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Sur nos lointains sement les fleurs

Avec l'opium des brochures;
Et leurs guirlandes et leurs fruits,
Portant leur parfum spécifique
Par-delà nos climats séduits,
Vont faire bâiller l'Amérique.

Je crains leur rôle, et je m'enfuis.

FRAGMENT DE L'ÉPITRE

INTITULÉE

LE CHARTREUX,

Au sujet d'une femme qu'il avoit connue.

Je me rappelle avec transport

Les lieux et l'instant où le sort
M'offrit cette nymphe chérie
Dont un regard porta la vie
Dans un cœur qu'habitoit la mort.

Félicité trop peu durable!
Il passa, ce songe enchanteur;
Et je n'apperçuste bonheur
Que pour être plus misérable.

* Ce fragment est tiré du rapport de l'Institut sur les manuscrits de Gresset, du 28 germinal an 4.

La paix de ce morne séjour

Ne peut appaiser ma blessure;

Pour jamais je sens que l'Amour
Habitera ma sépulture.

En vain tout offre dans ce lieu

De la mort l'affreuse livrée ;
D'épines, de croix entourée,
La mort n'écarte point ce dieu :
Par lui mon antre funéraire
Brille des plus vives couleurs ;
Et ses mains répandent des fleurs
Sur les cilices et la haire.

Déja le bruit lugubre et lent
De l'airain aux accents funebres
Me dérobe à l'enchantement,
Et m'appelle dans les tenebres;
Déja dans un silence affreux,
Sous un long cloître ténébreux,
Que terminent des lampes sombres,
Je vois errer les pâles ombres
Des solitaires de ces lieux.

A travers leur dehors sauvage

Ces lentes victimes du temps,

Ces fantômes, ces pénitents,
Dans un éternel esclavage

Me semblent libres et contents

Sous le poids des fers et de l'âge.
Contents! Hélas! ils n'ont point vu...
O Dieu! si de mon immortelle
Un regard leur étoit connu,
Verroient-ils un bonheur loin d'elle?

Mais vous, que nos déserts épais, Nos tombeaux, notre nuit profonde, N'entourent point de leurs cyprès, Vous, heureux habitants du monde, Qui vivez, qui voyez ses traits,

Pouvez-vous la quitter jamais ?
Pour elle votre ame ravie

N'a-t-elle pas trop peu de temps
De tout l'espace de vos ans?
Je voudrois de toute ma vie

Acheter un de vos instants!

Contraint de dévorer mes peines

Parmi le silence et l'effroi

De ces retraites souterraines,

Toujours seul, toujours avec moi, Exclus de l'asile ordinaire

Que la nature ouvre au malheur,
Je suis privé, dans ma misere,
De la consolante douceur

De pouvoir répandre mon cœur
Dans l'ame sensible et sincere
D'un fidele dépositaire

De mon éternelle douleur.

Rien n'offre en ce monde sauvage

Ni soulagement ni pitié;

Et, pour en achever l'image,
On n'y connoît point l'amitié.
Si quelquefois moins égarée
La raison me luit un instant,
Et me dit qu'un travail constant
Trompera l'immense durée
Du temps qui fuit si lentement
Pour une ame désespérée ;
Plus forte que tous mes projets,
Bientôt une image adorée
Se fait voir dans tous les objets.

De mes crayons, de mon eiseau

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