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effet il fut gardé à l'Hôtel-de-Ville; mais bientôt M. de Villette vint confirmer la nouvelle, et M. l'Avenue, député de Bazas à l'Assemblée nationale, en apportant une confirmation complète, vint annoncer l'arrivée de la députation. Il dit aux électeurs «< qu'il avait désiré les prévenir autant » pour apporter la paix et le bonheur à Paris

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quelques momens plus tôt, que pour donner à » l'Hôtel-de-Ville le temps de n'être pas surpris » par une députation nombreuse, inattendue, et » la seule que l'Assemblée aura jamais envoyée à » une municipalité. »

Les électeurs étaient peu nombreux alors, et, dans le trouble qui avait régné jusqu'à ce moment, il était difficile de recevoir dignement la députation; on n'avait, pour ainsi dire, à lui offrir que ce qu'elle apportait elle-même, le spectacle de la paix nouvelle et de la joie inespérée. On ordonna de tirer le canon à l'arrivée de la députation. MM. du Veyrier, de Leutre, l'abbé Fauchet et Legrand de Saint-Réné ont été envoyés au-devant d'elle.

Nous avions traversé les Tuileries; les députés nous trouvèrent sous le vestibule du palais. M. du Veyrier, portant la parole, dit : « Messieurs, nous » sommes députés par l'assemblée des électeurs » pour recevoir les anges de paix que l'Assemblée »> nationale nous envoie ; qu'elle daigne excuser le >> petit nombre et l'extérieur négligé des députés.» Le petit nombre prouvait que les autres électeurs étaient chacun à des postes et à des travaux

infiniment multipliés, et leur négligé qu'ils n'étaient occupés que de la chose publique. Nous nous mîmes en marche par le Carrousel, les rues SaintNicaise, Saint-Honoré, de l'Arbre-Sec, et les quais jusqu'à l'Hôtel-de-Ville. La marche était ouverte par le guet à cheval, deux détachemens de gardesfrançaises et suisses, les officiers de la prévôté de l'Hôtel, ceux de la milice parisienne, ensuite les quatre électeurs, enfin les députés de l'Assemblée nationale en très-grand nombre, et précédés de deux huissiers de l'Assemblée (1); plusieurs détachemens des gardes-françaises et de la milice parisienne fermaient la marche et bordaient la haie.

Jamais visite plus grande, plus importante et plus solennelle ne sera faite à aucune ville, et jamais cet honneur ne sera mieux senti, et reçu avec plus de joie et de transport. Une foule immense dans les rues, toutes les fenêtres garnies, beaucoup d'ordre, et partout un empressement naïf et franc, partout des acclamations et des bénédictions sur notre passage, des larmes, des cris: Vive la nation! vive le roi! vivent les députés! On leur distribuait des cocardes nationales rouges, bleues et blanches; on se pressait autour d'eux; on leur prenait les mains; on les embrassait. Chacun les nommait avec

(1) La députation était composée de quatre-vingt-quatre membres de l'Assemblée. Parmi eux se trouvaient notamment MM. Bailly, La Fayette, Mounier, de Lally-Tollendal, Clermont-Tonnerre, Sieyes, La Rochefoucauld-Liancourt, et l'archevêque de Paris. (Note des nouv. édit.)

une voix attendrie; et j'eus quelque part à ces témoignages de sensibilité et de reconnaissance publique. Ce triomphe était bien doux; mais j'ose dire que nous l'avions mérité.

Nous rencontrâmes dans la rue Saint-Honoré, près celle de Saint-Nicaise, une espèce de pompe triomphale; c'était un garde-française en uniforme, couronné de laurier, décoré de la croix de SaintLouis, et conduit, aux acclamations du peuple, dans une charrette entourée de la milice parisienne et des instrumens de musique militaire. La voiture arrêta, on nous le fit connaître; nous le fêtâmes et nous mêlâmes nos applaudissemens à ceux de la multitude. Je crois que ce garde-française était celui qui avait arrêté M. de Launay, et à qui on laissa alors la croix arrachée à ce gouverneur ; je crois aussi que c'est lui qui est mentionné au Procès-Verbal des électeurs, tom. II, p. 40, nommé Dubois, et qui, le 16, a rapporté la croix de SaintLouis que le peuple lui avait donnée le mardi 14, au moment de la prise de la Bastille. M. Moreau de Saint-Merry lui a donné acte de son offre, mais lui a dit qu'il n'avait pas le pouvoir de reprendre

cette croix.

