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juge à propos de renverser ses idoles et d'anéantir leurs œuvres. En vérité, c'est un mince bagage économique et moral, pour un réformateur qui se vante de posséder le secret de transformer la terre! Le despotisme de la multitude, non-seulement dans l'ordre matériel, mais encore dans le domaine de la conscience et de la foi; les caprices de la foule substitués aux lois immuables de la justice et de la vérité : voilà toute la conception de Mazzini!

Il est vrai que parfois le réformateur a des idées plus nettes, plus positives. C'est ainsi que, dans un passage où il aborde directement le problème de la répartition des richesses, nous trouvons les lignes suivantes, qu'un communiste saint-simonien n'eût certainement pas désavouées : « Il n'existe point d'inégalités de nature, › d'inégalités fatales de conditions et de classes, et qui> conque, pape ou autre, peu importe, soutient la pro> position contraire, renie Dieu, Jésus et l'unité hu» maine, pour s'égarer dans une fausse doctrine du » péché originel... Il existe des inégalités qui ont leur > source dans les formes sociales, dans l'élément même » où se développe la vie, et nous devons travailler à > changer ces formes, à transformer, au nom de Dieu, > au nom de la guerre que Dieu nous commande de faire » au mal, au péché et à ses conséquences, cet élément > susceptible de se modifier perpétuellement. Le monde > physique, grand atelier de l'humanité, n'a pas été donné » à quelques-uns, il a été donné au travail. Les biens » matériels, ni bons ni mauvais en eux-mêmes, mais in>struments de bien ou de mal, selon la destination in> dividuelle ou collective qu'ils reçoivent, appartiennent à » tous ceux qui travaillent, et la répartition toujours crois» sante de ces biens produira des fruits d'autant plus > utiles, d'autant plus agréables à Dieu, que l'éducation

T. II.

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> plus avancée du genre humain aura appris aux hommes » à s'en servir pour le bien. La loi ne sera pas humaine»ment accomplie tant qu'un seul pauvre, privé de travail » et des fruits dus au travail, et livré, par suite, à la merci de l'aumône du riche, pourra accuser d'imposture » le don de la terre que Dieu fit à l'humanité dans la » personne du premier Adam, ou bien encore cette com> munion fraternelle dont la religion lui parle tous les jours, lorsqu'elle dit: Afin que tous ensemble nous » soyons un (1). »

La déclaration est nette, précise, explicite. Et cependant M. Mazzini crie à la calomnie, lorsque Pie IX accuse les novateurs de répandre parmi le peuple les germes du communisme (2)!

Nous croyons inutile d'aller plus loin. Les idées sociales de Mazzini résument toute la science économique de la Jeune Italie. Les autres publicistes de la secte sont autant d'échos serviles de la parole du maître. Ce sont toujours et partout de stériles déclamations sur le triomphe de l'idée nouvelle, la révélation continue, le terrorisme du dogme, l'initiation progressive de l'humanité, les clartés du mouvement et les ténèbres de l'immobilité. Ajoutez-y quelques phrases sonores et creuses sur les destinées de la Rome des peuples, sur l'avénement prochain du royaume de Dieu, sur la sainteté du droit révolutionnaire, et vous pourrez vous dispenser d'ouvrir les livres des économistes de la révolution italienne.

Au surplus, l'incohérence et l'obscurité qui règnent dans les écrits de l'ex-triumvir sont le résultat d'un système. Le chef de la Jeune Italie s'est rangé à l'avis de Guillaume

(1) Aux prêtres, à propos de l'Encyclique de Pie IX, chap. III. (2) V. ci-dessus, p. 270.

Marr (1); dans l'un de ses derniers manifestes il en fait l'aveu formel. A l'entendre, les démocrates français eussent tué la cause de l'humanité, si cette cause n'était pas immortelle. Il les accuse d'avoir parlé au nom de Fourier, de Saint-Simon, de Cabet ou de Louis Blanc, alors qu'il s'agissait uniquement de vaincre l'ennemi et d'inscrire, au fronton du temple de l'humanité, les seuls mots qui renferment toutes les aspirations des sociétés en travail : Dieu est Dieu, et l'humanité est son prophète. « La phalange sa> crée qu'on s'attendait à voir marcher en avant comme > un seul homme, et dont chaque mort de martyr rétré> cissait les rangs, était devenue une armée de corps > francs, un vrai camp de Wallenstein, moins le génie » du chef. Aussi, à l'heure du combat, ses escadrons dis» persés se sont jetés à droite et à gauche, ils se sont > lancés par petits détachements dans toutes les voies » tortueuses du socialisme, caracolant partout excepté au » cœur de la place... Ce n'est pas en discourant sur les > meilleurs moyens de mettre l'humanité en coupe réglée >> que nous chasserons l'enuemi de la citadelle qu'il oc> cupe (2). >

L'agitateur oublie que l'Europe a eu la triste faveur de le voir à l'œuvre. Pendant que, par un de ces actes d'ingratitude qui déshonorent à jamais une nation, le Souverain-Pontife était relégué à Gaëte, le panthéisme humanitaire proclamait sa victoire du haut du capitole. Nous avons eu le courage de lire les proclamations et les décrets du chef et des acolytes; nous avons étudié un à un tous les actes de cette incomparable révolution qui devait renouveler la face de la terre. Or, voici le bilan

(1) V. ci-dessus, p. 247.

(2) Des devoirs de la démocratie (Mars 1852).

L.

UNIVERSITY

OF

CALIFORNIA

que nous avons réussi à dresser : l'assassinat pour début, la terreur pour moyen, le pillage pour ressource, du sang et des ruines pour résultat suprême. Il est vrai que ces misères n'empêcheront pas le derviche révolutionnaire de crier, dans son langage d'alcoran : « Dieu est Dieu, et l'humanité est son prophète... » quand elle est conduite par Giuseppe Mazzini.

SECTION V. - LE SOCIALISME EN AMÉRIQUE.

Le socialisme s'installe au pied de la Cordillère des Andes.-Les démocrates du Chili rétablissent le club des Jacobins sous le nom de Société de l'Égalité. M. Bilbao importe à Santiago le soi-disant

christianisme de M. Cabet.

- Le général Cruz se met à la tête des novateurs et prend les armes; ses bandes sont détruites par les trou

pes du gouvernement.

Le Chili se donne un gouvernement conservateur. Le socialisme triomphe dans la Nouvelle-Grenade. — Élection du général Hilario Lopez.

Ses messages et ses proclamations. Le gouvernement se déclare socialiste. Révision de la constitution.-Conséquences du régime installé à Santa-Fé de Bogota. L'avenir.

Pendant que l'Europe revient aux principes d'autorité et d'ordre, le socialisme franchit les mers, pénètre au Mexique, trouble le Chili, s'installe dans la république de l'Équateur et s'empare du gouvernement de la Nouvelle-Grenade. A l'heure où j'écris ces lignes, le président de Santa-Fé de Bogota, le général Hilario Lopez, se vante d'être le disciple de Louis Blanc; ses ministres pérorent à la tribune des clubs, et le journal officiel formule en proclamations, en circulaires, en décrets, les doctrines les plus extravagantes de la démagogie européenne. Le phalanstère et l'atelier social ressuscitent au bord de l'Océan pacifique, au pied de la Cordillère des Andes.

Les manifestes de M. Lopez proclament la souveraineté de la multitude, la prédominance des masses; les messages de ses ministres annoncent l'avénement d'une politique nouvelle, basée sur la fraternité, l'attraction passionnelle, l'association humanitaire et la sainteté du droit révolutionnaire ;

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