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pas forcé de le répéter ici, la cause de nos malheurs; tous mentionnent la distribution d'un or corrupteur, faite à toutes les époques de nos troubles, à des gens qui ne savaient pas lire; et je pourrais offrir la preuve que des mains infidèles soulevaient les fauxbourgs avec les mêmes fonds que la liste civile leur faisait distribuer pour les pacifier.

Qu'on ne ferme donc раз les yeux à l'évidence, et on conviendra que bien loin que la liberté de la presse soit la cause de l'oppression sous laquelle la France a gémi, ses entraves, son silence, furent toujours l'inévitable signal de ce qu'elle avait à craindre.

La tyrannie, en effet, n'aime point à discourir; elle proscrit au contraire toute espèce de raisonnement. La politique en action est la scule qu'elle connaisse, et son premier soin est toujours d'exiger le privilége de transmettre seule les lumières, et d'être crue sur parole.

Notre dégoûtant Maziello, comme cet homme extraordinaire qui cacha si long-temps notre esclavage sous des monceaux de lauriers, adoptèrent à cet égard le même système : l'un punit de mort la simple lettre d'un député; une phrase unique du corps législatif entraîne sa prompte dissolution.

Quels sont donc les abus de la presse qu'on pourrait opposer à ces faits, à cette longue suite de deuil, de misères et de ruines, à cette horrible dépopulation, qui signalèrent toutes les époques où sa liberté fut véritablement enchaînée, et qui en furent notoirerement la suite.

De tous les reproches qu'on a fait au sénat, un seul me paraît mérité; car la foudre qu'il lança le 2 avril sur l'oppresseur du peuple, sans consulter son danger personnel, même avant qu'il pût connaître l'opinion de l'armée, l'absout suffisamment de complicité volontaire avec lui. Ce tort est le même dont on voudrait nous rendre coupables aujourd'hui (1). De celui-ci découlèrent tous les autres; la liberté de la presse une fois anéantie, il put impunément exercer contre nous toute espèce de tyrannie.

Renfermés hermétiquement dans cette douloureuse enceinte, sans aucun point de contact avec les citoyens; réduits, comme eux, à l'unique lecture des journaux aux gages d'une police surveillante et sévère, qui remplaçait par des flagorneries mendiées par la puissance et consentie par la faiblesse, le cri douloureux de toutes les familles réduites au désespoir, en vain cherchâmes-nous à élever la voix ; l'esclavage de la presse opposa toujours une barrière insurmontable. Celui qui la levait où la fermait à son gré, étouffa toutes nos réclamations; un de nos honorables collègues peut vous dire qu'il fit mutiler un de ses rapports dans tous les journaux, dans

(1) Le sénat ne sanctiona point le décret par lequel d'empereur établit une censure préalable et arbitaire. Le tort qu'il eut fut de ne pas annuller ce décret comme inconstitutionnel; mais alors cette mesure était-elle exécutable? Le tort de la chambre des pairs, si elle adoptait la censure, serait assurément bien plus grave que ne le fut celui du sénat.

l'unique intention de dissimuler à la France et å l'Europe le vœu exprimé en notre nom pour une paix qu'il repoussait.

Tant que ces faits restèrent gravés dans ma mémoire, tant que je les regarderai comme une cause légitime d'une déchéance que j'ai signée conjointement avec la majorité d'entre vous, ma conscience, d'accord avec l'intérêt et du peuple et du trône, me commandera impérieusement de repousser l'acte

qu'on nous présente.

Ce n'est pas que nous ignorions qu'il existe des motifs de sécurité dans les principes du Roi, dans la sagesse des ministres, mais nous savons aussi qu'il vaut mieux se reposer sur de bonnes institutions que sur les senles vertus des magistrats.

Les unes et les autres, dit un écrivain célèbre, contribuent sans doute à la félicité des peuples; mais malheur au pays qui compte particulièrement sur les dernières! il n'échappera pas long-temps à la servitude.

Cette dernière et triste vérité, Messieurs, a frappé également un grand nombre d'excellens citoyens. Déjà une secrète inquiétude a remplacé dans leur áme cette douce sécurité que la conduite impartiale du Roi y avait implantée, et que chaque jour y jettait des racines plus profondes.

C'est en leur nom que je vous demande de proscrire cette odieuse et ridicule censure que notre pacte avait achevé de flétrir.

Pourriez-vons donc accorder votre honorable suffrage à une institution qui a contre elle la haîne de

tous les véritables gens de lettres, qu'il est si néces saire de concilier au Gouvernement ?

A une institution qui outrage constamment la raison et le bon sens, et qui proscrivit, presque sans exception, les plus grands écrivains dont la France s'honore ; à une institution qui fera porter chez l'étranger des capitaux immenses nécessaires à notre pospérité;

A une institution enfin que vous pourrez justement appécier, lorsque vous vous rappellerez qu'elle ne peut se déterminer à revêtir de son approbation la Henriade et le siècle de Louis XIV, monumens de gloire élevés par le génie à deux des plus grands hommes de cette illustre race, que bien long-temps après que l'assentiment presque général de la Nation l'ont forcée à la donner ?

Ici, l'opinant observe que si les réglemens de ce genre pouvaient être excutés, cette malheureuse institution aurait privé la France de cette prééminence dans les siences et dans les arts que l'Europe est forcée de lui accorder, et desseché par-là la source la plus féconde de sa gloire et de sa prospérité. Il ajoute qu'il est dans la nature de tous les Gouvernemens de tendre sans cesse à augmenter leur autorité, et que la liberté de la presse peut seule les contenir dans leurs justes limites; que tous les maux qu'on redoute des pamphlets et des journaux, ne sont rien en comparaison de ceux que l'administration se fait elleinême en entravant la vérité.

Par ces considérations, l'opinant vote pour le rejet du projet de loi.

LE CENSEUR.

N. 10.

CHAMBRE DES PAIRS. SEANCES des 27 et 30 août.

Séance du 27. L'ORDRE du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi sur la liberté de la presse.

M. le comte de Valence observe que la première pensée, qui se présente quand la chambre est appelée à délibérer, c'est qu'elle doit examiner si la loi proposée est en harmonie avec la constitution; si elle est nécessaire; si elle est sollicitée par l'opinion publique.

Nous examinons ensuite la loi, ajoute-t-il, dans toutes ses parties constitutives; si nous la trouvons la meilleure possible, nous nous hâtons de la revêtir de notre adoption; si nous croyons qu'elle peut être

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