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tion, et qui ennoblissait ainsi sa dépendance, n'était propre qu'à la rendre toujours moins capable de patriotisme. D'un autre côté, la guerre mettant à la disposition de nos Rois des armées nombreuses et composées d'hommes accoutumés à l'obéissance la plus aveugle, plaçait dans leurs mains un instrument terrible, et dont ils pouvaient se servir pour maîtriser la France à leur gré. L'esprit de guerre.et de conquête offrait donc à nos Princes deux moyens également puissans de rendre leur autorité absolue. Aussi mirent-ils tous leurs soins à l'entretenir; ils placèrent les vertus militaires au-dessus de toutes les vertus ; ils répandirent sur elles le lustre le plus brillant; ils furent les premiers à en donner l'exemple; et presque tous cherchèrent à faire triompher la nation au-dehors pour la subjuguer plus facilement au-dedans.

Cette nouvelle politique fait faire de tels progrès à l'autorité royale que, dès le règne de François Ier., elle écrase tout autour d'elle et ne connaît presque point d'obstacles. Ce Prince est assez puissant pour pouvoir traiter en maître tous les ordres de son royaume. Il disgracie impunément les grands qui lui font ombrage; il réprime l'ambition du parlement, lui rappelle son origine et le force de revenir à l'objet de son institution; il arrache aux papes le pouvoir qu'ils avaient usurpé en France de nommer aux évêchés et aux abbayes; dispose à son gré, à la fa veur de ce pouvoir, des prélats de son royaume, et s'assure par eux de la soumission de tout le clergé ;

en un mot, il tient également tous les Français dans la dépendance, et donne une force toute nouvelle à ce qu'on a appelé depuis l'esprit de la monarchie, esprit qui certes n'était rien moins que du patriotisme.

Les successeurs de ce Prince ne savent point retenir un pouvoir qu'il leur était si facile de conserver. Leur extrême faiblesse favorise des guerres civiles qui menacent de renverser leur famille du trône; guerres que le fanatisme allume au profit de l'ambition, et qui, pendant près d'un demi-siècle, causent en France des déchiremens effroyables sans améliorer l'esprit public.

La doctrine de Luther s'était introduite dans le royaume pendant le régime de François Ier; et la protection que ce Prince lui accordait en Allemagne n'avait pas moins contribué que la dépravation de sa cour à lui faire des prosélytes en France. Comme on n'avait pu arrêter la contagion par l'exemple des mœurs et de la piété, il avait fallu lui opposer le fer et le feu, et la violence de ces moyens n'avait servi qu'à la rendre plus active. Les successeurs de François veulent combattre le mal de la même manière; et comme lui, ils ne font que l'étendre et l'envenimer. La persécution lui fait faire chaque jour des progrès plus rapides; elle irrite également et ceux qui l'exercent et ceux qui la souffrent; et la France se trouve divisée en deux nations ennemies également impatientes de se déchirer. Des factieux profitent de ces dispositions pour essayer de s'emparer du pouvoir.

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Les Guises se mettent à la tête des catholiques, Condé se met à la tête des huguenots; les chefs des deux partis se disputent d'abord à qui arrachera le sceptre des mains des Valois; plus tard les Guises veulent repousser les Bourbons du trône devenu vacant, et auquel l'hérédité les appelle; et tandis que le peuple croit verser son sang pour la religion, il ne sert que l'ambition de quelques grands. Au milieu des excès auxquels on le pousse, sa raison altérée ne conserve aucune idée de patrie et de bien public. Si quelques hommes, restés calmes au milieu du délire universel, osent méditer un rapprochement entre les catholiques et les réformés, et tâcher de faire servir leurs sanglantes querelles à l'établissement de la liberté et du bonheur public, leur parti devient un objet d'horreur et de mépris pour les deux autres, et la nation ne sort de sa pieuse frérésie que pour retomber sous Henri IV, dans les langueurs de la servitude.

Ce Prince se sert, pour rétablir l'autorité royale, de la politique dont ses prédécesseurs avaient tiré si habilement parti. Il profite des divisions de ligueurs pour conquérir le trône ; il profite des rivalités des grands pour les faire tous rentrer dans l'obéissance; il laisse dans le fameux édit, destiné à pacifier les deux partis religieux, quelques sujets d'inquiétude et de mécontentement pour l'un et l'autre, afin de leur faire sentir à tous deux la nécessité de sa protection et le besoin de la rechercher; et il parvient à rendre son pouvoir aussi absolu que l'avait été celui de François Ier. Aussi quoique Henri

voulût sincèrement le bien de son peuple, la soumission aveugle qu'il en exigea ne permît-elle pas que l'esprit public se formât sous son règne. Il laissa subsister au sein de l'Etat tous les principes de dé sordre qui s'y étaient accumulés depuis l'origine de la monarchie, l'inimitié réciproque des trois ordres, l'ambition et les rivalités des grands, une égale disposition du peuple à la servitude et à la révolte, l'ambition particulière du parlement, et les haînes mal éteintes nées des querelles religieuses.

Tous ces élémens de désordre fermentent à-la-fois sous la régence de Marie de Médicis, et pendant les premières années du règne de Louis XIII; et ils auraient inévitablement produit de nouvelles guerres civiles, s'il n'avait paru dans le conseil du Roi un homme capable, non pas de les détruire, car le despotisme est toujours lui-même une cause plus ou moins prochaine d'anarchie, mais du moins d'en arrêter le développement.

L'édit de Nantes inspirait aux calvinistes des inquiétudes qui les tenaient dans un état perpétuel d'insurrection. Richelieu calme leur agitation en ruinant leurs forces; il ôte ainsi aux grands le seul appui qui restait à leur ambition; il rompt tous ceux qu'il ne peut faire plier, ou les force à s'exiler du royaume ; il humilie profondément le parlement; it enchaîne à-la-fois les esprits par le charme des arts et par la terreur des supplices; il accable la nation de tout l'ascendant qu'il lui donne sur les autres puissances de l'Europe, et la courbe tellement sous le

despotisme, qu'après sa mort, elle continue d'être docile sous la main incertaine de Louis XIII; et que les germes de discorde qu'elle conservait encore dans son sein ne peuvent produire, pendant la minorité de Louis XIV, que la guerre ridicule de la Fronde. Le règne de ce dernier Prince n'est, à beaucoup d'égards, que la continuation du ministère de Richelieu. Son despotisme est moins sombre, mais non pas moins énergique. Jamais Prince n'a retenu son peuple dans des chaînes plus brillantes ni plus fortes; jamais le pouvoir absolu ne s'est montré sous des formes plus grandes, plus nobles, plus séduisantes, j'oserais presque dire plus corruptrices; aussi la nation perdelle sous ce Prince tonte idée d'indépendance, et la volonté du Monarque devient pour elle la suprême loi.

La suite à un Numéro prochain.
D.....

DES DISPUTES DE MOTS,

ου

DE LA JUSTICE ET DU DROIT NATUREL.

Il est peu de mots auxquels tout le monde attache IL le même sens ; et il en est un grand nombre auxquels on n'en attache aucun, quoiqu'on les emploie

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