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with me. Jam ready,» lui répondis-je, et nous allames prendre la voiture qui était un vis-à-vis. Le hasard fit qu'en y entrant je me plaçai sur le devant. « Quoi! des compliments? me dit-il. Ma foi, lui répondis-je, m'y voilà. » Il n'insista pas; et ayant ordonné au cocher de nous mener au Pont-Neuf, nous sortimes ainsi du Luxembourg. La joie de me voir échappé à mes geôliers, joie que d'Avaray partageait bien sincèrement, tournait toutes nos idées du côté de la gaiete; aussi notre premier mouvement, après avoir passé la porte, fut-il de chanter un couplet de la parodie de Pénélope, qui dit : « Ça va bien, ça prend bien, ils ne se doutent de rien. » Nous rencontrâmes, dans les rucs, du peuple et une patrouille de garde nationale. Personne ne s'avisa de venir seulement regarder s'il y avait quelqu'un dans la voiture. Auprès du Pont-Neuf, d'Avaray dit au cocher de nous mener aux Quatre-Nations; nous rencontràmes notre voiture qui nous attendait entre la Monnaie et les Quatre-Nations, dans l'espèce de petite rue qui forme les angles de ces deux bâtiments. Le cocher, qui y avait déjà débarqué d'Avaray dans l'après-midi du même jour, crut que c'était là où nous allions, et voulut s'arrêter; mais d'Avaray lui dit d'aller visà-vis du collége, et ce fut là que nous sortimes de voiture. Le cocher demanda si nous étions contents? « Très-contents, répondit d'Avaray, je me servirai peut-être de vous aprèsdemain. » Nous reprimes à pied le chemin de la voiture de voyage; d'Avaray m'avertit de prendre garde de dardiner en marchant. Enfin nous la joignìmes; j'y montai le premier; ensuite Sayer, enfin d'Avaray. Peronnet monta à cheval; nous primes l'accent anglais pour dire d'aller au Bourget, et nous partimes.

En arrivant au Pont-Neuf, nous fùmes passés par deux voitures en poste, ce qui commença à déplaire à d'Avaray; mais ce fut bien pis quand, après avoir changé de chemin pour les éviter, elles nous repassèrent à la porte Saint-Martin, et qu'il vit qu'elles prenaient la même route que nous: il ne pouvait pas douter que ce ne fût quelqu'un de ma famille, et il pestait en lui-mème contre les princes, qui, faute

de s'entendre, font manquer les plus beaux arrangements du n onde; car il jugeait avec raison que si nous continuions à aller ainsi de conserve, outre que nous nous ferions manquer de chevaux les uns aux autres, cela serait suspect, que nous erions infailliblement arrètés. Je ne partageais pas ses inquiétudes, sachant très-bien que c'était Madame, et que, passé le Bourget, nous n'avions plus rien à craindre; mais je ne pouvais pas m'expliquer devant un homme qui n'était pas dans notre secret. Heureusement, d'Avaray ne parlait que du manque de chevaux, et je lui représentai qu'il faudrait bien du malheur, si ces voitures allaient précisément à Soissons, puisque la route que nous tenions était aussi celle de Flandre, de Metz et de Nancy. Quand nous eûmes croisé le chemin de Châlons, ses inquiétudes et ses impatiences redoublèrent; alors je crus devoir lui en dire un peu davantage, et prenant un ton prophétique, j'affirmai positivement que ces deux voitures allaient à Douai. Cela commença à le calmer pour la conserve; mais, voulant gagner du temps, il offrit six francs au postillon pour passer les deux voitures: cela nous réussit un moment, mais elles nous repassèrent. bientôt, et nous arrivâmes ensemble au Bourget. Alors d'Avaray fit descendre Sayer, sous prétexte d'aller voir qui était dans ces voitures, et, restés seuls, je lui expliquai clairement ce que je n'avais pu lui dire qu'en termes ambigus, ce qui acheva de le tranquilliser. Le jour nous prit auprès de Nanteuil; alors Sayer monta à cheval, Peronnet le remplaça dans la voiture : il tira de sa poche mes diamants qu'il avait emportés, et nous les cachâmes entre le dossier de la voiture et la doublure que nous recollâmes par-dessus. Je pris aussi le bouchon de liége dont j'ai parlé plus haut, que d'Avaray avait eu soin de noircir, et je me peignis les sourcils, sans caricature, mais de manière à me rendre absolument méconnaissable; de plus je pris le parti de faire semblant de dormir à toutes les postes, du moins jusqu'à ce que nous fussions éloignés de Paris. J'avais la prétention (et effectivement je ne me suis pas trompé une seule fois) de prédire en partant de chaque poste, sur la mine des postillons, s'ils nous

