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au dernier supplice, pour avoir imprudemment ouvert son magasin un jour consacré au repos, par un culte qui n'était pas le sien.

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Si, comme il nous l'assure, les ordonnances sur lesquelles il dit avoir fondé la sienne n'ont point été abrogées, celles qui punissaient les blasphè les sacrilèges, et certains actes d'immoralité dont nos lois actuelles ne font aucune mention, sont encore en pleine vigueur; car le législateur ne s'est pas plus prononcé sur les unes que sur les autres. Or, je le demande à M. le directeurgénéral, s'il était appelé à juger un citoyen accusé d'avoir parlé avec peu de respect de saint Nicaise, de saint Dominique ou de tel autre saint fêté par l'église, le condamnerait-il à avoir la langue coupée, les lèvres percées d'un fer brûlant, et à finir tristement ses jours aux galères? Si un malheureux était traduit devant lui pour avoir, dans une église, pris un mouchoir dans la poche de son voisin, condamnerait-il à être pendu? Il le devrait, s'il voulait être conséquent avec lui-même. J'ose douter cependant si, dans ce misérable siècle de philosophie, ses décisions pourraient être exécutées sans danger, et si les cruautés qui seraient exercées sur nos places publiques, en vertu des ordonnances de saint Louis, ne produiraient pas sur les idéologues des faubourgs, l'effet que produisirent, sur des idéologues d'une autre classe, les désastres de Moscou.

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Il faut donc reconnaître que M. le directeur-général de la police a usurpé l'autorité législative, premièrement, en ce qu'il a rendu l'existence à des ordonnances abrogées; en second lieu, en ce qu'il a suspendu l'exécution des lois qui garantissent à tous les citoyens le libre exercice des cultes; enfin, en ce qu'il a créé un genre de délits que nos lois ne connaissent pas. Cette usurpation de pouvoir, à laquelle le Code pénal a attaché une peine infamante, ne peut avoir été volontairement commise

par un homme aussi éclairé et aussi sage que M. le directeur-général de la police; aussi devons-nous espérer qu'il révoquera les deux ordonnances qui ont été publiées sous son nom, et que pour n'être pas poursuivi personnellement, il se hâtera de dénoncer les individus qui lui ont surpris sa signature, ainsi que l'article 116 du Code pénal l'y au

torise.

Cependant comme plusieurs particuliers peuvent avoir été déjà condamnés en vertu de ces ordonnances, ilimporte que la chambre des députés, en même temps qu'elle fera poursuivre criminellement les individus qui ont surpris la signature de M. le directeur général de la police, sollicite une loi qui prononce l'annullation de tous les les jugemens de condamnation rendus en exécution de son ordonnance. Cette mesure serait sans doute inutile, si tous les tribunaux connaissaient leurs devoirs, ou si toutes les personnes condamnées avaient le moyen de se pourvoir en cassation; mais malheureusement il existe en France comme dans tous les pays, un grand nombre de magistrats ignorans, et le nombre des personnes qui se trouveraient ruinées par une amende de trois ou de cinq cents francs est encore plus grand. Ainsi, en faisant annuller une ordonnance qui ne met aucune proportion entre les peines et les délits qu'elle crée, la chambre des députés vengerait l'atteinte qui vient d'être portée à l'autorité législative, et ferait en même temps un grand acte d'humanité.

Je suis, etc.

Paris, ce 12 juin 1814.

COMTE.

N. 2.

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FRAGMENT

TIRÉ D'UN MANUSCRIT D'IBEN-ASBEK-ADEL,

HISTORIEN ARABE.

LORSQUE le grand Alexandre, roi des Macédo

niens, eut fait remonter le sage Abdolonyme sur le trône de ses pères, la joie fut grande parmi les peu ples de son petit Etat, qui se voyaient délivrés d'un joug aussi dur qu'avilissant. Ce n'est pas que cette joie fut tout-à-fait unanime. Quelques-uns regrettaient en silence le Gouvernement qui venait de finir. D'autres, accoutumés dès l'enfance à ne voir qu'eux dans l'Etat, à séparer leur intérêt particulier de l'intérêt général, s'étaient d'abord flattés de faire tourner entièrement à leur profit la révolution qui venait de s'opérer. On ne voyait pas en eux une joie pure et naïve : c'était une sorte d'ivresse pleine d'agi

tation et mêlée d'un peu d'inquiétude; car le bon monarque avait fait entendre qu'il voulait être le père commun de tous ses sujets.

Dans cet état des choses, dans cette situation des esprits, les citoyens de toutes les classes s'empressèrent d'aller complimenter le roi.

On vit alors sortir comme de dessous terre et s'avancer avec fracas quelques hommes, depuis longtems inaperçus, et, qui se disaient issus d'une ancienne race de géans. La plupart néanmoins étaient d'une stature très-ordinaire, et l'on remarquait même parmi eux plusieurs nains semblables à ces pygmées dont il est fait mention dans nos vieilles chroniques. Leur troupe ayant été introduite dans la salle du trône, le plus lettré d'entre eux prend la parole au nom de tous, débite le discours suivant :

<< Prince, le plus grand, le plus puissant de tous les princes, dont la race illustre est plus ancienne que le soleil, vous voyez devant vous les plus fidèles et les plus loyaux de vos sujets, nous oserons dire même les seuls fidèles. Le reste ne mérite votre confiance, ou, pour parler plus exactement, ne mérite pas qu'on en fasse aucun compte.

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» Plusieurs, égarés par une philosophie téméraire, osent parler de liberté, de lois, de bien public. A ce langage ignoble on reconnaît bien la bassesse de leur origine. Que prétendent ces hommes audacieux? Ils veulent que les lois exercent un empire égal sur tous les hommes. C'est une chimère ! c'est une abomination! Anathème à ces orateurs qui osent vous

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conseiller de régner par la loi et de fonder vos droits et votre puissance sur l'assentiment et sur l'amour du peuple. Le peuple !... il faut l'enchaîner!... Que ces vaines déclamations ne vous intimident pas.

» Il suffit que nous reconnaissions, en vous un maître légitime, dont le droit, indépendant de toute loi, est antérieur à la création. Oui, Seigneur, vous êtes propriétaire de votre peuple, et malheur à celui qui voudrait imposer des servitudes à votre propriété, vous dicter des conditions, vous tracer des devoirs. Le monarque étant évidemment antérieur à la société, les Rois ayant précédé les peuples, quelle absurdité de dire que la société a imposé des conditions au monarque, et que les Rois doivent quelque chose à leurs peuples!

»Ne craignez rien, Seigneur, comptez sur l'assistance formidable de nos bras invincibles. Mais n'oubliez pas que votre premier devoir est de rétablir et de faire respecter nos droits aussi antiques, aussi sacrés que les vôtres, ainsi que ceux de nos fidèles alliés les vénérables Silicinos. Par-là votre trône sera inébranlable, comme par le passé, et la nation sera grande et heureuse. Ne vous embarrassez point dans de vaines formalités, régnez par la force et...» En cet endroit, le Roi, quoique naturellement doux et poli, et depuis long-temps accoutumé à être parfaitement maître de lui-même, ne put,plus se contenir; le feu lui monta au visage, il interrompit le harangueur.....

« Quoi! s'écria le vieillard auguste, est-ce bien à

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