena la défaite des modérés elle donna le pouvoir aux violents, aux enragés, comme on disait alors. Louis XVI périt plus par la faute de ses amis que par le crime de ses ennemis. L'émigration est, par voie de conséquence, la complice des pires excès de la révolution.

;

Mais si l'histoire a le droit d'être sévère, elle a le devoir d'être juste. La révolution, que ses adversaires combattaient par tous les moyens, et qui les employait tous contre eux, ne pouvait faire de distinction entre eux. Elle n'en fit pas, et ce tort des hommes fut aussi celui des circonstances. L'oeuvre de la justice, et il n'y a pas de justice sans distinction entre les crimes et sans gradation dans les peines, est essentiellement une œuvre de paix. Ce n'est qu'après la paix que la raison reprit son empire et qu'on put dire impunément qu'être suspect ce n'est

pas être convaincu, qu'être fugitif ce n'est pas être coupable, qu'être émigré ce n'est pas, ipso facto, mériter la mort. L'appréciation des actes n'est pas complète sous l'examen des mobiles, des intentions, des conséquences.

De là, quand le trouble général des consciences se fut apaisé, quand les fumées sanglantes de la lutte à outrance eurent disparu, les efforts et le triomphe de ces philosophes du pardon, de ces jurisconsultes de la clémence qui firent rentrer dans l'exécution d'une loi implacable de salut public le tempérament des circonstances atténuantes, qui classèrent enfin les émigrés en fugitifs involontaires, ou volontaires mais inoffensifs, et en émigrés armés, traîtres et rebelles, arrachant les premiers à la délation, à la confiscation, à l'échafaud, et n'abandonnant que les seconds à la vindicte publique.

Cette doctrine, soutenue après thermidor par Roederer, Morellet et plusieurs autres à leur exemple, ne tarda pas à l'emporter dans la pratique sur la théorie absolue de Merlin, auteur d'une loi inflexible, et qui avait trop peu tenu compte de la maxime : summum jus, summa injuria : le droit strict est souvent de l'injustice. C'est ce qu'un éminent écrivain, son biographe, a reconnu en ces ter

mes:

« Le Directoire le rappela de nouveau au ministère de la justice, dont les devoirs devinrent très-pénibles pour lui. Les partis avaient recommencé leurs entreprises; et gouverner se réduisait de nouveau et presque uniquement à combattre. Défenseur de l'ordre existant, au moyen de lois politiques souvent aussi passionnées que les partis euxmêmes, M. Merlin se servit d'elles quelquefois avec rigueur. Il éprouvait une sorte d'animosité patriotique contre ceux qui avaient quitté la France pour combattre la révolution, et ce sentiment, qui prenait

sa source dans l'amour de son pays et de sa cause, le disposait à être trop sévère envers les émigrés. Aussi se montrait-il à leur égard l'interprète inflexible d'une justice écrite dans la loi, mais qui n'était pas toujours avouée par l'équité 1.

C'est sous l'empire de cette double considération : 1° que l'émigration, à l'envisager à la fois au point de vue de l'intérêt du pays et à celui du salut de la monarchie fut, plus qu'un crime, fut une faute; 2o que dans cette appréciation de l'émigration, il faut se garder de confondre, comme le fit le gouvernement de la Terreur, comme n'a pas le droit de le faire l'histoire, l'émigration inoffensive et innocentc avec l'émigration armée, coupable de rebellion et de trahison; c'est sous l'empire de cette double considération que le lecteur impartial doit se placer, suivant nous, s'il veut juger en juge.

De 1789 à 1795, la question était loin d'être aussi claire. On était en ces temps terribles où la notion du juste et de l'injuste s'obscurcit, et où le plus difficile n'est pas de faire son devoir, mais de savoir où est le devoir. Aussi est-ce non sans douleur, mais sans surprise, que nous voyons un philosophe, un sage comme Malesherbes céder à l'irritation d'une classe privilégiée dont il ne partagea jamais les préjugés, et consulté par Chateaubriand, soutenir devant lui la légitimité de l'émigration, non-seulement comme le droit de fuir, mais encore comme le devoir de combattre, par tous les moyens, même avec l'appui de l'étranger, les fureurs révolutionnaires tenir, pour pousser dans l'armée des princes le futur au

1 Mignet, Notices et portraits historiques et littéraires, I, 312.

2 Mémoires d'outre-tombe, éd. grand in-8°, Bruxelles, 1852, t. I, p. 186.

1

et

teur de René, le même langage que Pitt, cherchant en vain à démontrer à M. de Narbonne la nécessité de l'intervention étrangère et à l'enrôler parmi les défenseurs de la coalition'.

