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Par sa naïve ardeur elle auroit su me plaire;

Elle auroit eu peut-être un peu moins de beauté,
Elle auroit eu du moins plus de fidélité ;

Sur la mousse et les fleurs souvent assis près d'elle,
J'aurois fait, chaque jour, quelque chanson nouvelle ;
Son nom dans tous mes airs auroit été vanté.

Que n'es-tu, Lycoris, sur ces charmants rivages?
Les ris au vol léger peuplent ces verds bocages;
Plus heureux que les dieux, j'y vivrois avec toi,
Et l'univers entier ne seroit rien pour moi.

Vains souhaits! tu me fuis. Où pourrois-je encor vivre ¡
Aux fureurs des combats faut-il que je me livre ?
Faut-il... Quel souvenir réveille mon chagrin !
Près des Alpes, cruelle! aux bords glacés du Rhin,
Loin du plus tendre amant, et loin de ta patrie,
Des fougueux Aquilons tu braves la furie.
Respectez Lycoris, durs glaçons, noirs frimas;
N'empêchez point les fleurs d'éclore sous ses pas;
Et vous, Zéphyrs, Amours, suivez-la sur ces rives,
Des chaînes de l'hiver tirez leurs eaux captives;
Que la riante Flore établisse sa cour

Par-tout où Lycoris fixera son séjour.

Pour moi, traînant par-tout ma triste léthargie,
Je consacre ma flûte aux sons de l'élégie.
Que ne puis-je me fuir! Dans les autres des ours

Allons ensevelir et ma flamme et mes jours:

Là, cachant (puisqu'enfin l'ingrate m'est ravie)
Le reste infructueux d'une mourante vie,

Mon cœur de son tourment fera son seul emplois
Je chercherai des hois aussi tristes que moi :
J'aimerai votre horreur, solitaires vallées,
Que jamais nul troupeau, nul berger n'a foulées;
Mes larmes grossiront vos torrents fugitifs;
J'apprendrai des soupirs à vos échos plaintifs ;
Sur vos jeunes cyprès du fer de ma houlette
J'écrirai les amours que ma muse regrette;
Chaque jour vous croîtrez, infortunés cyprès,
Et vous,
traits douloureux gravés par mes regrets:
Mes disgraces vivront sur les arbres tracées;

Elles vivront bien plus dans mes sombres pensées.

Mais que veux-je! pourquoi changer mes jours en nuits ? Fuyons la solitude, empire des ennuis;

Sans craindre les rigueurs d'Éole et des Hyades,

Suivons plutôt Diane et les vives Dryades;
Allons livrer la guerre aux hôtes des forêts;
Le chevreuil égaré tombera sous mes traits:
J'y cours... J'erre déja dans des routes sauvages,
Un cerf part, il s'élance à travers les feuillages...
J'entends les sons du cor joints aux voix des chasseurs,
Et des chiens animés les rapides clameurs :

Viens, suis-moi, Lycoris... Ah ciel! que dis-je encore ? Quel nom m'échappe ? Amour, en vain donc je t'abhorre!

Dieu cruel! n'est-il plus d'asile sous les cieux

Qui dérobe mon cœur à tes traits rigoureux ?
Par-tout je te retrouve, aux antres des montagnes,
Sous les drapeaux de Mars, dans la paix des campagnes.
Fuyez, portez ailleurs vos charmes superflus,

Bergers, chasseurs, guerriers, vous ne me charmez plus;
J'essuierois vos travaux et vos courses pénibles

Sans ramener mon cœur à des jours plus paisibles;
En vain je voguerois sur l'Hebre impérieux,
Ses flots lents et glacés n'éteindroient point mes feux;
Quand, pasteur d'un troupeau de l'ardente Libye,
Dans ses sables brûlants j'irois cacher ma vie,
Après mille dangers et mille maux soufferts,
Mon cœur encor captif gémiroit dans ses fers.
Amour tient tous les cœurs sous une même chaîne;
Aimons donc, rendons-nous à sa loi souveraine.

Bornons ici nos airs; Muses, sortons des bois :
Je vous rends pour toujours le champêtre hautbois.
A l'aimable Gallus, Nymphes, allez redire
Ce qu'une amitié tendre en sa faveur m'inspire :
Volez, portez aussi mes vers à Lycoris;

Ils plairont à Gallus, si d'elle ils sont chéris;
Que par eux cet amant console sa tristesse :

Qu'il en pese le prix au poids de ma tendresse ;
Elle vit en mon cœur, elle y croît en tout temps,
Tel un tilleul fleuri croît à chaque printemps.

Retournons au bercail, c'est trop chanter à l'ombre; Partez, moutons: déja la campagne est plus sombre; Les heures chez Thétis ont conduit le soleil, Et la nuit fend les airs sur l'aile du sommeil.

NOTES.

LE poëte, sous des images pastorales, déplore l'opi

niâtre passion de Gallus pour Cythéris, actrice fameuse du théâtre romain, qui avoit beaucoup d'esprit et de goût. Elle est ici appelée Lycoris, nom sous lequel Gallus l'avoit célébrée dans ses élégies. Pour ajuster son sujet au génie de l'églogue, Virgile fait un berger de son ami. Il feint que Gallus s'est retiré dans les bois de l'Arcadie, où les dieux tâchent en vain de lui faire oublier l'infidele Cythéris.

Aux antres du Lycée, attirés par tes pleurs...
Montagne de l'Arcadie.

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