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il me témoignait le désir de me voir et de me parler.

Je me rendis aussitôt au château et à l'œil-debœuf; je le trouvai rempli de monde : sur-le-champ tout ce monde m'entoura pour me demander des nouvelles; une grande alarme était répandue. On y disait que les districts envoyaient une députation de 60 personnes, appuyée de vingt mille Parisiens. Je les tranquillisai, en leur disant que j'avais nouvelle des soixante députés, mais nullement dé leur escorte; que même la députation n'étant pas venue, il y avait grande apparence qu'elle ne viendrait pas, du moins aujourd'hui. J'étais assez embarrassé, ne connaissant pas trop les formes, de savoir comment je serais introduit auprès du roi. Je ne savais si le roi voulait qu'on sût qu'il m'avait mandé ; je craignais de m'ouvrir à personne sur cet objet. Enfin, j'imaginai de m'adresser au même premier valet de chambre qui m'avait fait passer le billet; je le trouvai, et il m'introduisit. Le roi me dit qu'il m'avait fait venir pour être instruit de l'état de Paris. Je lui dis ce que j'en savais; je lui exposai le vœu ardent des habitans de Paris. Il me répondit que son intention était d'y aller; je le vis très-affecté des meurtres auxquels le peuple s'était livré, et qui avaient souillé l'Hôtel-de-Ville. Je lui parlai du gouverneur de la Bastille; il me dit : « Ah! il a mérité son sort! » Mais il accordait ces différens sentimens, en pensant que la justice ne devait pas être exercée par

le peuple et par le meurtre, et il avait raison. Dans le désir de le déterminer à satisfaire le vœu de Paris, et à s'y montrer, je lui observai que, s'il avait quelque répugnance à venir dans ces circonstances à l'Hôtel-de-Ville, il était possible qu'il vint à Notre-Dame et aux Tuileries. Je m'avançais peut-être trop, et il est possible que le peuple n'eût pas été pleinement content. Mais il me répondit: : « J'irai à l'Hôtel-de-Ville; quand on fait les choses, il faut les faire complétement. » C'était la première fois que je voyais le roi, et que je lui parlais seul. Je me retirai, et j'emportai une grande conviction de sa bonté naturelle qui me parut marquée, et dans sa douleur, et dans ses paroles, et dans l'accent de sa voix.

A peine étais-je sorti, qu'on me rappela. Je crus que le roi me redemandait. Je rentrai dans le cabinet; le roi n'y était plus. J'y trouvai M. de Breteuil avec M. d'Angevilliers et une autre personne. M. de Breteuil me conduisit à une croisée, et me dit : « J'ai su que vous étiez ici, et j'ai désiré de vous voir. » Je lui répondis que j'en étais bien aise, mais que je n'en étais pas moins affligé de l'occasion. Il me dit qu'il quittait Versailles le lendemain. Je lui dis qu'il voyait que les événemens avaient bien justifié ce que je lui avais écrit lundi dernier. Il me dit : « Vous voilà donc maire de Paris; je vous en félicite. » Il m'ajouta que le roi y allait le lendemain matin, et il fut étonné que le roi ne me l'eût pas dit. Je dirai, sans en

rougir, que je fus content de l'avoir vu sans avoir manqué à mon devoir, parce que je lui étais vraiment attaché; et je me retirai, en déplorant pour lui et son arrivée inconsidérée à Versailles, et sa retraite si nécessaire et si différente de celle qu'il avait faite un an auparavant. Je ne cache ici ni mes démarches ni mes pensées.

Il était neuf heures et demie. Je me retirai chez moi sans retourner à l'Assemblée, et je me décidai à partir le lendemain de grand matin pour Paris, afin d'y aller recevoir le roi.

