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adresse pour le renvoi des ministres actuels (1). M. Mounier soutint que l'Assemblée n'avait pas le droit d'influer sur le renvoi des ministres. M. Mounier oubliait que le roi nous avait consultés, et que la consultation autorise l'avis. Mirabeau combattit victorieusement: on lui objecta que ce serait confondre les pouvoirs; il répondit : « Vous >> oubliez que ce peuple, à qui vous opposez les >> limites des trois pouvoirs, est la source de tous. >> les pouvoirs, et que lui seul peut les déléguer; >> vous oubliez que c'est au souverain que vous >> disputez le contrôle des administrateurs; vous >> oubliez enfin que nous, les représentans du sou>> verain, nous devant qui sont suspendus tous les >> pouvoirs, et même ceux du chef de la nation, s'il >>ne marche point d'accord avec nous; vous oubliez )) que nous ne prétendons point à placer ni dépla» cer les ministres, en vertu de nos décrets; mais » seulement à manifester l'opinion de nos commet>> tans sur tel ou tel ministre. Vous avez le droit de >>> les poursuivre ; vous créerez un tribunal pour les >> punir, et jusque-là vous vous réduirez au silence. >> Se taire ou punir, obéir ou frapper, voilà votre » système; et moi, j'avertis, avant de dénoncer; » je récuse avant de flétrir; j'offre une retraite à » l'inconsidération ou à l'incapacité avant de les

(1) Mirabeau lut même un projet d'adresse fort étendu, et qui fut vivement applaudi par une grande partie de l'Assemblée. (Note des nouv. édit.)

>> traiter de crimes. Qui de nous a plus de mesure >> et d'équité? >>

J'ai rapporté ces idées, parce qu'elles sont parfaitement justes, et que Mirabeau, par ce peu de paroles, éleva tout-à-coup l'Assemblée à la hauteur et des vrais principes et de ses importantes fonctions. M. de Clermont-Tonnerre a proposé, en demandant le renvoi des ministres, de faire part au roi de la nomination de M. de La Fayette et de la mienne, afin que la sanction du roi joignît une nouvelle couronne au choix du peuple. La discussion a été interrompue par la nouvelle que M. de Broglie et M. le garde-des-sceaux avaient donné leur démission. Il a lu ensuite, au nom des membres de la noblesse qui s'étaient momentanément absentés de l'Assemblée, la déclaration suivante : «< Messieurs, la fidélité que plusieurs membres de >> la noblesse devaient à leurs commettans, ne leur » a pas permis jusqu'à présent de prendre part à » vos délibérations. Mais les circonstances actuelles » sont si intéressantes pour le bien public, sont >> trop impérieuses pour ne pas les entraîner; per» suadés qu'ils ne font que prévenir le vœu de >> leurs commettans auxquels ils vont en rendre >> compte, ils ont l'honneur de vous annoncer » qu'ils donneront leurs voix sur les objets qui >> vont occuper l'Assemblée nationale. »

Les députés de la noblesse de Paris, liés par leur mandat au vœu de la majorité de la noblesse sur le vote, ont fait la même déclaration. M. le

cardinal de La Rochefoucauld a fait la même déclaration au nom des membres du clergé qui s'abstenaient de délibérer. M. l'abbé de Montesquiou a reconnu que la minorité du clergé s'était trompée, et qu'ils en faisaient avec plaisir l'aveu à la nation. Et il a été constaté sur le procès-verbal de ce jour, que tous les membres de l'Assemblée, dont les pouvoirs ont été vérifiés, avaient voix délibérative. Ainsi l'Assemblée s'est trouvée complète, pleine et entière; comment ceux qui en ce moment ont tout adopté, et le passé et l'avenir, ont-ils jamais osé réclamer!

On a reçu une lettre de M. de Broglie qui annonçait, au nom du roi, que toutes les troupes qui se trouvaient dans Paris partiraient aujourd'hui pour se rendre dans leurs garnisons respectives.

Ensuite on a repris la discussion sur les ministres, et enfin il a été arrêté que l'adresse pour demander leur renvoi et le rappel de M. Necker serait portée au roi.

L'après-midi je vis plusieurs personnes venues de Paris, qui me dirent que l'on y désapprouverait infiniment que je demandasse la confirmation du roi; que le peuple devait être libre de nommer ses magistrats, et que le pouvoir exécutif ne devait pas y intervenir. Je pensai en conséquence qu'il était sage de m'abstenir de toute démarche à cet égard. Comme la place était nouvelle, et qu'elle n'était par conséquent assujettie à aucune forme réglée, je n'étais pas obligé d'agir, et je pouvais

attendre. On me dit qu'on y parlait d'une dépu→ tation au roi, formée d'un député de chaque district et de soixante personnes. M. Vicq d'Azir, premier médecin de la reine, vint me voir; il sortait de chez elle, et je lui racontai le vœu des habitans de Paris pour voir le roi, et l'utilité d'un voyage du roi à Paris dans cette circonstance, et je l'engageai d'en parler à la reine. Il me dit qu'il allait y retourner de ce pas. J'aurais pu aller au roi moi-même; mais, je l'ai dit, j'étais tout neuf, et je ne connaissais ní ma place, ni mes droits.

Je retournai à l'Assemblée à six heures. On y a reçu une lettre singulière, elle était du premier président du parlement, et adressée au président. La voici :

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» Le parlement m'a chargé de faire part à l'Assemblée nationale d'un arrêté qu'il vient de prendre ce matin. Je m'empresse de remplir cette mission, en vous envoyant une copie de l'arrêté. Je suis avec respect, etc.

>> BOCHART DE SARON. »

Voici l'arrêté : « La cour, instruite par la ré»ponse du roi, du jour d'hier, à l'Assemblée » nationale, de l'ordre donné aux troupes de » s'éloigner de Paris et de Versailles, a arrêté que » M. le premier président se retirera à l'instant » par-devant ledit seigneur roi, à l'effet de le re

>> mercier des preuves qu'il vient de donner de » son amour pour ses peuples, et de sa confiance » dans leurs représentans dont le zèle et le patrio>>> tisme ont contribué à ramener la tranquillité >> publique ;

» Arrête que M. le président fera M. le président fera part de l'arrêté » de ce jour à l'Assemblée nationale. »

Le premier président avait porté lui-même l'arrêté au roi. Cette différence entre ces deux pouvoirs choqua vivement l'Assemblée. Les ducs d'Aiguillon, de Luynes, de Praslin, de La Rochefoucauld, MM. Duport, Dionis du Séjour, Freteau, de Saint-Fargeau, Filtz-Gerald, et d'Éprémesnil même, tous membres du parlement, s'élevèrent contre cette inconvenance, et, on peut dire, ce manque absolu de respect à la nation. M. de Clermont - Tonnerre dit que le parlement traitait de corps à corps avec la nation; MM. de Saint-Fargeau et Freteau observèrent que, dans un ordre de choses tout nouveau, les convenances pouvaient n'être pas tout-à-coup déterminées et aperçues. Mais on répliqua qu'il était facile d'imaginer ce qui était dû à une nation qui reprend ses droits et sa dignité, par une cour dont les pouvoirs émanent de la nation elle-même. M. le président fut chargé de faire connaître ce mécontentement à M. de Saron.

la

Sur les huit heures, on vint me demander de part du premier valet de chambre du roi, et on me remit un billet du roi lui-même, par lequel

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