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COMEDIE.

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.

LISETTE, FRONTIN.

FRONTIN.

TE voilà de bonne heure, et toujours plus jolie.

LISETTE.

Je n'en suis pas plus gaie.

FRONTIN.

Eh! pourquoi, je te prie?

LISETTE.

Oh! pour bien des raisons.

FRONTIN.

Es-tu folle? comment!

On prépare une noce, une fête...

LISETTE.

Oui vraiment,

Crois cela ; mais pour moi, j'en suis bien convaincue, Nos affaires vont mal, et la noce est rompue.

Pourquoi donc ?

FRONTIN.

LISETTE.

Oh! pourquoi ? dans toute la maison

Il regne un air d'aigreur et de division

Qui ne le dit que trop. Au lieu de cette aisance
Qu'établissoit ici l'entiere confiance,

On se boude, on s'évite, on bâille, on parle bas;
Et je crains que demain on ne se parle pas.

Va, la noce est bien loin, et j'en sais trop la cause:
Ton maître sourdement...

FRONTIN.

Lui! bien loin qu'il s'oppose

Au choix qui doit unir Valere avec Chloé,

Je puis te protester qu'il l'a fort appuyé,

Et qu'au bon homme d'oncle il répete sans cesse
Que c'est le seul parti qui convienne à sa niece.

LISETTE.

S'il s'en mêle, tant pis; car, s'il fait quelque bien,
faire mal, il lui sert de moyen.

C'est que, pour
Je sais ce que je sais ; et je ne puis comprendre
Que, connoissant Cléon, tu veuilles le défendre.

Droit, franc comme tu l'es, comment estimes-tu
Un fourbe, un homme faux, déshonoré, perdu,
Qui nuit à tout le monde, et croit tout légitime?

FRONTIN.

Oh! quand on est frippon, je rabats de l'estime.
Mais autant qu'on peut voir, et que je m'y connois,
Mon maître est honnête homme, à quelque chose près.
La premiere vertu, qu'en lui je considere,
C'est qu'il est libéral; excellent caractere !
Un maître, avec cela, n'a jamais de défaut;
Et, de sa probité, c'est tout ce qu'il me faut.
Il me donne beaucoup, outre de fort bons gages.

LISETTE.

Il faut, puisqu'il te fait de si grands avantages,

Que de ton savoir-faire il ait souvent besoin.

Mais tiens, parle-moi vrai, nous sommes sans témoin : Cette chanson qui fit une si belle histoire...

FRONTIN.

Je ne me pique pas d'avoir de la mémoire.

Les rapports font toujours plus de mal que de bien;
Et de tout le passé je ne sais jamais rien.

LISETTE.

Cette méthode est bonne, et j'en veux faire usage.

Adieu, monsieur Frontin.

FRONTIN.

Quel est donc ce langage?

Mais, Lisette, un moment.

LISETTE.

Je n'ai que faire ici.

FRONTIN.

As-tu donc oublié, pour me traiter ainsi,

Que je t'aime toujours, et que tu dois m'en croire ?

LISETTE.

Je ne me pique pas d'avoir de la mémoire.

Mais que veux-tu ?

FRONTIN.

LISETTE.

Je veux que, sans autre façon,

Si tu veux m'épouser, tu laisses là Cléon.

FRONTIN.

Oh! le quitter ainsi, c'est de l'ingratitude;
Et puis, d'ailleurs, je suis animal d'habitude.
Où trouverois-je mieux ?

LISETTE.

Ce n'est pas l'embarras.

Si, malgré ce qu'on voit, et ce qu'on ne voit pas,

La noce en question parvenoit à se faire,

Je pourrois, par Chloé, te placer chez Valere.

Mais à propos de lui, j'apprends avec douleur

Qu'il connoît fort ton maître, et c'est un grand malheur.

Valere, à ce qu'on dit, est aimable, sincere,

Plein d'honneur, annonçant le meilleur caractere;
Mais, séduit par l'esprit ou la fatuité,
Croyant qu'on réussit par la méchanceté,

Il a choisi, dit-on, Cléon pour son modele;
Il est son complaisant, son copiste fidele...

FRONTIN.

Mais tu fais des malheurs et des monstres de tout.
Mon maître a de l'esprit, des lumieres, du goût,
L'air et le ton du monde ; et le bien qu'il peut faire
Est au-dessus du mal que tu crains pour Valere.

LISETTE.

Si pourtant il ressemble à ce qu'on dit de lui,
Il changera de guide; il arrive aujourd'hui :
Tu verras ; les méchants nous apprennent à l'être;
Par d'autres, ou par moi, je lui peindrai ton maître :

Au reste, arrange-toi, fais tes réflexions:

Je t'ai dit ma pensée et mes conditions:

J'attends une réponse, et positive, et prompte.

Quelqu'un vient, laisse-moi... Je crois que c'est Géronte, Comment! il parle seul!

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