Vers dix heures, à l'Assemblée, la nouvelle arriva du renvoi (1) de tous les ministres, et l'adresse qui le demandait fut changée en remercîmens. M. l'archevêque de Vienne revint à l'Assemblée (il vit sans doute le roi après moi), en lui portant une lettre de rappel du roi à M. Necker. L'Assemblée, sensible à cette communication, et pleine d'estime pour ce ministre, ordonna de joindre à la lettre du roi une lettre de sa part, pour lui porter les témoignages de son estime, de ses regrets et de l'espérance de son retour (2). On arrêta une députation au roi, pour le remercier du renvoi des ministres. Elle allait partir,

(1) Ou plutôt de la démission.

(Note des nouv. édit.)

(2) On trouvera, dans les Mémoires de Necker, la lettre du roi et celle de l'Assemblée nationale, ainsi que quelques détails assez curieux, relativement à la première. La lettre de l'Assemblée à M. Necker se terminait par ces mots : « La nation, son roi et ses représentans vous attendent. » (Note des nouv. édit.)

lorsqu'on a été instruit que le roi allait le lendemain à Paris, et qu'il invitait l'Assemblée de faire connaître cette résolution à sa bonne ville de Paris. On a nommé sur-le-champ une députation de douze membres pour Paris (1). Il a été arrêté, de plus, que le roi serait prié de permettre qu'une nombreuse députation l'accompagnât lors de son entrée à Paris. On eut le double motif et de faire honneur au roi, et de l'entourer des représentans de la nation, dans un moment où il serait sans autre garde. Cette précaution n'est pas offensante pour la ville de Paris. La fidélité de ses habitans était bien connue; mais elle pouvait n'être pas inutile dans des temps de trouble, où l'on ne pouvait se dissimuler que des brigands ne fussent mêlés aux bons citoyens. On a député au roi qui a accepté la députation nommée pour l'accompagner. C'est à ce moment que le roi a remis à M. de Vienne la lettre pour M. Necker, en priant l'Assemblée de se charger de Fenvoyer à Bruxelles où il devait être encore ; et c'est M. Dufrêne de SaintLéon qui en a été le porteur. C'est ici que doit être rapporté ce que j'ai dit plus haut à cet égard. Cent membres ont été nommés pour accompagner le roi.

(1) Cette députation n'arriva à Paris qu'à une heure ou deux après minuit : à trois heures, les ordres furent donnés à tous les districts, et avant sept heures du matin, plus de cent mille citoyens, s'il faut en croire quelques historiens, étaient sous les (Note des nouv. édit.)

armes.

Je vais dire ici ce qui s'était passé à Paris dans la journée. L'objet le plus important occupa, dès le matin, le comité permanent; MM. Target, Duport, de La Rochefoucauld, de Clermont-Tonnerre, de La Coste, de La Tour-Maubourg et M. de La Fayette. Il s'agissait d'ordonner la démolition de la Bastille, commencée dès la veille par le peuple, par conséquent d'une manière très-illégale. Il s'agissait de sanctionner cet acte populaire, ou plutôt de le faire émaner de l'autorité, afin qu'une multitude aveugle ne s'accoutumât pas à usurper et à exercer cette autorité. En conséquence le comité a pris l'arrêté suivant : « Le comité perma» nent établi à l'Hôtel-de-Ville, provisoirement >> autorisé jusqu'à l'établissement d'une municipalité régulière, et librement formée par l'élec» tion des citoyens,

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» A arrêté que la Bastille sera démolie sans » perte de temps, après une visite par deux archi>>tectes chargés de diriger l'opération de la dé» molition, sous le commandement de M. le >> marquis de La Salle, chargé des mesures néces»saires pour prévenir les accidens.

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» Et pour la notification de la présente or>> donnance , quatre électeurs auxquels deux députés de la ville de Paris à l'Assemblée natio»›nale, actuellement présens à l'Hôtel-de-Ville >> seront invités à se joindre, se transporteront >> sur-le-champ à la Bastille.

>> Et sera, la présente ordonnance, lue, publiée

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