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c'était là sa religion; c'était celle de l'honneur et de la loyauté. Quant au catholicisme, je puis affirmer qu'il n'était pas des plus orthodoxes; cependant il faisait partie d'une confrérie dont les membres devaient tous avoir leur sépulture au Calvaire sous la condition expresse de se préparer à faire une sainte mort. Plusieurs fois on le pressa inutilement d'y songer; une religieuse essaya de le convertir; il l'éconduisit en se dispensant avec elle des formes de la politesse; on lui envoya un prêtre, il se fâcha; aux approches de sa dernière heure, il perdit connaissance, mais l'esprit lui revint peu d'instants avant de s'éteindre, et il rendit son âme à Dieu avec toute la piété qu'on pouvait désirer. A sa mort, M. de Goguelat n'avait plus d'autres parents qu'un neveu et une petite nièce qu'il n'avait pas vue depuis plus de trente ans ; c'est à elle qu'il a légué ce qu'il possédait comme un souvenir de l'amitié qu'il lui avait portée dans son enfance. Une fois entré dans son cœur, un sentiment n'en sortait plus : il s'y concentrait et devenait inaltérable; c'est ainsi qu'il aimait ses amis; c'est ainsi qu'il avait aimé Louis XVI et la reine, et qu'il aima, jusqu'à son dernier soupir, nos princes augustes exilés.

Voilà, monsieur, tout ce que peuvent renfermer quelques pages sur M. de Goguelat; à vous d'en faire tel usage qu'il vous plaira. Agréez, etc.

ARTHUR DE BONISAL.

Qui dit émigrés, dit royalistes; mais tous les émigrés ne furent pas royalistes de la même manière, et ceux qui sacrifièrent Louis XVI, par amour de la royauté ancienne, c'està-dire pour conserver cette institution dans toute sa plénitude primitive, se résignèrent à un bien coupable sacrifice. Les récompenses méritées ne pouvaient être pour eux, ou pour m'exprimer plus clairement et sans doute aussi plus complétement, l'équité ne permettait de leur accorder ni récompense ni indemnité. Quant aux faveurs, c'est autre chose; ils devaient aspirer aux faveurs, du moment que ceux dont ils avaient écouté la voix et secondé les desseins étaient en position de les leur prodiguer. Telle est mon opinion, et l'on ne dira pas qu'elle m'est dictée par une basse jalousie; car, Dieu

merci, je n'ai point à me plaindre, et depuis la rentrée de nos princes, ils m'ont fait plus de grâces que jamais je n'eusse osé en espérer en me bornant au vœu de me voir rendre justice 1. Il y a deux ou trois manières de juger l'émigration; mais, quel que soit le point de vue sous lequel on l'envisage, quand on n'a pas eu sa part du milliard, ou même quand on l'a eue, si l'on descend dans sa conscience avec une sincère abnégation, il est bien difficile d'admettre que semblable indemnité était légitimement due à quiconque pouvait prouver des pertes.

Certainement l'émigration fut, pour plusieurs, un acte de dévouement et de fidélité; mais pour ceux-là mêmes, selon les temps, elle put devenir crime et révolte. Par rapport aux princes émigrés, et dans leur esprit, elle fut évidemment toujours louable; mais par rapport au malheureux Louis XVI, et aux conséquences funestes qui pouvaient en résulter pour lui, elle prend un tout autre caractère. Il est naturel qu'au Château on n'ait pas fait une distinction de ce genre; mais comment n'a-t-elle pas prévalu dans les deux chambres qu'elle aurait mises sur la voie de fixer plus étroitement les limites de l'indemnité et d'en découvrir les véritables titulaires dont le nombre est nécessairement très-borné, à ne compter que ceux dont l'émigration ne fut ni lâcheté, ni une un calcul d'ambition, ni un effet de sotte vanité ou de stupide entêtement, ni une déférence absurde à la mode et au bon ton.

Mais ne voilà-t-il pas que, sans m'en apercevoir, je trace des catégories! Et comment aurait-il été possible, me dira-t-on, de reconnaître les émigrés appartenant à chacune d'elles? Quelles règles aurait-on établies pour s'assurer des motifs pour lesquels ils avaient quitté la France ou en étaient restés éloignés? Un examen rapide des phases de l'émigration me dispensera de faire moi-même la réponse à cette question, en même temps que l'exposé d'une mission assez importante, dont j'eus l'honneur d'être chargé par l'infortuné Louis XVI, rendra de plus en plus manifeste combien les accusations por

1 M. de Goguelat était lieutenant-général et membre du conseil supérieur des Invalides.

tées contre ce monarque, avant et pendant son procès, étaient peu fondées, et combien encore ont d'amers reproches à se faire ceux dont l'inexorable désobéissance donna quelque probabilité à ces accusations.

