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rivales de M. de Calonne et du baron de Breteuil, ou celle des intrigues du comte d'Antraigues, à la vie si agitée, à la mort si tragique, ou se rendre compte des vicissitudes de la doctrine des émigrés, tantôt féodale et absolue avec le comte d'Artois, tantôt libérale et constitutionnelle avec Monsieur (et dans l'attitude de ce dernier, il y a eu bien des variations), ce lecteur plus curieux aura à lire en les comparant les histoires générales de la Révolution, les travaux plus spéciaux de M. de Montrol, de M. de Bourgoing et de M. de Sybel, et cette correspondance de Louis XVI, Marie-Antoinette, madame Elisabeth, où M. Feuillet de Conches a tiré des papiers de MM. de Raigecourt et de Flaschlanden tant de pièces précieuses. Pour le côtémilitaire de l'émigration, il devra des renseignements utiles aux ouvrages de MM. d'Ecquevilly, Théod. Muret et Crétineau-Joly. Les Mémoires et correspondances de Mallet du Pan sont remplis de renseignements décisifs sur la lutte, pour la direction de l'émigration, des royalistes constitutionnels, des monarchiens, contre les royalistes absolus, des modérés contre les enragés.

Dans la série des Mémoires il en est beaucoup auxquels nous n'avons pas touché, parce qu'ils étaient trop connus, comme ceux de Chateaubriand, de Mme de Staël, du comte de Tilly, etc., ou déjà imprimés dans cette collection même, comme ceux de Madame de Genlis et du marquis de Bouillé, ou n'appartenaient pas au domaine public, comme les études biographiques sur Mme de Montagu et Mme de la Fayette, les Souvenirs si intéressants du comte de Neuilly, et ceux de Mme de Lage de Volude, dame de la princesse de Lamballe, publiés par le baron de la Morinerie; d'autres enfin parce que leur valeur histo

b.

rique ou leur attrait littéraire ne méritaient pas une réimpression, comme les Mémoires de Diane de Polignac, qui ne sont que l'oraison funèbre de sa sœur, les Mémoires secrets de Montgaillard, pamphlet d'un intrigant mercenaire, ou ce Témoignage d'un royaliste du fils de Cazotte, où nous n'avons été arrêtés que par ce qui touchait au mariage et à la mort de sa sœur, l'héroïque Élisabeth.

Ayant ainsi rendu compte de nos éliminations volontaires ou forcées, nous n'avons plus qu'à justifier nos choix.

Nous avons trouvé curieuse, historiquement et littérairement parlant et projetant sur le caractère de son auteur la lumière d'une de ces circonstances critiques, d'un de ces événements décisifs qui jugent les hommes, la Relation de son départ furtif du Luxembourg et de son voyage accidenté à Bruxelles et à Coblentz, en compagnie du fidèle d'Avaray, due à la plume de Monsieur, comte de Provence, futur Louis XVIII lui-même.

Nous donnons cette relation caractéristique d'après l'édition de 1823, publiée du vivant de son royal auteur'.

Nous avons attribué la seconde place au Journal d'Olivier d'Argens, gentilhomme breton, trouvé sur son cadavre dans un des combats qui ont précédé la capture de Charrette en 1796 2.

Ce journal, dans sa forme familière, naïve, presque rustique, nous fournit la note juste des sentiments, des préjugés, des illusions dont était animée cette partie de

1 Relation d'un voyage à Bruxelles et à Coblentz, 1791, Paris, Beaudoin fières, éditeurs, 1823, in-8°.

2 Paris, Ladvocat, 5 janvier 1824, in-8°.

la noblesse provinciale qui émigra pour se battre, sans ambition sans vanité, parce qu'elle avait gardé la religion étroite de la monarchie, et une sorte d'horreur superstitieuse de la révolution. D'Argens partit avec un léger pécule dans sa ceinture, demeura pauvre, simple, chaste, brave, n'obtint aucun grade, et mourut de la mort obscure du soldat, mélancoliquement heureux peut-être, d'être délivré par la mort du souci de vivre, et de s'endormir dans la foi de ses pères, sans l'avoir blasphémée.

Nous reproduisons, en troisième lieu, dans un extrait copieux, comprenant tout ce qui intéresse notre sujet, les Souvenirs de l'émigration ou Mémoires du marquis de Marcillac, colonel d'état-major, sous-préfet de Villefranche, commissaire du roi dans le Midi à l'époque des Cent jours '.

