Page images
PDF
EPUB

morts, et qu'on n'y trouve que des arbres, et une statue représentant le sommeil. Par le 6o article, il y aura sur la porte cette inscription: La mort est un sommeil éternel. Cependant, en niant l'immortalité de l'âme et une vie future, il anéantit toute religion, pour y substituer le théïsme, ou plutôt l'athéïsme.

« A la séance du 10 novembre, la section des Sans-Culottes déclara à la barre, qu'elle ne voulait plus de prètres : elle demanda la suppression totale de leurs salaires; une nombreuse procession défila dans la salle, au son d'une musique nationale. Une jeune femme de la plus belle figure, vêtue de la robe de la liberté, s'avança et se plaça devant le président. Chaumette prononça un discours, dans lequel il dit que le fanatisme fait place à la vérité, que les voûtes gothiques ne retentiront plus de mensonges. Vous voyez que nous n'avons pas pris pour nos fètes, ajouta-t-il, des idoles inanimées c'est un chef-d'œuvre de la nature que nous avons couvert des vêtements de la liberté. Le peuple n'a qu'un cri : Plus d'autels! plus de prètres! plus d'autre Dieu que le Dieu de la nature! On demanda que la ci-devant église de NotreDame fût changée en un temple consacré à la Raison et à la Vérité. Cette proposition, convertie en motion, fut décrétée.

« L'armée du prince de Condé s'est couverte de gloire dans l'affaire du 2 décembre ; mais elle a beaucoup souffert. Dans la perte faite par les troupes de ligne, et les chevaliers de la couronne, on compte vingt-six gentilhommes tués, et cent vingt et un blessés, dont onze sont déjà morts. Elle a couru le danger de faire une perte irréparable dans la personne de son brave général, le prince de Condé ; un obus vint s'amortir sous le ventre de son cheval, qui, effrayé, fit heureusement un écart qui sauva le prince. Le jeune duc d'Enghien montra beaucoup de valeur. Une pièce de canon prise et trois ou quatre coups de baïonnettes dans ses habits, attestent ses exploits; sans un chevalier de la couronne, il eût peut-être été tué par un cavalier qui avait le sabre levé pour lui fendre la tète. Le duc de Bourbon fut blessé, mais heureusement

sa blessure ne fut pas aussi fâcheuse qu'on le craignit d'abord; il n'eut que les tendons de deux doigts coupés. Le 8 et le 9, il y eut une action des plus vives contre l'aile droite de l'armée impériale; mais les patriotes furent mis en déroute, et chassés avec une perte considérable.

« Dans la séance du 11, Hébert demanda aux jacobins pourquoi la sœur de Capet n'avait pas été jugée immédiatement après Antoinette.

« (Janvier 1794). Depuis le mois de novembre dernier, on nous donnait ordre de nous tenir toujours prêts à partir pour la descente. Le 21 novembre nous fùmes assemblés, près la première tour, pour former les compagnies, et on nous distribua ensuite les fusils. Le 25, les émigrés s'assemblèrent, on nomma les chefs des sections et des escouades, et les exercices furent réglés depuis dix heures du matin jusqu'à midi.

<< Monseigneur le comte d'Artois écrivit, le 11 janvier, une lettre des plus flatteuses à M. de Broglie, en lui envoyant ses médailles et diamants, et l'épée de son fils pour être vendus au profit des émigrés les plus nécessiteux.

« Le 25, il fut rendu une ordonnance par la cour de Londres, pour défendre aux ecclésiastiques romains d'essayer de faire des impressions sur l'esprit des habitants en matière de religion, et de porter atteinte aux principes de la religion protestante, heureusement établie dans cette île; et pour leur défendre pareillement d'exercer leur religion d'une manière publique, contraire aux lois du pays.

« Le 1er mai, les évêques réfugiés en l'ile de Jersey firent une réponse à milord Beleare, commandant en chef, qui voulait armer les ecclésiastiques. Ils lui représentèrent et prouvèrent que, suivant toutes les règles et toutes les lois divines et humaines, ils ne devaient et ne pouvaient même pas prendre les armes. Ils lui démontrèrent également qu'en bonne politique, ils ne pouvaient agir autrement, parce que ce serait donner une occasion favorable aux ennemis de la vraie religion, de publier que les ecclésiastiques ont pris les armes sans dire qu'ils y ont été forcés; de crier plus forte

ment contre leur prétendu fanatisme, et de confirmer le peuple dans cette injuste opinion, qu'ils n'ont que trop calomnieusement répandue. Depuis le mois de février dernier, on faisait courir, de temps en temps, le bruit que les ecclésiastiques allaient ètre armés; que les émigrés en étaient cause, et qu'un avocat général avait proposé à un prètre de faire une adresse au nom de son corps, pour demander aux Etats de prendre les armes; que cet ecclésiastique lui demanda pour qui il le prenait ; que l'avocat, voulant le séduire en flattant son amour-propre, répondit qu'il ne lui faisait cette proposition que parce qu'il le savait très-capable de faire cette requète; et que, même personne ne l'était plus que lui ce qu'il refusa nettement, en lui disant qu'aucun de ses confrères ne pouvait prendre les armes. Sur ce refus formel, on dit que l'avocat la fit lui-même en anglais, la fit traduire en français, pas trop correctement, pour n'être pas connu pour l'auteur de cette pièce, et la donna ensuite, suivant les uns, à M. du Dresnai; suivant d'autres, à un conseiller, qui la présenta à l'évèque de Bayeux. Ce dernier en donna connaissance à MM. les évèques de Dol et de Tréguier, ainsi qu'à plusieurs membres du clergé, qui refusèrent, comme l'ont fait tous les autres, de prendre les armes, préférant de quitter l'île. Un très-grand nombre demanda aussitôt des passe-ports.

