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huit jours auparavant, avait renversé la Bastille. Nous nous sommes rendus aussitôt à l'assemblée, M. de La Fayette et moi. M. de La Rivière s'est présenté, et a dit que M. Berthier était arrivé, et qu'il l'avait déposé avec sa garde dans une pièce voisine. J'extrairai ici le récit de M. de La Rivière. «En conséquence des ordres de l'assemblée, il s'est transporté avec M. de La Presle et deux cent quarante hommes à cheval, commandés par M. d'Ermigny, à Senlis, où il est arrivé le mardi 21, à dix heures du matin. Ils y ont laissé une partie de leur troupe, et l'autre à Verberie. Ils ont été tous trois seuls, à Compiègne, où M. Berthier leur a été remis, et reconduit jusqu'à Verberie par la garde nationale de Compiègne. Ils sont partis le mercredi à trois heures du matin. A la première poste, ils ont trouvé un détachement du district du Val-de-Grâce qui se rendait à Compiègne, et qui venait augmenter l'escorte ou plutôt l'embarras. Il faut, pour conduire des prisonniers, une garde suffisante pour les mettre à l'abri d'un coup de main; le reste est superflu et nuit même à leur conservation, comme les événemens même de ce jour le prouvent. Ils n'ont pas cru prudent de s'arrêter à Senlis, parce que la fermentation était grande. La route était couverte d'une affluence considérable de monde ; et c'est un effet des nombreuses escortes qui se font remarquer, et qui, par la lenteur de leur marche, donnent plus de temps aux curieux de s'amasser. Ils sont arrivés à Louvres;

M. Berthier et l'escorte s'y sont reposés. Là, beaucoup d'hommes à cheval se sont réunis à la troupe, et la foule s'accroissait de moment en moment.

A deux heures après midi des cris horribles se sont fait entendre dans la cour de l'auberge; des gens armés ont dit qu'il fallait arriver de jour à Paris. Plusieurs sont montés et ont forcé M. Berthier de descendre. On a brisé les auvents du cabriolet. Sa vie n'était pas en sûreté. M. de La Rivière a eu le courage de se placer à côté de lui. On a entouré la voiture de cavaliers sûrs, et on est parti. Les clameurs suivaient partout. On apportait de mauvais pain, et le peuple attribuait à M. Berthier tous ses malheurs. A la sortie de Louvres, un homme armé d'un sabre a cherché à s'approcher et à le frapper. M. de La Rivière l'a couvert de son corps. Cependant la troupe des gens à cheval allait toujours grossissant. Il y en avait plus de six cents, leur nombre était presque triple de l'escorte chargée de répondre du prisonnier. M. d'Ermigni donnait des ordres, il n'était ni obéi, ni entendu. C'est là où M. de La Rivière a reçu ma lettre qui lui mandait de coucher au Bourget, pour arriver le lendemain à neuf heures, et conduire le prisonnier de suite à l'Abbaye. M. Berthier a été inquiet de cette lettre. M. de La Rivière a cru devoir la lui lire pour le consoler. Elle l'a beaucoup tranquillisé, et il a dit : « Je vous prie de remer»cier M. Bailly et l'assemblée, des moyens em>>ployés pour me mettre à même de me justifier,

