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Il ne s'y trouva ni communications, ni prisonniers, et les carrières visitées ne contenaient point d'ennemis. Au comité permanent, vers minuit, on vint me dire qu'une femme, déguisée en homme, avait été arrêtée, qu'elle était dans la cour de l'Hôtel-de-Ville, où le peuple allait la pendre sans autre forme de procès. On ajouta qu'il n'y avait que moi qui pût la sauver. Je descendis sur-le-champ, la cour était pleine d'une foule d'hommes portant ou des armes, où des flambeaux; c'est là que je trouvai cette infortunée : je voulus l'interroger. La frayeur ne lui laissait pas la liberté de s'exprimer; le tumulte, le bruit que faisaient ces hommes furieux étaient si grands, qu'on ne pouvait entendre ses réponses. On ne cessait pas de la maltraiter, elle tomba devant moi évanouie sur le pavé. Dans cette foule, je ne connaissais personne, je ne savais distinguer ni ceux que je devais craindre, ni ceux dont je pouvais être sûr; je donnais des ordres qui n'étaient ni suivis, ni entendus. On me faisait entendre que je n'étais pas en sûreté. J'aperçus heureusement M. Hay, colonel des gardes de la ville, qui m'avait suivi; je l'appelai, je lui ordonnai, d'un ton très-sévère, de faire mener cette femme en prison, et qu'il m'en répondrait. Il en vint à bout, et je sauvai ainsi cette femme qui sortit le lendemain de grand matin. M. l'évêque de Chartres et un autre député furent arrêtés et conduits à l'Hôtel-de-Ville : je leur fis des excuses sur une erreur due à la confu

sion des événemens de la journée, et on donna des ordres pour assurer leur retour à Versailles.

Dans la méfiance qui tourmentait tous les es→ prits, et qui'disposait ou à concevoir des chimères, ou à les adopter, et peut-être aussi par un effet de la malveillance qui voulait diviser et semer le trouble, des particuliers inconnus sont venus dire à l'assemblée que la démarche du roi n'était pas sin cère, qu'elle cachait un piége de nos ennemis pour faire poser les armes, et nous attaquer avec plus de facilité. J'avoue, qu'heureux des événemens de la journée, et convaincu de la loyauté du roi, je fus indigné des soupçons qu'on osait répandre; je m'élevai avec force contre une défiance que ses vertus connues ne permettaient pas de concevoir. Je dis que j'avais été témoin de tout, et que je répondais de l'exactitude des récits faits à l'assemblée et au peuple. J'ajoutai que la confiance due à la parole du roi n'empêchait pas que la garde établie ne veillåt avec le même zèle à la sûreté de la ville, et qu'alors aucun ennemi ne serait redoutable.

L'avenir m'a bien convaincu qu'il y avait dès ! lors un moteur invisible qui n'était pas satisfait que le despotisme eût été détruit et la liberté acquise dans ces jours du 13 et du 14 juillet, qui semait à propos les fausses nouvelles, les craintes, les défiances pour perpétuer le trouble. Ce moteur n'a pas encore cessé son action; il a dû avoir un grand nombre d'agens, et, pour avoir tissu et suivi

¡II.

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ce plan abominable, il faut et un esprit profond, et beaucoup d'argent. Quelque jour on connaîtra, on dira le génie infernal et le bailleur de fonds.

Ce que je dis à l'assemblée calma les esprits; mais aussitôt on manifesta le vœu de voir le roi, et l'on désira que je me chargeasse de supplier le roi de venir le lendemain à Paris. J'ai répondu que je retournais cette nuit même à Versailles. Mais n'ayant pas encore aperçu les droits que ma nouvelle place me donnait, et ne considérant que les usages actuels de la cour, j'ajoutai que je n'étais pas le maître de voir le roi quand je le désirais; que je profiterais de la première occasion, de tous les moyens qui se présenteraient pour donner cette satisfaction à la ville de Paris; mais que la chose était impossible pour le lendemain 16.

