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« Les émigrés étaient partagés en trois corps d'armée, savoir l'armée du prince de Condé, qui était destinée à entrer en France par l'Alsace et à attaquer Strasbourg; celle des princes, appelée l'armée du centre, qui était à la suite du roi de Prusse, pour faire son entrée en France par la Lorraine, et qui devait aller à Paris directement, et celle du prince de Bourbon, fils du prince de Condé, qui devait pénétrer par les Pays-Bas et attaquer Lille, en Flandre.

« Le 15 août, un aide de camp nous avait apporté, le matin, un ordre de partir le lendemain pour l'armée du prince de Bourbon, et nous devions retourner à Liége ou à Huy; mais le soir, il arriva un ordre des princes de nous rendre à Trèves, et de là au camp de Saint-Maximin; ce qui déconcerta notre capitaine.

« Nous partimes le 18 de Trèves, vers les huit heures du matin pour Grevenmachen, ou Grevenmaker. L'armée des princes, qui y arriva en même temps que nous, avait, depuis trois semaines, campé deux fois à Saint-Maximin et Penbren, à trois ou quatre lieues de Trèves. La compagnie n'eut pas de tentes; elle coucha à la belle étoile, et fort heureusement la nuit ne fut pas mauvaise. Le 19, de Grevenmaker nous nous rendîmes au bourg de Statbredimus ou Bredemie. La pluie commença une heure après notre départ, fut abondante et rendit la marche pénible; notre compagnie n'eut pas encore de tentes ce jour-là, mais le lendemain. Ce camp tint dix jours.

« Le 22, Monsieur nous annonça la prise de Longwy, en nous disant que les patriotes n'étaient pas si terribles, et qu'on en viendrait à bout. Ah! comme il se trompait dans son attente, qui fit éclater la joie et l'espérance sur tous les visages! Les princes visitèrent le camp deux fois, et le comte d'Artois avec ses deux fils, le lendemain de leur arrivée; on nous mit toutes les fois sous les armes devant nos tentes.

« Le 29, de Statbredimus à Roussy, par Bodemaker, petite ville fortifiée : c'est le jour de notre entrée en France. Nous nous mîmes en marche avec beaucoup de satisfaction, la joie la plus complète peinte sur tous les visages. Nous

étions tous, ou presque tous, persuadés que nous allions marcher directement sur Paris; que tous les obstacles seraient facilement levés; que les troupes de ligne n'attendaient que notre entrée, ainsi que les braves royalistes coalisés dans l'intérieur, et surtout en Bretagne, pour se joindre à nous. Le jour de notre entrée à Paris était même fixé.

« Le 30, de Roussy à Hettange, à une lieue et demie de Thionville. Le second ou le troisième jour de notre arrivée à Hettange, un détachement du bataillon breton avec d'autres détachements des différents bataillons, fut commandé pour aller chasser les patriotes qui occupaient un château, proche nos postes avancés. Une très-grande majorité des volontaires de ma compagnie, et j'étais du nombre, devait être de cette expédition. Nous fûmes assemblés devant nos tentes, et nous nous disposions à marcher, quand le contre-ordre arriva.

« Le 4 septembre, vu que Thionville avait refusé de se rendre à la sommation des princes, une partie du camp (le bataillon en était ) partit pour se rendre à Mittrich, où était campée la division, commandée par M. le maréchal de Castries, et composée des troupes de ligne françaises, émigrées; j'y restai de la garde des chariots, vu que j'avais un talon tout écorché.

« Le 5, la colonne fut de Mittrich à Distroff, d'où à minuit elle approcha avec deux pièces de canon de dix-huit, que le commandant autrichien lui avait données, ainsi qu'une partie de ses artilleurs pour attaquer Thionville, qui fut également canonné par les Autrichiens, campés du côté opposé à Distroff, et par le camp d'Hettange qui se trouvait au milieu. La canonnade, très-vive de part et d'autre, et surtout celle de Distroff, qui inquiéta beaucoup les patriotes, dura une heure et demie ou deux. A six heures du matin, la colonne retourna au château de Distroff, y passa la journée du 7, et le 8, revint à Mittrich, d'où, le 9, elle se rendit au camp d'Hettange.

<«< Deux ou trois jours après notre retour au camp, on fut sur le point d'attaquer de nouveau Thionville; mais, le soir

de l'attaque, il arriva un courrier du roi de Prusse, pour défendre de rien entreprendre sur cette place. D'après cette conduite du roi de Prusse, il aurait mieux fait. de refuser aux princes les deux pièces de canon de siége, qu'il n'avait accordées qu'à force de sollicitations, et qu'avec beaucoup de peine car nous n'avions que des pièces de campagne de quatre ou de six. On nous avait donné aussi un mortier ou deux qui ne purent servir, vu qu'ils ne portaient que sur les glacis.

« Il y a eu dans les postes avancés quelques hommes tués et un officier de Saint-Malo. Un des généraux autrichiens, le prince de Waldeck, en visitant nos batteries, eut un bras emporté par un boulet de canon, et promit d'employer l'autre à rétablir le roi de France sur le trône. Jour et nuit les patriotes ne cessaient de nous jeter de temps en temps des boulets et des bombes, surtout le soir après souper, et le matin après le coup d'eau-de-vie.

