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jours-ci, dans un souper d'émigrants, comme plusieurs s'emportaient en invectives contre le roi : Messieurs, leur dit un des convives, le cocher n'avait donc pas tort?... Monsieur, ajouta M. de Laqueuille, n'est pas fàché que l'on soit persuadé de la nullité de son frère, car c'est sur la croyance en cette nullité qu'il échafaude sa politique; une politique qui sauvera la France et la monarchie. « Et qui perdra le roi,» repartis-je aussitôt avec un soupir.

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Le terme que j'avais fixé pour mon séjour à Coblentz n'était pas expiré, que l'on vint me demander, de la part de Leurs Altesses, si je n'allais pas bientôt partir, en me faisant observer que, puisque je ne voulais pas rester, je n'avais que faire au quartier des princes.... Une heure après, la police me fit faire injonction de quitter la ville à l'instant même. Cet ordre brutal me montra que je n'avais plus rien à espérer; je partis donc, et revins par Bruxelles, où j'eus occasion de voir à mon passage M. le duc d'Uzès, qui était fort découragé.

Les émigrés dans le Brabant n'étaient pas animés de la mème présomption que ceux de Coblentz ; ils portaient encore la cocarde blanche, mais le panache avait disparu. D'ailleurs à Bruxelles on savait beaucoup de choses que l'on ignorait à Coblentz; ce fut là qu'on me montra une lettre que Monsieur avait adressée en forme d'instruction à M. le comte de Moustier, son ambassadeur en Prusse 1. Monsieur recommandait à M. de Moustier de faire sentir aux ministres de Sa Majesté prussienne, combien il était indispensable pour la France qu'il existât un centre d'autorité où vinssent aboutir tous les rayons; il voulait être régent en titre et non lieutenant général du royaume, ce qui, selon lui, était en quelque sorte un titre honorifique. A l'appui de ses prétentions, il conseillait à M. de Moustier de citer les exemples d'Antoine, roi de Navarre, et de M. Gaston, qui, sous les minorités de Charles IX et de Louis XIV, furent lieutenants généraux du royaume, tandis que les deux reines-mères exerçaient, sous

1 M. de Goguelat se trompe sur l'époque de cette recommandation faite à M. de Moustier. Les démarches de Monsieur, pour obtenir le titre de régent, n'eurent lieu que plus tard,

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le titre de régentes, la plénitude de l'autorité royale. « Si, poursuivait Monsieur, on citait l'exemple de Charles V, au moment de la captivité du roi Jean, M. le comte de Moustier pourrait faire voir que cet exemple est plutôt favorable que contraire à cette assertion, puisque Charles V, qui se trouvait en état de minorité, quand son père fut fait prisonnier, n'osa pas, par cette raison, prendre le titre de régent; mais qu'il le prit aussitôt qu'il fut devenu majeur. »>

Monsieur allait au-devant de l'objection du danger que son titre ferait courir au roi, et il disait assez légèrement, qu'elle serait la plus puissante de toutes, si elle n'était en même temps la moins fondée. Quant à l'opposition d'une prétendue volonté du roi et de la reine, il se bornait à déclarer que cette volonté s'était manifestée pour la dernière fois par la protestation du 10 juin 1791. Monsieur prenait l'engagement de ne rien faire que de provisoire. « Parce que, tout enchaîné, » disait-il, « qu'était l'exercice des facultés de l'âme du roi, ces facultés n'existaient pas moins. >>

De telles négociations, entamées déjà et pour un tel objet, déposaient assez de l'empressement de Monsieur à dépouiller Louis XVI de tous les attributs positifs de la majesté royale. Il lui ôtait tout simplement la couronne du front pour la poser sur sa tète; il lui arrachait le sceptre des mains.

Après le 10 août, ces négociations, qui n'avaient jamais été entièrement abandonnées, furent suivies avec une nouvelle ardeur; mais n'anticipons pas, et parlons de notre retour à Paris... Qu'en dirai-je? O mon Dieu, le roi, quand je le revis, avait tout prévu, tout deviné. Sans proférer un seul mot, il joignit les mains en les levant au ciel; la reine baissa tristement les yeux, et madame Élisabeth répandit un torrent de larmes. Cinq victimes étaient là mornes et pensives: monseigneur le dauphin et l'auguste princesse sa sœur pleuraient aussi. Ce tableau déchirant navrait mon âme, et y soulevait un bien vive indignation contre les émigrés et leurs chefs si insensibles... Je ne prévoyais pas que quelques mois plus tard, le seul parti qui me resterait à prendre serait d'aller les rejoindre... Mais je ne sortis de France qu'après m'être

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MÉMOIRES DE M. LE BARON DE GOGUELAT.

dévoué jusqu'au bout. La famille royale était au Temple; et je ne pouvais plus que mourir inutilement... Emigrer alors, n'était plus ni une lâcheté, ni une extravagance.

Dans la portion qui va suivre de ces Mémoires, je parlerai de la part que je pus prendre contre les événements pendant les sept premiers mois de l'année 1792 on y verra que je ne fus pas inactif, et que, si ceux qui nous avaient abandonnés eussent été près de nous pour seconder nos efforts dans ces déplorables journées du 20 juin et du 10 août, auxquelles le duc d'Orléans ne fut pas plus étranger qu'à celles des 5 et 6 octobre, la scélératesse n'aurait pas triomphé.......

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V

MÉMOIRES

SUR DIVERS ÉVÉNEMENTS

DE LA

RÉVOLUTION ET DE L'ÉMIGRATION

PAR A. H. DAMPMARTIN

MARECHAL DES CAMPS ET ARMÉES DU ROI

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