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nonciation, qui peut-être n'aura point de suite, tous les livres peuvent être arrêtés pour un temps illimité: disposition tellement rigoureuse et tellement subordonnée à l'arbitraire du directeur, que je ne vois d'autre moyen d'y échapper, pour l'auteur et pour la librairie, que d'obtenir préalablement, comme pour les écrits d'une feuille, l'extrême faveur de la censure, laquelle, comme vous le voyez, étendra bientôt son empire sur la totalité des impressions, même sur celle en langue morte.

3o. Je vois encore dans le même article qu'un ouvrage de plus de vingt feuilles pourra aussi être défendu, si l'imprimeur ne produit pas le récépissé de sa déclaration, portant qu'il veut le mettre en vente; et je ne vois pas comment on devra obtenir ce récé pissé, et si celui qui l'accordera aura le droit jusqu'à ce qu'on ait rempli à son égard diverses formalités dont on ne nous parle pas ici, mais qui pourraient bien par la suite ressembler un peu à la censure.

Ces dispositions, ce me semble, ont un pen l'air d'être calculées pour faciliter des contraventions dont on serait bien aise de profiter, et pour donner au directeur de la librairie la plus grande autorité possible sur la publication de tous les livres.'

L'orateur termine en faisant sentir l'inconvenance qu'il y a à convertir les membres de la chambre des pairs et de la chambre des députés en examinateurs des livres dont le directeur aura suspendu la publication. Ce mélange de députés, de pairs et de commissaires du Gouvernement, dit-il, ressemble trop

à l'anarchie; et quant à moi, je cède ma part de cette tyrannie d'un nouveau genre (1).

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Par ces considérations, je pense qu'il faut rejeter la résolution de la chambre des députés, relative à la liberté de la presse.

M. le comte de Ségar a publiquement voté pour la censure: je dis publiquement, car je suis très-porté à croire que M. de Ségur a voulu défendre la liberté de la presse, et que son discours et son vote public ne sont qu'une critique fort adroite du projet de loi présenté par le ministre.

(1) Si cette commission, qu'un des membres de la chambre a nommée le comité tricolore, laisse publier par ¡nattention un ouvrage dans lequel une personne se trouvera calomniée, le calomniateur sera-t-il à l'abri de toute peine? Les pairs, les députés et les commissaires qui auront autorisé la publication de cet ouvrage pourront ils être pris à partie, et traduit devant le tribunal correctionel comme complices de la calomnie? Si l'auteur ne peut pas être poursuivi, les faits calomnieux seront réputés vrais, et une personne se trouvera diffamée sans qu'il lui ait été possible de se défendre. S'il peut être poursuivi, un simple tribunal correctionnel aura la faculté d'annuller la décision rendue par les pairs, les députés, et les commissaires du Roi, puisqu'il pourra faire supprimer comme diffamatoire un ouvrage dont ils auront autorisé la publication. On voit que quelques jugemens de cette nature donneront un grand lustre à la chambre des pairs et à la chambre des députés.

M. le comte de Ségur observe d'abord que s'il existe une grande divergence dans les opinions, il n'en existe aucune dans les sentimens : il croit trouver la cause de cette divergence dans la forme sous laquelle les ministres ont présenté le projet de loi.

Nous sommes membres d'un corps illustre, dit-il, qui doit être le premier et le plus vigilant gardien de la charte constitutionnelle que le Roi nous a donnée, et chacun de nous a juré de remplir tous' les devoirs qui sont imposés à sa conscience par une si noble attribution. Il est donc très - naturel de s'alarmer au moindre signal d'atteinte portée à cette charte, seul palladium de nos droits et de notre liberté. Or, j'avoue que tel est l'effet qu'a dû produire la forme sous laquelle on a présenté le projet de loi : c'est au moins l'impression que j'en ai reçue. J'ai cru d'abord la charte attaquée, un de ses prin·' cipes fondamentaux détruit; et je me serais opposé de toutes mes forces à l'adoption de ce projet, si l'amendement contenu dans l'article 22, et consenti Sa Majesté, n'eût pas totalement changé la nature de ce projet, et dissipé mes inquiétudes....

par

Cependant, Messieurs, ce changement, qui aurait dû réunir toutes les opinions, n'a point produit cet effet, et les inquiétudes subsistent encore lorsque leur cause a disparu : ce qui prolonge cette impres sion, c'est l'importance que le ministre attache à la conservation d'un préambule qui n'est plus en harmonie avec les dispositions nouvelles du projet. Je vois avec peine qu'il s'attache constamment à prouver

que sa première proposition n'avait rien de contraire à notre charte, et qu'ainsi l'établissement de la censure pouvait être durable.

Cette erreur est, n'en doutons pas, ce qui a causé le plus d'inquiétude, et donné le plus d'adversaires à la loi. Je ne recommencerai point ici la trop longue discussion grammaticale qui a eu lieu dans la chambre des députés relativement à l'expression de réprimer les abus. J'accorde au ministre qu'on peut dire parfaitement réprimer pour prévenir, cette acception est même très-commune; mais ce qu'il doit nous accorder aussi, c'est que la liberté de la presse et censure préalable, sont incompatibles: autrement il faudrait dire que la liberté de la presse consiste à pouvoir imprimer ce qu'un censeur permettra de publier; ce qui, traduit ainsi, devient certainement insoutenable.

Cette conclusion est évidemment juste, et on conçoit alors combien on a dû être surpris de voir le ministre de l'intérieur proposer la censure comme le complément de la charte, comme une loi durable, et comme la première mesure qu'on dût prendre pour nous faire jouir de cette liberté, premier bienfait donné et garanti par la constitution.

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Tout le monde doit convenir de la clarté de l'article 8 de la charte constitutionnelle; il établit comme principe certain le droit de la liberté de la presse, c'est-à-dire la faculté d'imprimer sans censure préalable, mais en se conformant aux lois répressives telles qu'on les trouve dans le code pénal.

Ici l'opinant fait remarquer que quelques-unes des mesures prises par le projet de loi, telles que le cautionnement des imprimeurs, l'obligation de se faire connaître, ete. ne sont pas contraires à la liberté de la presse.

Il fallait donc, ajoute-t-il, déclarer franchement qu'on proposait, par la nécessité des circonstances, une suspension momentanée de ce droit en reconnaissant le principe, on aurait fait disparaître beaucoup d'obstacles; en le contestant, on fait renaître les objections les mieux fondées.

Et je remarque ici, Messieurs, que non-seulement la charte constitutionnelle a consacré le principe de la liberté de la presse, mais qu'il était même impossible qu'elle ne le fît pas.

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En effet, les lois sur cette matière doivent nécessairement varier, suivant les différentes formes de Gouvernement. Sous un Gouvernement absolu, aucune liberté ne peut être accordée à la presse; la crainte est là le seul ressort de l'autorité; remontrances et révoltes sont synonymes à ses yeux ; le despotisme est détruit dès que l'esclave raisonne : dans une république démocratique, le peuple est à-la fois souverain, législateur et juge; on n'y souffrirait aucune gêne à la parole, aucune entrave à la pensée. Mais l'expérience a prouvé que cette liberté n'y est qu'illusoire, et la presse y fut trop souvent l'instrument d'une faction dominante.'

Mais dans un Gonvernement monarchique et représentatif tel que le nôtre, dont l'opinion publique est le soutien et la vie, le principe de la berté de la

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