« La subordination ne régna pas beaucoup dans le camp parmi les gentilshommes de province, lorsque le bruit courut que les princes allaient rejoindre le roi de Prusse : ils témoignèrent leur mécontentement, et murmurèrent beaucoup. Ils se déchaînèrent à haute voix contre les monarchiens qui entouraient Monsieur, accusé de l'être lui-mème. Pour faire cesser tous ces murmures, le comte d'Artois se rendit au camp pour assurer les mécontents, et particulièrement les Bretons, qu'ils ne tarderaient pas à les suivre, et que des raisons très-puissantes, qu'il ne pouvait déduire, les obligeraient à s'absenter, et à faire cette démarche.

« Le 20, d'Hettange à Beuviller. Le 21, de Beuviller à Houdelancourt. Le 23, d'Houdelancourt jusqu'auprès d'Étain, où nous passâmes presque la demi-journée à attendre l'ordre, qui fut de nous rendre au bourg de Rouvré, éloigné d'une demi-lieue. En route, les aides de camp nous annoncèrent que le roi de Prusse tenait quarante mille patriotes enfermés dans un défilé, d'où ils ne pouvaient sortir sans ètre criblés; qu'en conséquence ils allaient mettre, ou ils avaient mis bas les armes. Pendant que nous fûmes auprès

d'Étain pour attendre l'ordre de nous rendre à Rouvré, on - répandit que Custine était en marche pour nous attaquer; en conséquence, le corps de la marine qui était sorti d'Etain par où nous devions passer également pour approcher de Verdun, reçut l'ordre de retourner sur ses pas.

« Le 26, à Branviller en passant par Etain, petite ville assez jolie, où il y avait un district. Le 27, à Houdainville, une lieue au delà de Verdun; nous passàmes entre ses murs. Pendant notre séjour, une partie de la brigade d'Armagnac, dans laquelle était le bataillon breton, fut envoyée avec un détachement de Prussiens pour lever des vivres et des fourrages au bourg patriote de Dieu, qui en avait refusé.

« Le 4, à Mogeville; le 6, auprès du bourg de Dieppe, où nous restàmes, depuis neuf heures du matin jusqu'à trois heures du soir, à attendre l'ordre pour aller à Verdun combattre contre les patriotes. Le général Clairfait nous demandait au roi de Prusse, qui lui refusa cette dernière ressource, en disant qu'il ne voulait pas exposer de si braves gens que les émigrés. Il lui avait demandé premièrement son artillerie, parce qu'il n'en avait pas assez, et en second lieu, sur son refus de lui donner son artillerie, de faire mettre son armée en bataille rangée, comme pour feindre de se battre et de le laisser ensuite avec ses Autrichiens se démêler contre les patriotes qu'il avait promis de battre; mais tout lui fut refusé. Alors Clairfait se vit forcé de reculer et même de battre en retraite, car les patriotes ne cessèrent de le poursuivre mais ils épargnèrent les Prussiens, leurs bons amis.

« Le 10, de Mogeville pour Foamé: en y allant, on nous annonça que nous nous retirions décidément de dessus le territoire français. Le 13, à la Granville, d'où le 14 nous nous rendimes contre les murs de Longwi; nous nous y arrêtâmes in quart d'heure auprès de la porte qui donne sur la grande route de Luxembourg; après le moment du repos, nous continuâmes notre marche, et à un quart de lieue plus loin, nous fìmes, avec le plus grand regret, notre sortie de France, pour nous rendre à Musson, où nous séjournâmes.

<< Autant notre entrée en France avait été joyeuse et bruyante, autant notre sortie fut triste et déplorable. La consternation et la douleur étaient peintes sur presque tous les visages. Les murmures, les plaintes les plus amères et les invectives éclatèrent contre le roi de Prusse et son général Brunswick, qui avaient promis de livrer bataille aux patriotes Je 27 ou 28 septembre, quelques jours avant notre départ de Verdun, après que les généraux autrichiens, et surtout Clairfait, ainsi que nos princes et nos généraux français, leur curent prouvé, d'une manière bien convaincante et bien évidenie, la nécessité d'un combat, et le succès infaillible qui en résulterait; comme aussi la perpétuité inévitable des troubles de la France, et ses malheurs incalculables, si on ne le livrait pas. L'on s'entretint des conférences que Brunswick avait eues avec Dumouriez; des cris de Vivent le roi de Prusse, Brunswick, les Prussiens et la nation ! qu'on avait entendus dans l'armée patriote, à l'issue des conférences; des sommes d'argent que Dumouriez avait fait remettre, ou avait promis au roi de Prusse, et l'espérance flatteuse qui avait été donnée au général de Brunswick, de le faire monter sur le trône de France; enfin qu'il se vendait, lui et ses troupes, comme avait fait son père; qu'il avait trompé les Liégeois, etc., etc.

« Le 16, de Musson à Burange. Le 17, à Archi par Arlon, où les émigrés qui se retirèrent, déposèrent leurs armes. Nous apprimes que les soldats prussiens fouillaient les voitures des émigrés, volaient et pillaient leurs effets, et les dernières ressources qu'ils pouvaient avoir, dans une circonstance aussi désastreuse, et enfin ne voulaient plus nous recevoir dans l'électorat de Trèves.

« Le 18, à Wittimort; le 19, séjour; le 20 à la Neuville, aù nous apprîmes que nous allions dans le pays de Liége, et que le prince évêque voulait bien nous y recevoir. Nous restâmes à la Neuville le 21 pour ranimer notre courage, qui tombait par la tristesse et par la dyssenterie, qui se déclara parmi nous. Jusqu'à ce moment l'espoir de rentrer chez nous, nous avait fait supporter les fatigues et les pei

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