Tout le monde sait que deux jours après la prise de la Bastille, M. le comte d'Artois, la princesse son épouse, ses deux jeunes fils, MM. les dues d'Angoulème et de Berri et le prince de Condé quittèrent la France. Le maréchal de Broglie, le prince de Lambesc et beaucoup d'autres personnages élevés suivirent leur exemple. Monsieur resta seul auprès du roi; l'espèce de popularité dont il jouissait lui était en quelque sorte un garant qu'en ne l'abandonnant pas dans des circonstances aussi critiques, il ne courait aucun danger. Quant à M. le comte d'Artois, comme il s'était désigné particulièrement à l'animadversion du peuple et des meneurs qui la dirigeaient, il parut alors aux esprits sages qu'il avait agi prudemment en se hâtant de sortir de Paris, et même du royaume. Au milieu de l'orage qui venait d'éclater, et qui grondait encore, sa présence auprès du trône ne pouvait qu'attirer la foudre, tandis qu'au contraire celle de Monsieur pouvait, jusqu'à un certain point, être un préservatif. Je ne répèterai donc point avec plusieurs écrivains, dont les uns ont été égarés par l'amour sincère qu'ils portaient au monarque, et les autres par leur malveillance envers tous les princes de la maison de Bourbon, que dans cette grave conjoncture M. le comte d'Artois et les seigneurs qui se condamnèrent avec lui à l'exil, embrassèrent une semblable détermination par défaut de courage. Je crois au contraire qu'alors cette conduite fut concertée avec le roi et Monsieur, qui, dans la prévision d'une catastrophe, conseillèrent à leur frère de s'éloigner, car ils ne pouvaient s'aider de lui pour apaiser la colère du peuple, et d'ailleurs, pour qui a vu les événements de ces journées tumultucuses, l'avenir était réellement épouvantable.

Je me rappellerai toute ma vie dans quel émoi était la cour, lorsqu'on vint annoncer à Versailles que M. de Lafayette et M. Bailly avaient été nommés, par la commune de Paris, l'un, commandant de la garde nationale, et l'autre, maire de la

ville. Le lendemain 17 juillet, quand le roi, au moment de partir de Versailles, aperçut les gens déguenillés, et les paysans armés de bâtons et de fourches qui se disposaient à grossir son cortége, il ne put faire qu'on ne remarquât pas sur son visage une profonde impression de terreur : peut-être eut-il déjà l'affreuse pensée qu'il marchait à son supplice, ou tout au moins à une situation telle, que sa royale volonté pourrait en être annihilée. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il partit convaincu qu'il touchait à l'une des plus cruelles extrémités. Aussi remit-il à Monsieur, et en présence de la reine, un écrit par lequel il protestait contre les actes auxquels il pourrait être contraint, soit à Paris, soit dans tout autre lieu où il serait retenu contre son gré. Le roi déléguait, en ce cas, toute son autorité à Monsieur, qu'il instituait lieutenant-général du royaume. Monsieur n'eut point à faire usage de cette délégation, puisqu'une journée commencée sous les plus sinistres auspices se termina par des scènes d'enthousiasme, et par de nombreux témoignages de respect et d'amour pour Louis XVI, qui avait arboré la cocarde tricolore. Mais en émettant cette idée, qu'il pourrait être forcé à agir contre son gré et à donner des ordres en complète opposition à sa propre volonté, le roi ne soupçonnait pas qu'il offrait à des dissidents futurs le moyen de nier son libre arbitre et de se dérober à la soumission, aussitôt et toutes les fois qu'il leur conviendrait de le faire. Ainsi ce qu'il supposait être une précaution, était la plus grande de toutes les fautes. C'était une sorte d'abdication, et la seule vraiment dangereuse; peut-être fut-elle la cause de tous ses malheurs. Au reste, il me faudra revenir encore sur cette faute capitale, qu'il renouvela plus tard; je n'en parlerai jamais qu'avec douleur, tant je suis persuadé que ce fut là sa fatalité.

Louis XVI fut perdu, irrévocablement perdu, dès l'instant que l'on put supposer que sa volonté était au delà de la frontière, et je dois ajouter que le doute à cet égard était bien permis, sans même offenser le caractère du monarque, qu'il est juste d'excuser en raison des perplexités et des incertitudes continuelles qui venaient l'assaillir.

Louis XVI, en cédant à la nécessité, ne renonçait pas à l'espoir d'en secouer le joug intolérable, et ces prérogatives de la couronne, qui s'anéantissaient dans des concessions arrachées, lui laissaient des regrets bien cuisants. On lui imposait un nouveau mode de régner, et habitué qu'il était à ce pouvoir absolu, dont l'antique héritage s'était transmis intact dans sa race, il lui semblait que l'on fit violence à sa nature; souvent il s'en plaignait, et j'eus moi-même de fréquentes occasions d'entendre les récriminations de la Reine, qui ne pouvait non plus s'imaginer que, dans ce qu'on appelle le gouvernement constitutionnel représentatif, il y a d'immenses ressources, des ressorts bien précieux, et une constante sauvegarde pour le prince, à qui est dévolu l'exercice de la royauté.

En laissant de bonne grâce la machine se monter et fonctionner, au lieu d'hésiter sur son établissement, il est vraisemblable que le roi eût coupé court à toutes les exigences, et qu'après le premier essai il n'y aurait eu que des répugnances peu fondées et par conséquent très-faciles à vaincre. L'offre et le don d'une constitution modelée, ou à peu près, sur celle de l'Angleterre, auraient été un merveilleux expédient politique pour sortir des embarras que créait une époque devenue essentiellement raisonneuse et tracassière; mais Louis XVI ne conçut pas les avantages du proprio motu, et les désavantages du consentement, en pareil cas. Il eut le tort d'opposer trop longtemps le principe de sa souveraineté, qui n'était déjà plus une religion pour tout le monde, au principe de la souveraineté populaire qui se leva avec ses vociférations de forcenés, ses trépignements et ses millions de bras prêts à frapper.

Louis XVI était, en outre, retenu par des scrupules de toute espèce dans son cœur d'honnête homme et de père commun de tous, il devait compte à ses successeurs de tout ce qu'il avait reçu de ses augustes prédécesseurs, et ne devait pas souffrir qu'aucun des privilégiés de la monarchie fût dépouillé même en apparence. Il se considérait comme le gardien de l'arche sainte à laquelle il était défendu de toucher : noblesse,

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