Envoyée avec un pâté de quatre canards, dans le temps de la grippe. 1776.
D'UNE province où la franchise
Et la loyauté du vieux temps Sont encor des bons habitants
Le cri de guerre et la devise, Quatre hermites, en robe grise, Gens tout neufs, bien de leur pays, Dont l'air grave, le sang rassis N'annonçoient guere l'entreprise, Bravant les périls infinis,
Les glaces, la neige et la bise Dont les chemins sont investis, Ce matin même sont partis, Quoi que le thermometre en dise, Et qui mieux est pour eux, ou pis, A la triste époque précise, Où la grippe, dont nuls abris
Ne peuvent sauver la surprise,
Menant la fievre, les soucis,
Les faux docteurs, les faux récits;
L'affreuse grippe, en pleine crise, Enveloppe, agite, maîtrise Jeunes et vieux, grands et petits, L'élégante sous ses lambris,
Sous le chaume la pauvre Lise, Les hauts penseurs, les sous-esprits, Le talon rouge, le commis,
Et la duchesse, et la sœur grise. Pour être capable ou tenté De leur périlleuse aventure, Il faut être eux, en vérité, Ou l'ours le mieux empaqueté Dans son capot et sa fourrure. Enfin, tant bien que mal munis, Sous les nuages rembrunis
D'un ciel glacé que tout redoute,
Les quatre pélerins unis,
Clos et couverts, ne voyant goutte,
Ont pris le chemin de Paris,
Où, s'ils arrivent sans déroute,
Pomar, Voujault, Grave, et Chablis, Des rayons de leur mere-goutte Voudront bien réchauffer sans doute
Les pauvres freres engourdis.
Il est pourtant quelques avis Qu'ils pourront bien faire la route A leur honneur, frais et fleuris, Grace au tissu de leurs habits:
Un autre eût dit, grace à la voûte Sous laquelle ils sont établis ; Et des savants lourds, peu polis, Diroient crûment, grace à la croûte..
Un bon campagnard du canton, Sachant leur destination,
par l'heureuse image
Du terme de leur mission,
De grand cœur partiroit, dit-on, Pour revoir ce brillant rivage: Non que dans ses déserts chéris Il éprouve l'impatience
D'aller retrouver à Paris
Le bruit, le faste, l'importance,
Les grands plaisirs, les grands ennuis,
Les courts succès prônés d'avance, Les nouveautés de tous pays,
Les chefs-d'œuvre sans conséquence, Et ces tourbillons infinis
D'intrigues, d'airs et d'élégance, Où l'amitié, sans consistance, N'est plus qu'une gaze, un vernis,
Le voile de l'indifférence,
Des faussetés et du mépris ; Où ce bon honneur de jadis N'est plus qu'une foible nuance, L'air du bonheur, un coloris Qui couvre à peine l'indigence De nos cœurs vides et flétris; Et l'esprit, ou son apparence, Ses tours de force, ses propos, Une lassante contredanse
De sauts périlleux et de mots. Sans doute on est bien imbécille Et rouillé bien profondément, D'avoir si peu d'empressement Pour les fêtes, le goût, le style De ce peuple doré, charmant, Loin de qui, vraisemblablement, Tout est triste, gauche, stérile, Et d'un gothique accoutrement; Tous ces provinciaux ignares, Qui s'avisent d'être contents, Sont bien à plaindre, bien bizarres Dans leur bonheur de bonnes gens. Pour faire aussi l'aveu sincere
De son mauvais goût, si contraire A tant d'incroyables talents
Qui font bruire, en ces moments, Dans tout le globe littéraire
Les bombes, les petits volcans; S'il eût été, loin de nos champs,
A travers les glaces de l'Ourse, Revoir la ville du printemps,
Il n'auroit point fait cette course, Par des desirs bien violents
D'aller recueillir à la source
L'ambre et l'or des parleurs du temps, Ces distributeurs éclatants
De la phrase et de la lumiere, De leur siecle docteurs régents, Nouveaux copistes de vieux plans, Où, sous un ciel à leur maniere, Enfin la vérité premiere, Jusqu'ici cachée au bon sens, Dicte ses lois par leurs accents; Scene vaste, sombre, profonde, Où, grace à leurs rayons puissants, On voit sautiller à la ronde
Les lampions resplendissants
D'une raison neuve et féconde
Que, jusqu'à leurs jours bienfaisants, Ignoroit encore le monde,
Ce pauvre enfant de six mille ans.
« PreviousContinue » |