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disposition de la charte. Mais les autres articles de la charte, et certes ils sont nombreux et importans, l'art. 5 du projet n'en parle pas ; de sorte, Messieurs qu'à l'exception de l'article 2 9 on pourra écrire impunément tout ce qu'on voudra contre la constitution, par l'effet de cette maxime générale, que lorsque l'exclusion dans une loi ne porte que sur un seul objet, tous les autres sont permis. Il me semble que la charte constitutionnelle entière méritait bien d'être comprise dans l'article 5 de la loi, et d'être mise sous la protection de la censure.

Je ne parle pas des écrits au-dessous de vingt feuilles, tous assujétis à la censure, ni de cette échelle de juridiction censoriale, ni de ce sursis dérisoire, qui pourra se prolonger pendant un an, par l'effet de l'article 6, et qui ne pourra être levé que lorsque la publication de l'ouvrage aura perdu tout l'à-propos pour lequel il avait été composé. En vérité, Messieurs, avec toutes ses entraves, je ne vois pas qu'il y ait lieu de s'applaudir de la libéralité et de l'extrême douceur de la loi.

III. Maintenant si l'on considère la censure sous le rapport de l'intéret du Gouvernement, qui paraît être le principal objet de la loi, il me paraît douteux qu'elle produise le bon effet qu'on en espère.

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On vous a parlé de la nation des auteurs, nation chatouilleuse et irritable, genus irritabile vatum, comme dit Horace ; mais il s'agit bien ici d'entrer en composition avec la nation des poëtes et des auteurs! c'est de la véritable nation qu'il s'agit. Ce sont tous

les citoyens bien intentionnés et éclairés qui prennent part à la chose publique, parce qu'elle est véritablement celle de chacun, et qui, glacés à l'aspect de la censure, n'oseront dénoncer aucun abus, contrarier aucun ministre, et discuter aucune affaire de politique et de haute législation, et qui se condamneront à un triste et morne silence. Ainsi, plus d'issues ouvertes pour faire arriver au pied du trône les bonnes idées et la vérité qui n'y parviennent que si difficilement.

D'un autre côté, la contrainte de la censure produira l'effet naturel à tout systême de prohibition; faute d'une liberté qui trouve naturellement sa limite dans son propre intérêt, on verra pulluler les caricatures, les épigrammes, les vaudevilles, les nouvelles à la main, et puisqu'il faudra tromper la vigilance de la police de la librairie, il n'y aura plus de mesure dans les écrits imprimés clandestinement, et qui seront d'autant plus envenimés, que leurs auteurs auront plus de risques à courir. Je n'étends pas plus loin mes réflexions, messieurs; je vous prie de peser toutes ces considérations, et de juger dans votre sagesse si, dans l'intérêt du Gouvernement, qui doit nous occuper, il n'y a pas plus de danger à restreindre la presse qu'à lui laisser son cours naturel, sous l'empire de bonnes lois répressives.

IV. Enfin, messieurs, on demande si, dans l'état actuel des choses, il n'y aurait pas moyen de rapprocher les opinions; vous sentez que je veux parler des insinuations conciliatrices dont l'ouverture a été faite à la dernière séance. Si j'ai bien conçu ce sys

tème de concessions, il se bornerait a retrancher le préambule de la loi, et à effacer deux mots de l'art. 6, qui a été si généralement improuvé.

Quant au préambule, je ne vois pas que son retranchement soit une concession bien généreuse de la part du ministre, il aurait lui-même à vous remercier d'avoir fait disparaître une inconstitutionnalité aussi chaquante.

Pour ce qui est de l'article 6, vous vous rappellez qu'il est ainsi conçu: « Il sera formé, au commence>>>ment de chaque session des deux chambres, une commission composée de trois pairs, trois députés « des départemens élus par leurs chambres respec»tives, et trois commissaires du roi. « Quand on retrancheraitles mots élus par leurs chambres respectives, je ne vois pas que cette correction rendît l'article meilleur et moins contraire à l'esprit de la constitution: soit que les trois pairs et les trois députéssoient nommés par le roi, soit que leurs chambres respectives les nomment, il n'en reste pas moins qu'on leur fait remplir des fonctions peu compatibles avec celles qu'ils exercent et le caractère dont ils sont revêtus; ils ne s'immiscent pas moins dans l'ordre administratif et judiciaire; on les chargerait d'une responsabilité bien pénible envers l'opinion publique, et, pour cette fois, envers la nation des auteurs avec lesquels ils seraient aux prises, et dont l'irritabilité pourrait produire des effets qui tendraient à affaiblir dans l'opinion, la considération dont doivent jouir des pairs de France et des représentans du peuple,

D'ailleurs en les associant à trois commissaires du roi, pour former ce tribunal nouveau et un peu singulier dans l'ordre judiciaire, on ferait peu de chose pour l'impartialité et l'indépendance; car il suffirait que deux d'entre eux se joignissent aux trois commissaires du roi, pour former la majorité. Et en dernier lieu ce serait toujours mettre la liberté de la presse entre les mains du gouvernement. Il faut donc supprimer l'article en entier, et aviser aux moyens de former un autre tribunal de révision; ce n'est pas l'affaire de la chambre, c'est celle du ministre. Cela doit être l'objet d'une loi, mais non pas d'un simple amendement.

Si je voulais parcourir la loi, article par article, elle serait susceptible de bien d'autres amendemens ; mais je termine ici une opinion déjà trop longue, et je la termine par les mêmes sentimens que j'ai exprimés en commençant : Nous avons tous le désir de seconder le gouvernement, dans les vues qu'il se propose, pour l'intérêt de l'état et le maintien de la tranquillité; mais c'est au nom de ce même intérêt, que je regarde, dans ma pensée, le projet de loi qu'on vous propose comme aussi dangereux que nécessaire. La charte constitutionnelle est devant nous, on l'a violée dans la disposition des articles 8 et 46; tous les amendemens que l'on ferait à la loi ne peuvent plus réparer ce vice. Je demande le rejet du projet de loi.

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CONFIDENCES MINISTÉRIELLES

FAITES A LA CHAMBRE DES PAIRS

SUR LA LIBERTÉ DE LA PRESSE.

On se rappelle que le ministre de l'intérieur avai d'abord présenté à la chambre des députés son projet de loi sur la liberté de la presse, comme le complément indispensable de l'article de la charte qui établit cette liberté. On sait qu'au moment où la chambre allait voter sur l'adoption de ce projet, Son Excellence consentit, au nom du Roi, à le considérer comme seulement suspensif de la liberté de la presse, et à déclarer qu'il cesserait, dans deux ans, d'avoir son effet. Quoique cette seconde déclaration fut évidemment contraire à la première; comme la première avait paru dérisoire, on s'était cru fondé à penser que la dernière était exacte. On s'était trompé ; M. le ministre vient de faire une troisième déclaration qui prouve que les deux premières étaient également fausses. Il vient de convenir à la chambre des pairs, dans la séance du 30 août, que la loi proposée, au lieu d'être favorable à la liberté de la presse lui était contraire, et qu'au lieu d'être suspensive, elle devait être éternelle.

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