Page images
PDF
EPUB

DE

SAINT-SIMON

NOUVELLE ÉDITION

COLLATIONNÉE SUR LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE

AUGMENTÉE

DES ADDITIONS DE SAINT-SIMON AU JOURNAL DE DANGEAU

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

SZAZ

821

MÉMOIRES

DE

UNIV. OF

SAINT-SIMON

3

Cette année, le dimanche de Pâques1 échut2 au 5 avril. Le mercredi suivant 8, Monseigneur, au sortir du Conseil, alla dîner à Meudon en parvulo, et y mena Mme la duchesse de Bourgogne tête à tête. On a expliqué ailleurs ce que c'étoit que ces Parvulo. Les courtisans avoient demandé pour Meudon, où le voyage devoit être de huit jours jusqu'à celui de Marly, annoncé pour le mercredi suivant. Je m'en étois allé dès le lundi saint, pour me trouver à Marly le même jour que le Roi. Les Meudons m'embarrassoient étrangement; depuis cette

1. Les mots de Pasq. ont été ajoutés en interligne.

2. « Échoir se dit aussi des choses qui se doivent faire dans des termes préfix » (Académie, 1718).

3. Tome XIV, p. 398.

4. Dangeau écrit le 8 avril (tome XIII, p. 376): « Le Roi tint le conseil d'État; Monseigneur en sortit à midi et un quart pour aller à Meudon, où il mène dîner Mme la duchesse de Bourgogne en particulier, ce qu'on appelle ici en badinant les diners in parvulo. Monseigneur demeure à Meudon pour jusqu'au voyage de Marly, qui sera mercredi. »

MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXI

1

(Suite de 1711.) Mon embarras à l'égard de Monseigneur et de sa cour

intérieure.

239614

rare crédulité de Monseigneur qui a été rapportée1, et que Mme la duchesse de Bourgogne l'avoit dépersuadé jusqu'à lui en avoir fait honte, je n'avois osé me commettre à Meudon. C'étoit pour moi un lieu infesté de démons: Madame la Duchesse, délivrée des bienséances de sa première année, y retournoit régner, et y menoit Mesdemoiselles ses filles; d'Antin y gouvernoit; Mlle de Lillebonne et sa sœur y dominoient à découvert; c'étoient mes ennemis personnels; ils gouvernoient Monseigneur; c'étoit bien certainement à eux à qui je devois cet inepte et hardi godant qu'ils avoient donné à Monseigneur, et qui l'avoit mis dans une si grande colère. Capable de prendre 5 à celui-là, et eux capables d'oser l'inventer et y réussir en plein, à quoi ne pouvois-je point m'attendre, tout ce qui étoit là, à leurs pieds, ne songeant qu'à leur plaire, et ne pouvant espérer que par eux? Par conséquent moi tout à en craindre, dès qu'il conviendroit à des ennemis si autorisés de me susciter quelque nouvelle noirceur sur leur terrain; Mlle Choin, la vraie tenante, en mesures extrêmes et en tous ménagements pour eux, fée invisible dont on n'approchoit point, et moi moins que personne, et qui, en étant inconnu, ne pouvois rien espérer d'elle,

6

1. Tome XX, p. 181-195.

2. Ce verbe n'était pas dans le Dictionnaire de l'Académie de 1718, non plus que dans la dernière édition. Littré en cite un exemple de J.-J. Rousseau.

3. De sa première année de deuil.

4. Conte, tromperie. Ce mot n'était pas donné par les lexiques du temps; on en trouve des exemples dans les Lettres de Tessé, recueil Rambuteau, p. 119, et dans les Mémoires du chevalier de Quincy, tome III, p. 158. Littré en a donné la définition et a proposé une étymologie.

5. Voyez ci après, p. 53.

6. La préposition à a été ajoutée en fin de ligne, sur la marge.

7. Nouvelle a été ajouté en interligne.

8. « On dit d'un homme qui va souvent dans une maison, et qui y est comme le maître qu'il est le tenant » (Académie, 1718).

et du Mont pour toute ressource1, sans force et sans esprit! Je ne pouvois douter qu'ils ne me voulussent perdre après l'échantillon que j'en avois éprouvé, et ce qui les excitoit contre moi n'étoit pas de nature à s'émousser, beaucoup moins à pouvoir jamais me raccommoder avec eux. Ce qui s'étoit passé à l'égard de feu Monsieur le Duc et de Madame la Duchesse, les choses de rang à l'égard des deux Lorraines et de leur oncle le Vaudémont, l'affaire de Rome pour d'Antin, et de nouveau sa prétention d'Épernon 3, les choses de Flandres, ma liaison intime avec ce qu'ils ne songeoient qu'à anéantir, Mgr et Mme la duchesse de Bourgogne, M. et Mme la duchesse d'Orléans, les ducs de Chevreuse et de Beauvillier, la part qu'ils me donnoient au mariage de M. le duc de Berry, qui avoit comblé leur rage, c'en étoit trop, et sans aucun contrepoids, pour ne me pas faire regarder cette cour comme hérissée pour moi de dangers et d'abîmes. Je poussois donc le temps avec l'épaule sur les voyages de Meudon, embarrassé de Monseigneur et du monde, en ne m'y présentant jamais, beaucoup plus en peine d'y hasarder des voyages. Si ce continuel présent me causoit ces soucis, combien de réflexions plus fàcheuses la perspective d'un avenir qui s'avançoit tous les jours, qui mettroit Monseigneur sur le trône, et qui, à travers le chamaillis 5 de ce qui le gouvernoit et le voudroit dominer alors à l'exclusion des autres, porteroit très certainement sur le trône avec lui les uns ou les autres de ces mêmes ennemis qui ne respiroient que ma perte, et à qui elle ne coûteroit alors que le vouloir ! Faute de mieux, je me soutenois de courage; je me disois qu'on n'éprouvoit jamais ni tout le bien ni tout le mal qu'on avoit, à ce qu'il sembloit,

1. Tome XX, p. 184.

4

2. Toute l'énumération qui va suivre a déjà été faite dans le tome XX, p. 188.

3. Tome XX, p. 258 et suivantes. 5. Tome XVIII, p. 124.

– 4. Ibidem, p. 114.

« PreviousContinue »