mèneraient bien ou mal. Nous avions été à merveille jusqu'à Verte-Feuille; mais là j'assurai que nous irions fort mal jusqu'à Soissons, et je ne me trompai pas. Pendant cette poste, d'Avaray me parla du projet qu'il avait de donner la démission de son régiment: je n'étais pas trop de cet avis, mais je me rendis à ses raisons; ensuite il me dit qu'il avait envie de l'envoyer de Soissons à M. du Portail: je le plaisantai sur l'endroit, en lui demandant s'il croyait y avoir plus de temps qu'aux autres postes; je ne voulais pas trop non plus qu'il l'adressât à M. du Portail, sachant que le roi devait avoir congédié tout son ministère en partant: mais comme il m'ajouta qu'il comptait la dater du 18 juin, je n'eus plus rien à répliquer. Cependant le postillon ne justifiait que trop l'augure que j'avais tiré de lui, car il est impossible de mener plus mal. Aussi nous conclùmes qu'il était sûrement président du club des jacobins de Soissons. Mais quoique je plaisantasse ainsi, j'avais une véritable inquiétude : depuis quelques lieues, je m'étais aperçu que j'avais laissé à Paris l'image que ma sœur m'avait donnée, et, sans être plus dévot qu'un autre, cette perte me tourmentait réellement et me faisait bien plus de peine que celle de ma canne et de ma tabatière.

En arrivant à Soissons, on nous annonça qu'une des bandes de la petite roue gauche était cassée; cela nous déplut fort; mais ce fut bien pis un moment après, lorsqu'en examinant davantage la roue, on découvrit que non-seulement la bande était cassée, mais que la jante l'était aussi. D'Avaray ne témoigna rien, mais je voyais parfaitement ce qui se passait dans son âme. Non moins inquiet que lui, je tàchais aussi de me maîtriser. Vraisemblablement j'y réussis, car il m'a assuré depuis que la sécurité qu'il me voyait lui avait rendu la sienne. On nous proposa de refaire une nouvelle jante; nous demandâmes combien il faudrait de temps pour cette opération; on nous répondit qu'il faudrait environ deux heures et demie. Peu au fait du charronnage et par conséquent des autres ressources que nous pouvions avoir, j'envisageais cette perte de temps avec d'autant plus de peine, qu'il était huit heures et demie, que notre évasion devait être sue à Paris, et que