Ces Mémoires nous apprennent les illusions généreuses qui furent un des mobiles de l'émigration et que l'auteur caractérise heureusement du mot de « vertige d'honneur ». Ils nous apprennent aussi les déceptions qui attendaient la plupart des chevaliers errants de la légitimité, dont quelques-uns, comme M. de Marcillac, avaient fini, en 1812, par accepter une sous-préfecture et n'obtinrent guère mieux, à la Restauration, de ce gouvernement, obligé de compter avec tant de nécessités, de difficultés, et qui dut ériger en système politique l'ingratitude si naturelle aux hommes et particulièrement aux princes. Les détails que M. de Marcillac nous donne sur les négociations ou plutôt les commissions souvent aventureuses dont il fut chargé, et sur la part décevante prise par l'Espagne dans les af

1 Paris, Beaudouin frères, libraires, 1825, in-8°.

faires de l'émigration, ne manquent pas d'importance historique.

Les fragments de Mémoires de M. le baron de Goguelat', si intimement et si courageusement mêlé à l'affaire de Varennes, sont précieux en ce qu'ils contiennent sur les variations et les fluctuations de l'attitude de Louis XVI vis-à-vis de l'émigration, sur le caractère de Monsieur et du comte d'Artois, sur le rôle funeste joué par les intrigues de Coblentz dans la chute de la monarchie et la mort du monarque, des détails précis, qui attestent le témoin oculaire et auriculaire, et qu'on ne trouverait point ailleurs. Mais ces détails viennent d'un homme passionné, qui n'aime et ne hait pas à demi. Nous avons conservé, bien qu'à nos yeux ils n'aient aucune valeur historique, mais comme témoignage de certaines préventions et de certaines haines, assez vivaces pour durer encore, les inculpations sans preuves articulées par le vieux et implacable partisan contre le duc d'Orléans et sa faction. Les griefs authentiques et impartiaux contre PhilippeÉgalité suffisent et il est inutile de charger sa mémoire d'accusations aussi injustes qu'absurdes.

L'émigration militaire qui priva les régiments français, par suite de susceptibilités excessives et d'un faux sentiment du point d'honneur, de l'élite de leurs officiers, et fit entrer à pleins bords la démocratie et la démagogie dans l'armée abandonnée aux éléments et aux influences populaires; les troubles de Strasbourg et du Midi, les massacres d'Avignon, les péripéties du séjour des réfugiés à

1 Mémoires de M. le baron de Goguelet, etc., tome III des Mémoires pour tous, collection de souvenirs contemporains tendant à établir la vérité dans l'histoire. Paris, Alph. Levavasseur, 1835, in-8°.

Hambourg et à Berlin, les petits mystères politiques ou galants de la cour de Prusse ont trouvé dans le général de Dampmartin, compatriote et ami de Rivarol, dont il ferma les yeux, un annaliste d'une élégance un peu surannée, mais bien informé, acteur secondaire mais témoin observateur, qui sait parfois trouver l'anecdote caractéristique et donner à son récit un certain agrément piquant. Nous n'emprunterons à son ouvrage que la partie relative à l'émigration 1.

L'auteur s'engagea dans cette aventure, malgré les énergiques et prophétiques conseils de son mentor, le vieux général Choisy, et à ce qu'il dit, contrairement aux assertions de Chateaubriand, qui lui prête une opinion toute différente, — de M. de Malesherbes 2.

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Si les Mémoires de Dampmartin nous initient aux troubles intestins, aux causes de désordre," aux ferments de jalousie et de discorde que la révolution suscita dans l'armée, où elle détruisit le sentiment de la discipline, et aux motifs qui poussaient, parfois malgré eux, tant d'officiers à des démissions justement flétries à partir de 92, c'est-à-dire de la guerre déclarée, du nom de désertions, il est un autre témoignage, d'un caractère plus intime et plus familier, que nous joindrions volontiers, si l'exiguïté de notre cadre s'y prêtait, à ceux que nous venons d'apprécier brièvement, parce qu'il nous raconte l'odyssée d'un émigré sans le savoir, qui préféra de tout temps la plume à l'épée, et nous fait connaître les vicissitudes que dut tra

1 Mémoires sur divers événements de la révolution et de l'émigration, par A H. Dampmartin, maréchal des camps et armées du roi, 2 vol. in-8°, chez Hubert, jibraire, 1825.

2 T. II des Mémoires, p. 37-38.

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