M. de Malesherbes n'était pas le seul à considérer l'émigration comme un droit légitime où comme un mal inévitable. M. de Montlosier, dans ses Mémoires, après avoir toutefois donné la préférence à la guerre civile sur la guerre étrangère, conclut comme Malesherbes. Il fit plus, il agit en confirmité de son opinion et partit, dès le lendemain de la dissolution de l'Assemblée constituante, pour l'étranger, où l'avaient précédé ses collègues Monnier et Lally-Tollendal, et où il devait se rencontrer avec Malouet. Il raconte gaiement lui même comment il trouva le moyen de se faire payer par la caisse de la nation elle-même ses frais de poste jusqu'à Coblentz.

« Une aubaine à laquelle je ne m'attendais pas, c'est l'argent que l'Assemblée voulut bien nous donner pour nos frais de retour dans nos pays. Quand l'homme de notre comité des finances, qui était chargé de cette partie, vint me trouver pour me demander l'état de mes frais de poste, au lieu de compter le nombre des postes jusqu'à Clermont, où je ne voulais pas aller, il me parut plus simple, plus franc et plus gai de lui demander mes frais de poste jusqu'à Coblentz. « Cela ne ne fait rien, me dit-il, je ne suis pas chargé de savoir où vous allez. » Tout homme du côté gauche qu'il était, il compta alors avec moi en riant, dans son livre, les postes de Paris à Coblentz, et m'en paya les frais. Quand je racontais cela en suite à Foucaud et à Guilhermy, ils en riaient de tout cœur. Toutefois, par crainte d'indiscrétion, nous supputâmes en comparaison les postes de Paris à Clermont; la différence se trouva peu de chose 2. »

M. de Montlosier, parti si gaiement, ne riait déjà plus

1Villemain, Souvenirs contemporains d'histoire et de littérature, t. I, p. 62. 2 Mémoires de M. le comte de Montlosier, t. II, p. 341 à 345,

quard il eut traversé les préjugés féodaux, les prétentions auliques, les frivoles regrets, les plus frivoles espérances et les intrigues et les jalousies des divers centres de réfugiés français, l'émigration fate de Bruxelles, et l'émigration brouillonne de Coblentz. A peine arrivé aux cantonnements des bords du Rhin, il trouva dans le camp royaliste non l'union d'une même cause, mais les dissensions de mille partis qui se disputaient l'honneur et escomptaient d'avance les profits d'une chimérique victoire. Accueilli par le rire sardonique des uns, l'indifférence égoïste des autres, la résistance inhospitalière de tous, traité en retardataire par tous ces ardélions hâtifs, en suspect par tous ces fanfarons de fidélité, il dut payer sa bienvenue de son sang, et ne conquit qu'au prix d'un duel où tout autre que lui eût laissé la vie, sa place au bivouac et aux coups de fusil. Chateaubriand a raconté dans ses Mémoires d'outre-tombe ce début tragi-comique qui fut compensé, pour lui-même, par d'autres mésaventures et d'autres humiliations.

Ainsi continua, en 1791 et 1792, ce mouvement irréfléchi, aveugle de l'émigration, inauguré dès 1789, par le départ du comte d'Artois, des princes de Condé, de la famille de Polignac, plus tard par celui de Mesdames, tantes du roi mouvement où il faut faire la part de la surprise, de la panique, de l'indignation, de la contagion de l'exemple, mais aussi celle de sentiments moins avouables la haine, l'ambition, la vanité, l'espoir de vengeresses revanches.

:

En soi et quand bien même il n'aurait pas eu les conséquences funestes que nous avons énumérées, ce mouvement serait déplorable, ne fut-ce que pour avoir, en un

a.

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