« M. du Dresnai fut appelé, m'a-t-on dit, aux États de l'île, Je 22 dudit mois de février. On a répandu qu'il y prit le parti des ecclésiastiques qu'on voulait renvoyer en Angleterre, 1° parce qu'ils refusaient de prendre les armes; 2° parce que quelques Jersiais (cent cinquante, suivant le dit-on) avaient embrassé la religion catholique, et avaient même fait abjuration. 3o Enfin, sous prétexte de la disette et cherté des vivres, on débita que M. du Dresnai avait représenté aux États que s'ils renvoyaient les ecclésiastiques, il partirait aussitôt avec le corps des émigrés, et qu'il allait présenter, à cet effet, une pétition au gouvernement. Les États ne décidèrent rien le jour, ou s'ils le firent, rien ne transpira; mais le 25, ils s'assemblèrent et décidèrent que les ecclésias

tiques ne prendraient point les armes; que si les patriotes venaient attaquer l'île, ceux qui se présenteraient de bonne volonté seraient employés à porter des vivres aux troupes, et à donner du secours aux blessés. Le même jour, les États arrêtèrent de nouveau d'empêcher et de faire défense aux ecclésiastiques de convertir à la religion romaine les habitants de cette île, où était, disaient-ils, heureusement établie la religion réformée; et firent publier et afficher cette défense qui portait que toutes plaintes faites de la part des notables seraient reçues 1.

« Le dimanche, 11 mai 1794, à deux heures du matin, commença la fète militaire ordonnée par milord Beleare, commandant en chef de l'île; on tira le canon d'alarme; la milice de l'ile, les trois régiments, les différentes compagnies détachées, le corps des émigrés aux ordres du marquis du Dresnai furent sous les armes et réunis à huit heures du matin sur la grève, au-dessous de l'hôpital général. A huit heures et demie, ces différents corps, au nombre de sept à huit mille hommes, chacun avec son train d'artillerie, défilèrent et traversèrent la ville, tambours battants et drapeaux déployés, au son d'une musique charmante, pour se rendre à la baie de Grouville, afin de s'opposer à une descente simulée des Français. Dans les environs, sont deux redoutes sur les hauteurs du Hoc et du Verclu. Les États donnèrent, le 5 du courant, à la première, le nom de Fort des émigrés ils l'ont, à la vérité, en y comprenant les ecclésiastiques, presque totalement construit ; il rappellera, dans tous les temps, à l'ile de Jersey, à l'Angleterre entière, le souvenir de ces illustres malheureux. La seconde de ces redoutes, construite en grande partie par les habitants de l'ile, fut nommé le Fort Beleare. A dix heures, les différentes co

1 La note suivante, écrite de la main de d'Argens, sur un carré de papier de son mémoire, peut se placer ici, quoiqu'elle soit d'une date postérieure : « Plainte portée par l'avocat, stipulant l'office de procureur-général du roi, le 7 mars 1795, contre quatre ecclésiastiques, l'évêque de Tréguier, un gentilhomme français et une servante, pour avoir converti à la religion romaine deux Jersiaises. >

མ.

lonnes étaient à leur poste; à dix heures et demie le canon des émigrés annonça la première attaque l'artillerie y fut des mieux servie, la mousqueterie des plus vives; l'ennemi, quelque temps après, fut supposé abandonner ce fort et se porter sur celui de Beleare; c'était le poste que défendaient les émigrés. A leur air, la réalité les eût plus amusés que le simulacre; les différents feux y furent parfaitement exécutés. Pendant les deux attaques, celui du vieux château, de la tour carrée et de tous les autres forts fut terrible. A une heure après midi, les différentes colonnes quittèrent leurs postes, et descendirent dans la plaine. Pendant cet intervalle, tous les forts en général tirèrent à boulet, à toute portée. Cette canonnade amusa infiniment les spectateurs; chacun y voyait la distance à laquelle il eût atteint l'ennemi. L'infanterie légère se porta sur les parapets, établis le long de la grève, fit feu et se replia sur les corps qui arrivaient successivement en colonnes. Enfin, se forma la ligne vraiment majestueuse de toute la petite armée; elle s'avança jusqu'au bord, et l'on y exécuta tous les feux avec une précision étonnante. Une salve générale de la mousqueterie, de l'artillerie de tous les forts, et des bombes qu'on lança des vieux châteaux, des hurras, répétés avec enthousiasme, terminèrent cette superbe et brillante fète. Ce qui contribua le plus à sa beauté, fut la sérénité du jour, la présence des trois quarts des habitants de l'ile; et ce qu'il y eut de plus remarquable, c'est que l'allégresse des habitants ne fut troublée par aucun événement malheureux, ce qu'il faut attribuer aux ordres précis et bien calculés du commandant, dont la prudence et la tactique sont consommés, à la capacité peu commune des autres chefs, et à la conduite vraiment distinguée de la troupe.

« De Paris, le 12. Trente-trois personnes ont été condamnées à mort par le tribunal révolutionnaire. On remarque dans cette affreuse liste madame Élisabeth, sœur de Louis XVI. On l'a été chercher au Temple le 9, à huit heures du soir, pour la mener devant le tribunal. Son grand caractère, sa vertu, sa constance, ses tendres soins pour le roi et la

« PreviousContinue »