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Classification des révolutionnaires italiens.

avoués.

Les communistes - Les communistes déguisés.-Idées sociales de Mazzini. -Transformation progressive de la terre. Sens de la formule : Dieu est Dieu et le peuple est son prophète. — Derniers manifestes de Mazzini.

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Les révolutionnaires italiens peuvent être classés en trois catégories. Les uns, partisans de la monarchie constitutionnelle, ont voué un véritable culte à l'idée de l'unité italienne, qu'ils veulent réaliser à l'aide d'une fédération d'États libres et indépendants. Les autres, bien plus avancés, sans toutefois descendre aux rêveries du socialisme, réclament la constitution d'une république italienne une et indivisible, avec les Alpes pour limites, Rome pour capitale et le suffrage universel pour base. Un troisième parti, dont l'activité supplée au petit nombre de ses partisans, ne voit dans la réforme politique qu'un moyen d'atteindre son but, c'est-à-dire l'intronisation du communisme. Cette dernière fraction doit seule nous occuper.

De même que dans les autres pays, les niveleurs italiens se subdivisent en deux classes: les communistes avoués et les communistes déguisés. Les premiers, qui ont du moins le courage de manifester ouvertement leurs projets et leurs espérances, ne se sont pas donné la peine de formuler un système particulier pour leur patrie. Les poëtes, les philosophes et les artistes qui le composent, se contentent de commenter les idées des communistes français; ils se permettent tout au plus d'y mêler quelques

rêveries du panthéisme germanique. Pour eux, le dernier mot de la science sociale se trouve dans le paradoxe de M. Proudhon la propriété est le vol (1).

Les communistes déguisés ont de plus hautes prétentions. Cédant à l'impulsion de la vanité nationale, ils n'ont pas voulu que les barbares eussent seuls l'honneur de montrer à l'humanité le but qu'elle doit s'efforcer d'atteindre; ils ont voulu pétrir de leurs propres mains le moule dans lequel les sociétés régénérées auront à se loger. Malheureusement, les résultats n'ont pas répondu à la persévé

(1) Après avoir été longtemps relégué dans les conciliabules de Gènes, de Florence et de Naples, le communisme commençait à pénétrer dans les campagnes, lorsque les armes de la France et de l'Autriche vinrent mettre un terme aux manœuvres des clubistes. Dans son livre sur l'Italie révolutionnaire (Revolutionnised Italy, 2 vol. Londres, 1849), M. Macfarlane rapporte un entretien qu'il eut, en 1849, avec un membre distingué du clergé italien. « L'influence de la religion, dit le prêtre, est >> grande encore, lorsque le fatal esprit du communisme n'a pas soufflé >> sur nos ouailles; mais ce démon-là est plus fort que leurs croyances... » Moi, qui vis habituellement à la campagne, je vois bien que nous >> perdons graduellement du terrain, et cela par la seule intervention « des communistes qui viennent dire aux pauvres qu'ils devraient être >> riches, et qu'il serait facile de les rendre riches. Les harangues sur >> l'amour de la patrie, sur la liberté et l'égalité politiques, sur l'unité >> et l'indépendance de l'Italie, peuvent convenir aux citoyens de Rome, >> mais nos paysans n'y entendent rien et ne s'en occupent pas. Ce ne » sont pas là des cordes qu'il faut faire vibrer à leurs oreilles. Nos ré>>volutionnaires le savent, et c'est pour cela qu'ils ont appelé le com>> munisme à leur aide. >>

Plus d'une personne connaissant l'état des choses en Italie nous a tenu le même langage.

Le livre de M. Macfarlane a été analysé dans la Revue Britannique, 1848, T. II.

rance des efforts. On voulait tracer le plan d'une réforme sociale, et l'on n'a produit que des formules incohérentes, mêlées à de vagues aspirations vers un avenir couvert de nuages. On voulait étonner le monde, et l'on n'a trouvé que des phrases!

Les écrits de Mazzini sont l'idéal du genre; nous les prendrons pour exemple.

L'ex-triumvir romain conserve, à l'égard des communistes, l'attitude que nous avons reprochée à Louis Blanc (1). Tout en adoptant les principes d'égalité absolue qui conduisent fatalement à la communauté, il repousse l'accusation de communisme avec l'indignation de l'innocence calomniée. Il rejette le mot, en approuvant la chose (2). Sa doctrine n'est, au fond, que la formule de Louis Blanc, mêlée aux rêveries panthéistiques de Pierre Leroux. Du reste, s'il est facile d'indiquer les conséquences finales du système de Mazzini, il s'en faut de beaucoup qu'on puisse saisir, avec la même facilité, ses procédés de réalisation; sous ce rapport, il ressemble à tous les réformateurs de sa patrie.