Nous admirâmes partout cette milice parisienne, à peine naissante, et qui déjà était une milice observant l'ordre, non avec une contenance exercée et de discipline, mais celle de la liberté, et avec l'esprit de citoyens qui font la police pour eux. Je me rappelle qu'en approchant du Pont-Neuf, je

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vis avec étonnement, dans la rue de l'Arbre-Sec, le nombre des soldats-citoyens qui nous suivaient : c'était une forêt de fusils; armée sortie de terre tout-à-coup comme les soldats de Cadmus.

Au perron de l'Hôtel-de-Ville, nous trouvâmes les électeurs en corps: on ne tira pas, on ne put à temps y transporter les canons qui étaient à la Bastille, où ils avaient été plus utiles et plus nécessaires; s'ils n'y avaient pas été, à ce moment nous ne serions pas à l'Hôtel-de-Ville. La grande salle où l'on nous conduisit était remplie et des électeurs et de tous les citoyens qu'elle pouvait contenir. On plaça au bureau M. de La Fayette, vice-président de l'Assemblée nationale, M. l'archevêque de Paris, M. le duc de La Rochefoucauld, moi; et le procès-verbal y ajoute MM. Sieyes et de ClermontTonnerre. Pendant que nous sommes placés, et même encore après, il a été difficile d'arrêter, de suspendre les applaudissemens, et l'expression, trop vive pour n'être pas tumultueuse, de l'allégresse publique. Enfin M. de La Fayette a obtenu de pouvoir parler; il a dit en substance : « Le roi » a été trompé; mais il ne l'est plus; il connaît >> nos malheurs, et il les connaît pour empêcher

qu'ils ne se reproduisent jamais. En venant por>> ter de sa part des paroles de paix, j'espère, » Messieurs, lui rapporter aussi la paix dont son >> cœur á besoin. » Il a fait ensuite le récit fidèle des heureux événemens du matin, et il a fait lecture du discours du roi. Cette lecture a renouvelé

les cris de vive le roi! vive la nation! M. deLallyTollendal a demandé la parole : « Messieurs, » a-t-il dit avec cette éloquence sensible et touchante qui le caractérise, «< ce sont vos concitoyens, vos frères, » vos représentans qui viennent vous donner la paix. >> Dans les circonstances désastreuses qui viennent » de se passer, nous n'avions pas cessé de partager >> vos douleurs: mais nous avons aussi partagé >> votre ressentiment; il était juste.

>> Si quelque chose nous console au milieu de » l'affliction publique, c'est l'espérance de vous » préserver des malheurs qui vous menacent.

» On avait séduit votre bon roi; on avait em» poisonné son cœur du venin de la calomnie; on » lui avait fait redouter cette nation qu'il a l'hon»> neur et le bonheur de commander.

son

>> Nous avons été lui dévoiler la vérité >> cœur a gémi; il est venu se jeter au milieu de >> nous; il s'est fié à nous, c'est-à-dire à vous; il »> nous a demandé des conseils, c'est-à-dire les » vôtres. Nous l'avons porté en triomphe, et il » le méritait. Il nous a dit que les troupes étran» gères allaient se retirer; et nous avons eu le plaisir inexprimable de les voir s'éloigner. Le >> peuple a fait entendre sa voix pour combler le >> roi de bénédictions; toutes les rues retentissent » de cris d'allégresse.

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» Il nous reste une prière à vous adresser. Nous » venons vous apporter la paix de la part du roi » et de l'Assemblée nationale. Vous êtes généreux,

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