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Arrêtons-nous la littérature du chartisme nous est as

sez connue,

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On se rappelle que, deux mois après la révolution de février, trente mille chartistes se présentèrent aux portes de Londres, accompagnant une sommation respectueuse, adressée à la chambre des communes, sous la forme d'une pétition revêtue de deux millions de signatures. Le drapeau du chartisme (rouge, vert et blanc) les précédait, porté par un ouvrier mineur, entre un drapeau français et un drapeau américain surmontés du bonnet rouge. L'énergie de l'aristocratie et de la classe moyenne de Londres venant en aide à la force publique, on a réussi à faire rebrousser chemin à cette immense procession soi-disant pacifique. En sera-t-il toujours ainsi ?... Problème terrible, non-seulement pour l'Angleterre, mais encore pour l'Europe et le monde! La chute du colosse britannique deviendrait le signal d'une ère de révolutions dont nul ne saurait prévoir les conséquences.

Qu'on n'oublie pas que le chartisme ne date que de 1834 (1)!

poëme, où se révèlent à chaque page des beautés poétiques du premier ordre, est intitulé Ernest ou la régénération sociale. Le nom de l'auteur nous est inconnu. Il a dédié son œuvre à Milton, au poëte, au théologien, au républicain dont la ténébreuse et lointaine image a guidé la plume de l'auteur.

Une littérature qui prend ces allures dénote à la fois une corruption profonde et des souffrances indicibles. C'est incontestablement un des symptômes les plus alarmants de l'époque.

(1) A l'occasion de la grande procession chartiste que nous venons de mentionner, le duc de Wellington prononça ces mémorables paroles, rapportées par les journaux du temps : « On en est arrivé à ce >> point que la loi est devenue un objet de mépris... A cause de ce mé

Le mouvement est d'autant plus sérieux que les chartistes ne se présentent pas seulement comme un parti politique, mais comme une race opprimée. Ils se disent les descendants des Saxons dépossédés par une aristocratie étrangère; ils revendiquent, au nom du droit, la part du sol anglais dont la conquête les a dépouillés. — En France, Eugène Sue affecte de voir dans les prolétaires les descendants des Gaulois dépossédés par les Francs les deux hypothèses sont identiques.

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>> pris de la loi, il n'y aura bientôt plus d'autre autorité que celle de >> la force physique. En 1831, il y a eu des insurrections extraordinai>> res à Bristol et à Lyon; à Bristol il n'a fallu qu'un colonel et un es» cadron de dragons pour sauver la ville, tandis qu'à Lyon il fallait un >> maréchal de France avec soixante mille hommes. Voilà ce que faisait » en 1831, à Bristol, le respect de la loi. Mais qu'est-il devenu, ce >> respect, aujourd'hui qu'à Londres il faut armer deux cent mille ci» toyens et mettre sur pied des milliers de soldats pour maintenir l'ordre ?»

Il importe, en effet, de remarquer que la population et la police de Londres avaient pris au sérieux la procession chartiste du 10 avril. Les magasins étaient fermés; les ponts étaient garnis d'artillerie; tous les édifices publics avaient été barricadés et fortifiés, et l'administration militaire s'était empressée de réunir toutes les troupes disponibles dans les districts environnants.

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Traits distinctifs des socialistes allemands.

Absence d'idées positives. Doctrines philosophiques et économiques de l'école hégéNégation de toutes les vérités religieuses et sociales. Le radicalisme suisse. La Jeune Europe,

lienne.
Grün et Feuerbach.

la Jeune Allemagne et la Jeune Suisse. Le prolétariat-voleur du tailleur Weitling.- Le prophète Albrecht.-La révolution de 1848 se prépare en Suisse.

Entre les socialistes français et ceux d'outre-Rhin, il existe une différence essentielle.

Les chefs des écoles françaises désirent au même degré que leurs frères d'Allemagne l'anéantissement de la société actuelle; mais ils ont, de plus que ceux-ci, la franchise d'indiquer nettement le but qu'ils veulent atteindre. Ils formulent des systèmes complets; ils font connaître les plans de l'organisation sociale qu'ils veulent substituer à celle qui existe aujourd'hui. Pierre Leroux et quelques-uns de ses disciples ont voulu, à la vérité, se renfermer dans les nuages d'une théorie abstraite; mais leurs efforts sont restés isolés, et la foule a détourné les yeux d'un drapeau où elle n'apercevait que des phrases sonores, que des négations plus ou moins radicales. Tous ceux qui, comme Fourier, Louis Blanc et Cabet, ont attiré de nombreux disciples sous leurs bannières, n'ont réussi qu'après avoir exhibé un tableau complet de la vie sociale régénérée.