Mazzini réclame la transformation du monde moderne. Il attend un autre culte, d'autres institutions, d'autres mœurs, d'autres lois. Il veut que la terre elle-même se soumette à la loi de la transformation progressive. « La

(1) Voy.. ci-dessus p. 101.

(2) « Le pape doit savoir, dit-il, que le communisme, inconnu en » Italie, et repoussé par la plupart des républicains, est regardé par >> nous comme une déception ennemie du progrès, hostile à la liberté » humaine, et d'une application impossible (Aux prêtres, à propos de » l'encyclique de Pie IX, chap. II). » — - Que le lecteur se donne la peine de lire le fragment que nous reproduirons plus loin. Voyez aussi la note à la page 269.

> terre, dit-il, est de Dieu. La terre sur laquelle Jésus, » et, avant et après lui, tous les saints martyrs de l'hu» manité ont répandu leurs larmes et leur sang, est l'autel » sur lequel nous devons offrir nos sacrifices à Dieu. No»tre âme est le prêtre, et nos œuvres sont l'encens qui » s'élève au ciel et qui attire sur nous les grâces du Tout» Puissant. La terre est une échelle suspendue vers le » ciel; pour que nous puissions la monter, elle doit être » tout entière un hymne au Seigneur. Seul lieu qui nous > soit donné pour rendre témoignage de notre foi, seul > champ d'épreuve accordé à la libre créature, seule arène » ouverte à l'homme pour fournir à Dieu les œuvres sur » lesquelles il le jugera, la terre, grâce à nos efforts, > doit se transformer progressivement, s'améliorer, se > purifier; et comme nous sommes faits à l'image de » Dieu, elle doit toujours davantage reproduire l'image du > royaume des cieux, de l'idéal fixé dans les desseins de » Dieu (1). »

Mais que faut-il pour que notre demeure terrestre présente ce sublime spectacle? Quels sont les sacrifices à faire, les obstacles à abattre, les croyances à proscrire, les réformes à admettre, les progrès à réaliser? Il n'est pas facile de résoudre tous ces problèmes à l'aide des idées que l'ex-triumvir a bien voulu déposer dans ses livres. Procédons avec ordre.

Le chef de la Jeune Italie repousse la distinction entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. « La religion » et la politique, dit-il, sont inséparables. Sans religion, > la science politique ne peut enfanter que le despotisme » ou l'anarchie... La vie n'est qu'un problème d'éducation, » la société qu'un moyen de la développer et de la tra

(1) Ibid. p. 22.

› duire en acte. La religion est le principe éducateur su» préme; la politique est l'application de ce principe aux › différentes manifestations du genre humain (1). »

I importe donc de se demander, avant tout, quelle est la religion de M. Mazzini. En effet, comme cette religion constitue à ses yeux le principe éducateur supréme, il suffit de la connaître pour savoir, avec certitude, quelles sont, dans l'ordre moral et dans l'ordre matériel, les destinées qu'il assigne à l'humanité.

Hélas! les idées religieuses du triumvir ne dénotent pas une imagination très-féconde. Sa religion est tout simplement la loi vivante des saint-simoniens, plus ou moins tempérée par le suffrage universel (2). Nous le laisserons parler lui-même.

« La puissance souveraine, dit-il, est en Dieu seul, et > le signe de la puissance légitime sur la terre est dans > la saine interprétation de sa loi. Les vrais interprètes > en sont les hommes supérieurs par le génie, par la ver» tu, par l'amour et l'esprit de sacrifice. Le meilleur juge › de leurs œuvres, c'est le peuple... DIEU Est Dieu et » LE PEUPLE EST SON PROPHÈTE. Dieu flamboie au sommet » de la pyramide sociale; le peuple étudie, recueille, in> terprète ses volontés à sa base... (3). »

Si nous comprenons bien ces maximes, quelque peu contradictoires dans les termes, elles signifient : « Le peuple, recevant l'inspiration d'en-haut, déléguera sa puissance à un nombre déterminé de mandataires; ceux-ci feront les lois religieuses, morales et économiques, jusqu'à ce que le peuple, recevant une inspiration nouvelle,

(1) Voy. Le pape au XIXe siècle, ch. IV.

(2) Voy. ci-dessus, p. 22.

(3) Voy. Aux prêtres, à propos de l'encyclique de Pie IX, chap. III.

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