>> et pour me soustraire à la fureur aveugle d'un >> peuple qui m'accuse. >>

>> On remarquait dans la route des gens armés de fusils qui le couchaient en joue. Arrivés au Bourget, M. de La Rivière voulut y arrêter pour y coucher et exécuter les ordres; mais « quelques » personnes, dit-il, prévenues peut-être de ces >> ordres, ont empêché que nous n'approchassions » de la porte, et ont forcé le postillon de Louvres » de venir jusqu'à Paris, sans vouloir lui permettre » de relayer. >> Ces personnes, qui disposaient et ordonnaient, avaient sans doute ou leurs intentions personnelles ou leurs ordres particuliers. Le concours était prodigieux sur le chemin de Paris, et les deux côtés de la route étaient garnis d'une foule immense. Il n'y a sorte d'humiliations qu'on n'ait fait subir au prisonnier. Il avait imaginé, pour apaiser le peuple, de mettre à son chapeau la cocarde nationale; M. de La Rivière lui avait prêté la sienne; elle lui fut aussitôt arrachée. On avait préparé une charrette avec des écriteaux; on voulait l'y faire monter on a exigé que le cabriolet fût entièrement découvert. Il entendait à ses oreilles des cris de mort et de supplice, des accusations d'accaparement, et il répondait : « Je vous » jure que jamais je n'ai acheté ni vendu un seul » grain de blé. » Dans la rue Saint-Martin, on voulut approcher de la voiture une tête au bout d'une pique; c'était la tête de M. Foulon. Cette atrocité était purement gratuite, et montre à quel excès

le peuple échauffé devient cruel. M. de La Rivière lui fit tourner les regards ailleurs, et lui dit ensuite que c'était la tête de M. de Launay. En passant vis-à-vis Saint-Méderic, M. Berthier dit: Je croi>> rais l'avanie, dont je suis actuellement l'objet, » sans exemple, si Jésus-Christ n'en avait éprouvé » de plus sanglantes; il était Dieu, et je ne suis » qu'un homme. »

Le courrier dépêché pour porter l'ordre d'aller directement à l'Abbaye, avait rencontré le cortége à la porte St.-Martin, et la foule impénétrable l'avait empêché d'approcher. D'ailleurs cette foule n'aurait pas permis l'exécution de l'ordre. La destinée de M. Berthier l'entraînait à l'Hôtel-de-Ville. M. de La Fayette, à qui j'ai demandé une forte garde pour amener et environner le prisonnier, l'a ordonnée, et M. Berthier est entré avec une contenance assez ferme et assez calme. J'avais la triste fonction de l'interroger et de lui faire des questions qui n'avaient pas d'objet bien déterminé, puisqu'aucune inculpation positive n'avait précédé ni décidé son arrestation. Ainsi ce que j'avais à faire était de lui adresser quelques questions pour la forme, et de me hâter de l'envoyer en prison pour le mettre, s'il était possible, en sûreté. Je lui demandai s'il avait quelque chose à dire. Il me répondit qu'il se justifierait lorsqu'il connaîtrait les accusations portées contre lui. Je lui ai demandé ce qu'il avait fait depuis le 12 juillet. Il a dit : << Au commencement des troubles, j'ai cru devoir

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» me retirer à Versailles. J'en suis parti mercredi » 15 à minuit. Des affaires d'administration m'ap» pelaient à Mantes et à Meulan, je m'y suis » rendu. De là j'ai été à Meaux, liquider les frais » de passage pour la retraite des troupes. J'en suis >> parti vendredi pour me rendre à Soissons, où » j'ai soupé et couché chez ma fille. Samedi ma->> tin je suis parti pour Compiègne, où, en arri± >> vant, j'ai été arrêté par deux hommes qui m'ont » dit avoir l'ordre de me saisir partout où ils me >> rencontreraient. » Qui avait donné ces ordres, ou qui donnait à ces hommes la hardiesse de les supposer? Je lui ai demandé où étaient ses papiers. Il a répondu : « Qu'il n'avait sur lui qu'une espèce » d'adresse qu'il a remise; que ses papiers relatifs » à l'administration, devaient être dans ses bu>> reaux; qu'il n'avait emporté avec lui que son » portefeuille, resté entre les mains de son do»mestique, qui avait dû le remettre à M. l'inten»dant de Soissons; qu'il ne savait pas, au surplus, » ce que le domestique était devenu. Il a ajouté » qu'il avait passé trois ou quatre nuits sans dor» mir, ayant été gardé, à Compiègne, par douze >> hommes qui veillaient dans sa chambre, et il a » demandé les moyens de prendre quelque re>>pos. » Je crois qu'il désirait bien d'être délivré et du danger qui l'entourait et d'un spectacle qui lui était insupportable. Je désirais aussi que nous pussions lui éviter une mort précipitée, toujours injuste quand elle ne résulte pas d'un jugement.

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