chaque instant de retard nous faisait perdre une partie de l'avance que la nuit nous avait procurée. Mais d'Avaray, qui, comme je l'ai dit, avait repris son sang-froid, imagina un autre expédient, qui était d'attacher la jante avec un double lien de fer, et on consentit à l'adopter. Pendant le temps que dura cet ouvrage, il écrivit d'abord sa lettre à M. du Portail, qu'il renferma dans une autre qu'il adressa à M. de Sourdis, son beau-frère; ensuite il alla faire dépêcher le maréchal. Resté seul, je m'avisai de regarder dans son portefeuille qu'il avait oublié dans la voiture, et j'y trouvai, avec autant de surprise que de joie, l'image que je croyais avoir laissée à Paris; mais ce qui acheva de combler ma surprise, ce fut qu'il m'assura depuis, qu'en ouvrant son porte-feuille, il n'avait pas moins été surpris que moi de l'y trouver, né se souvenant nullement de l'y avoir mise. Le maître de poste était auprès de la voiture, et me fiant avec raison à mon accent anglais, je causai assez longtemps avec lui, sans qu'aucun geste, aucun mouvement de sa part pût me faire craindre qu'il soupçonnât seulement qui j'étais. Enfin notre roue fut raccommodée; on nous assura qu'elle pouvait encore faire 12 ou 15 lieues. Ce n'était pas, à beaucoup près, notre compte, car nous en avions encore 32 à faire jusqu'à Mons: mais, nous fiant un peu à notre bonne fortune, nous ne nous inquiétâmes pas beaucoup et nous partîmes. Mais avant d'aller plus loin, il faut que je raconte un danger auquel nous échappâmes sans le savoir, et qui était certainement le plus grand que nous ayons couru.

M. de Tourzel était parti de Paris le jeudi ou le vendredi; et pour ne donner aucun soupçon, il était allé passer deux jours à Haute-Fontaine, chez M. l'archevêque de Narbonne. Son domestique, qui ne se souciait pas trop de sortir de France, imagina, étant ivre, d'aller le dénoncer au club des jacobins d'Attichy, qui est très-près de Haute-Fontaine, comme un aristocrate qui allait en pays étranger pour faire une contrerévolution. Aussitôt le club fit passer à tous ceux des villes voisines, et notamment à celui de Soissons, l'avis d'arrêter tous les voyageurs. Ensuite les chefs se mirent à la tête d'une

soixantaine de gardes nationaux, et allèrent à Haute-Fontaine pour s'assurer de M. de Tourzel; mais ayant vu que c'était un jeune homme, qui a mème l'air d'un enfant, et qui voyageait modestement dans un cabriolet, ils méprisèrent l'avis du domestique, et laissèrent aller le maître. Vraisemblablement ils donnèrent aussi contre-ordre aux clubs voisins, sans quoi nous aurions infailliblement été arrêtés. Mais, malgré cela, je n'ai pas tort de dire que c'est le plus grand danger que nous ayons couru; et si je l'avais su, nous aurions certainement passé par une autre route.

La poste de Vaurains, qui est entre Soissons et Laon, est une maison isolée, et il n'y a absolument que les gens de la poste, qui étaient tous occupés à leurs chevaux. L'occasion me parut si belle pour mettre pied à terre, et me dégourdir un peu les jambes, que j'en fis sur-le-champ la motion; mais d'Avaray s'y opposa avec tant de fermeté, que je fus obligé de céder. Alors je proposai de déjeuner; nous avions un pâté et du vin de Bordeaux; mais nous avions oublié d'avoir du pain. Aussi, en mangeant la croûte avec le pâté, nous songeâmes à la reine Marie-Thérèse, qui répondit un jour que l'on plaignait devant elle les pauvres gens qui n'ont pas de pain: « Mais, mon Dieu! que ne mangent-ils de la << la croûte de pâté? » D'Avaray eut alors la plus belle invention du monde, qui fut de reprendre Sayer avec nous, et d'envoyer Peronnet en avant avec la mesure de notre jante pour en faire faire une pareille en cas que le lien de fer ne fût pas suffisant, afin d'éviter le danger d'attendre deux heures comme nous venions de l'échapper. Sayer nous apprit en chemin que tout le monde était bien persuadé que nous étions véritablement Anglais; ce qui nous fit grand plaisir. Il ajouta qu'on lui disait partout que nous allions à Bruxelles. Si nous avions passé pour Français, cette opinion nous aurait fort déplu; mais passant pour Anglais, elle nous devenait indifférente. D'Avaray, le voyant en train de causer, le mit sur les affaires du moment, dont il parla fort librement, et entre autres choses, il m'en dit une qui m'a frappé depuis, c'est que l'on commençait à traiter le Roi de fou

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