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Dans la seconde question, M. Faure tombe dans un excès contraire à celui que renferme la première. Il avait demandé d'abord si l'on ne pouvait pas tout imprimer et tout publier impunément ; il demande maintenant si l'on doit se borner à punir les délits commis par l'abus de la presse. « Comment doit-on » entendre, dit-il, la seconde partie de l'article 8 » de la charte? En se conformant aux lois qui doivent » RÉPRIMER les abus de cette liberté, se bornera-t-on » à faire des lois qui punissent le crime, ou en fera» t-on qui le préviennent ? »

Des lois destinées à prévenir le crime ne peuvent pas être considérées comme des lois de répression ; il est évident qu'empêcher ou punir le crime sont deux choses différentes : le réprimer, ce peut être le prévenir; mais le prévenir, ce n'est certainement pas le réprimer. L'article 8 ne laissait donc pas à M. Faure assez de latitude pour qu'il pût demander si l'on devait faire des lois qui prévinssent le crime; et demander si l'on pouvait faire de pareilles lois, quand l'article 8 ne parle que de lois répressives, c'était sans contredit mettre en question si l'on devait violer la charte constitutionnelle.

M. Faure demande enfin si l'on doit considérer les imprimeurs comme de simples copistes sans garantie, ou comme des complices du crime.

L'orateur discute la première question dans un ens plus ex act qu'il ne l'avait posée. Il n'examine pas si l'on doit pouvoir tout dire impunément, mais si la liberté de la presse doit avoir d'autres limites que

celles tracées par des lois destinées à en réprimer les abus. Il puise dans plusieurs publicistes anglais d'ex cellentes raisons pour établir qu'elle ne doit point en effet avoir d'autres bornes; il fait connaître à ce sujet la législation anglaise, et il finit par conclure que cette législation ne peut se concilier ni avec nos ni avec nos codes.

mœurs,

L'Angleterre, dit-il, n'a pas toujours joui de la liberté de la presse.-Non, mais enfin elle en a joui; pourquoi serions-nous éternellement privés de cet avantage? Elle a eu ses censeurs. Oui, mais elle s'en est débarrassée; pourquoi ne l'imiterionsnous pas en une chose aussi édifiante?

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Ce n'est

qu'à la suite de grands troubles qu'elle est parvenue à s'asseoir solidement. Sans doute, Sans doute, mais il y a vingt-cinq ans que nous sommes dans une agitation permanente; n'est-il pas permis de croire que nous sentons tous le besoin de nous reposer ? et la liberté de la presse nous empêcherait-elle de nous asseoir solidement ? Elle peut empêcher que le despotisme ne s'appesantisse sur nos têtes, et il faut convenir que nous n'en serons pas plus mal.

M. Faure trouve que nos lois pénales n'offrent point une garantie suffiante à l'Etat, ni aux particuliers, contre les écrits séditieux ou diffamatoires. Nous ne convenons point de cela; d'ailleurs, que n'en demandait-il la réforme? que n'en proposait-il de plus réprimantes? Mais ce n'était pas là son ob. jet; aussi se garde-t-il bien de faire aucune proposition qui tende à ce but; au contraire, passant à sa

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seconde question, il demande s'il ne vaut pas mieux empêcher le mal que de le punir. On voit clairement où il veut arriver; c'est la censure qu'il désire aussi, malgré la feinte aversion qu'il manifeste pour elle, finit-il par la croire nécessaire, et par en faire la proposition. Enfin, sur la troisième question relative aux imprimeurs, non-ssulement il demande qu'ils soient considérés comme complices du mal que peuvent produire les écrits qu'ils impriment, mais il veut encore les placer dans l'heureuse impuissance de rien imprimer de mauvais; et, à cet effet, il propose de les mettre sous la main du gou

vernement.

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le

De pareils principes me paraissent ne laisser aucun doute sur les véritables intentions de M. Faure. La proposition de M. Durbach n'avait peut-être pas un objet assez déterminé, la sienne..... Ses commettans apprécieront la conduite qu'il a tenue dans cette grande circonstance; ils jugeront s'il a pu, sans violer la constitution et trahir leur confiance, proposer rétablissement d'une censure, quand la charte ne met d'autres bornes à la faculté qu'elle accorde aux Français d'imprimer et de publier librement leurs opinions, que celles posées par les lois destinées à réprimer les abus de cette liberté. M. Faure dira-t-il qu'une censure mitigée est dans ses principes, et que la charte lui paraît avoir laissé trop de latitude à la liberté de la presse ? Il devait alors proposer de la modifier; mais en laissant subsister l'article 8, tel qu'il est, il ne pouvait, de bonne foi, demander la

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censure ; et il me paraît impossible de donner à sa proposition un caractère irréprochable.

L'orateur n'avait point rédigé de projet de loi ; il a demandé que ce travail fût fait dans les bureaux et la chambre s'est empressée d'accueillir cette proposition.

Séance du 5.- Le ministère croyait la chambre préparée, par le discours de M. Faure, au rétablissement de la censure; il jugea que le moment était venu de présenter à la chambre un projet de loi sur cet objet ; il ne voulut pas attendre celui qu'on préparait dans les bureaux; il craignit que la liberté de la presse n'y fût pas assez étroitement enchaînée, et il se hâta de prendre l'initiative.

que

Il ne sera pas inutile de dire un mot ici du travail le ministre de l'intérieur vint soumettre à la chambre. Il est remarquable sous plus d'un rapport; j'ose croire qu'il n'était pas possible de faire une loi plus despotique au fond, ni plus libérale dans la forme. Le législateur a soin de s'y montrer d'abord très-généreux; il pose en principe qu'on pourra imprimer, sans être sujet à aucune espèce de censure préalable, des in-folio, des in-quarto, des ouvrages en 100, en 20 en 10 volumes, et voir même en un seul volume de plus de 500 pag. in-8°. et même encore d'une plus petite épaisseur, s'ils sont écrits en langue morte ou étrangère, s'ils ne renferment que des prières, des discussions juridiques, des instructions pastorales, etc. ; en un mot, il per met d'imprimer sans aucune censure, tout ce que

le public ne pourra pas entendre, ou qu'il ne sera pas tenté de lire. Peut-on se montrer plus libéral, plus magnifique?

Quant aux ouvrages de trente feuilles et au-dessous, comme les brochures, les pamphlets, et tous les antres écrits qui peuvent piquer un peu vivement la curiosité publique, ils seront censurés, cela est indispensable; le directeur général de la librairie à Paris, et les préfets dans les départemens, peuvent ordonner qu'ils leur soient communiqués avant l'impression. Mais si l'ordre est dur, il faut convenir au moins que la forme en est polie. Pourront ordonner pourront!.... Pouvait-on s'exprimer d'une manière moins impérieuse?

Les manuscrits communiqués seront soumis à un ou plusieurs censeurs; et si deux de ces messieurs jugent que ce sont des libelles infâmes, qu'ils menacent de bouleverser l'Etat, ou d'achever de corrompre les mœurs, et surtout qu'ils sont contraires à T'article 11 de la charte, qui défend de revenir sur le passé, le directeur général de la librairie pourra ordonner qu'il soit sursis à leur impression. Certes, c'était bien le moins qu'on pût faire à l'égard de pareils écrits. A la vérité, messieurs les censeurs pourront trouver tout ce qu'on leur soumettra, diffamatoire, séditieux ou immoral; le moindre mot trop haut ou trop leste pourra devenir, à leurs yeux, un cas pendable pour un livre; mais tranquillisonsnous, ils ne jugeront pas en dernier ressort; il ne sera que sursis à l'impression, on permettra aux

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