Je partis en effet vers deux heures. Le chemin était long de l'Hôtel-de-Ville aux voitures de la cour, et difficile à cause des patrouilles qui inondaient les rues. Un électeur, M. Leroux, qui, d'ailleurs, avait un fiacre que j'aurais eu peine à trouver à cette heure indue, offrit de me conduire, et je lui en eus une grande obligation; car nous fumes arrêtés plus de trente fois dans la route; et sans lui, quoique chef et premier magistrat de Paris, j'aurais été mené à quelque district cu ramené à l'Hôtel-de-Ville. Je dois dire une petite circonstance qui prouve le patriotisme et l'esprit public de cette journée. Les commis du bureau des voitures ne voulurent point prendre mon argent, et

me dirent qu'ils avaient des ordres de leurs chefs pour n'en point recevoir des députés à l'Assemblée nationale. J'arrivai, à cinq heures, à Versailles, où je trouvai madame Bailly dans une mortelle inquiétude. Elle était instruite que la plupart des députés étaient arrivés vers minuit, et elle ne doutait pas qu'au milieu d'une ville qui avait été le théâtre de tant de mouvemens et de désordres, il ne me fût arrivé quelque malheur. Je lui appris ma nouvelle dignité dont elle fut peu satisfaite, et je me couchai pour prendre quelques heures d'un repos dont j'avais un pressant besoin, après la journée la plus fatigante et la plus agitée que j'aie eue dans ma

vie.

Jeudi 16 juillet. Je me rendis à la salle à dix heures du matin. A l'ouverture de la séance, M. l'archevêque de Paris a rendu un premier compte de notre députation de la veille. J'ai eu ensuite la parole, et j'ai fait part de ma nomination à la place de maire de Paris. J'ai dit à l'Assemblée que je n'avais accepté que provisoirement, et en supposant et la compatibilité et son agrément; qu'il me semblait que les fonctions de député et de maire pouvaient n'être pas regardées comme incompatibles, puisque toujours jusqu'ici, ou du moins le plus souvent, le prévôt des marchands de Paris avait été député-né aux états-généraux. Ma nomination fut fort applaudie et par l'Assemblée et par le nombreux concours de spectateurs qu'attirait la curiosité du récit des événe

si

mens de la veille. M. Mounier prit la parole pour l'affirmative, et assura la compatibilité : ainsi elle fut reconnue, et ma nomination approuvée. M. Mounier ajouta le récit de notre députation (1). Le président, quand il eut fini, proposa la mention au procès-verbal; elle fut adoptée unanimement. (Point du Jour, 17 juillet, no 26, p. 214.) J'ai été étonné de trouver la mention du récit de M. Mounier, et rien sur ma nomination : c'est un oubli des secrétaires. J'en ai été fàché, car depuis, à Paris, on a cherché à me faire quelques tracasseries; on a voulu alléguer l'incompatibilité, et, cela avait été plus loin, j'aurais pu avoir besoin du procès-verbal. M. de Tollendal relut son discours, et l'Assemblée ordonna que ce discours, ainsi que le récit de M. Mounier, seraient annexés au procès-verbal. Un de Messieurs de la noblesse a dit que plusieurs membres de son ordre, étant absens et réunis dans ce moment, demandaient qu'on suspendît toutes délibérations importantes jusqu'à ce qu'ils fussent rentrés. Cependant Mirabeau, toujours à la poursuite des ministres, comme il avait poursuivi les troupes, proposa de faire une

(1) Suivant le journal le Point du Jour, M. Mounier termina ce discours en proposant d'élever une statue au roi sur les ruines de la Bastille. Il faut observer qu'une motion pareille fut faite à l'assemblée des électeurs de Paris, par M. de Corny, le jour où le roi se rendit dans la capitale, appelé par les vœux de tous les citoyens.

(Note des nouv. édit.)

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