Rien de semblable ne se passe en Allemagne. Pour les réformateurs d'outre-Rhin, le socialisme consiste dans la négation absolue de toutes les croyances religieuses, socia

les et politiques. Le mouvement s'y manifeste sous la seule forme d'une guerre implacable à toutes les idées dominantes. On nie Dieu, parce que l'idée de Dieu est la clef de voûte de la civilisation européenne. On nie la vie future, parce que la perspective d'une existence meilleure rend le pauvre patient et l'empêche de se ruer sur le riche. On nie la propriété, parce qu'elle sert de base à l'édifice social qu'il s'agit de renverser. On nie la morale et la loi, parce qu'elles posent des entraves à la libre manifestation des passions. Enfin, on nie la patrie, parce que, dit-on, les divisions territoriales favorisent les entreprises des princes et s'opposent à la fusion des races humaines. Or, quand après toutes ces négations, n'apercevant plus que des décombres, arrivé au bord de l'abîme et en présence du néant, vous sommez ces philosophes humanitaires de vous faire connaître la société nouvelle, les uns vous répondent que, pour le moment, ils n'ont d'autre but que de poser le principe de la révolution, les autres, qu'ils ne veulent pas renouveler la faute des socialistes français, qui, en formulant des systèmes, ont introduit la division et la lutte au sein des masses redoutables qui allaient se lancer sur la société moderne. C'est tout au plus si quelques-uns daignent vous dire qu'il s'agit d'arriver à la communauté des biens et des femmes. A la vérité, quelques publicistes, arrivés au bord de l'abîme, ont reculé après en avoir mesuré les profondeurs; quelques cœurs honnêtes se sont révoltés à l'aspect du cynisme et de l'impiété de leurs coreligionnaires politiques. Ils ébauchent des plans de conciliation; ils veulent que la démocratie se contente d'un ensemble de concessions et de réformes qui, tout en améliorant la condition des classes laborieuses, laisserait subsister les bases essentielles d'une société civilisée. Vains efforts, peines inutiles! Leurs pro

testations isolées sont restées sans écho, et personne ne nous accusera d'exagération, quand nous dirons que le socialisme allemand consiste uniquement à faire une guerre implacable à toutes les idées reçues de religion, de propriété, de gouvernement, de société, de patrie, de morale, de dévouement et de patriotisme (1).

Bien des fois on a dit que l'erreur renferme une logique fatale; mais jamais cette triste vérité ne fut plus évidente que dans le mouvement intellectuel de l'Allemagne contemporaine.

(1) L'un des chefs de la Jeune-Allemagne, Guillaume Marr, développe ce plan de guerre dans une lettre saisie en Suisse : « Les masses, >> dit Marr, ne peuvent être rassemblées que sous le drapeau d'une né»gation. En présentant des plans détaillés, on excite la controverse et >> on sème la division; on renouvelle la faute des socialistes français, >> qui ont dissipé leurs forces redoutables parce qu'ils ont voulu faire » prévaloir des systèmes formulés. Contentons-nous de poser le principe » de la révolution. Nous aurons bien mérité d'elle si nous excitons la >> haine et le mépris contre les institutions actuelles. Faisons la guerre » à toutes les idées dominantes de religion, d'État, de société, de pa>>trie et de patriotisme. L'idée de Dieu est la clef de voûte de la ci>> vilisation vermoulue. Détruisons-la !... Le vrai chemin de la liberté, de » l'égalité et du bonheur, c'est l'athéisme. Point de salut sur la terre >> tant que l'homme tiendra au ciel par un fil. Nions toutes les religions »> en général, et chacune d'elles en particulier! Que rien n'entrave dé>>sormais la spontanéité de l'esprit humain. Dieu n'existe que parce que » la fourberie l'a inventé, et que la superstition le maintient. Démas>> quons la première; anéantissons la seconde ! Apprenons à l'homme » qu'il n'y a pas d'autre Dieu que lui-même, qu'il est l'alpha et l'oméga » de toutes choses, l'être supérieur et la réalité la plus réelle. » (V. Le communisme et la Jeune-Allemagne en Suisse, par Amédée Hennequin, p. 19.) Le livre de M. Hennequin, composé à l'aide de documents authentiques déposés dans les archives de la Suisse, est l'un des plus utiles qui aient été publiés sur les phases du mouvement social en Allemagne.

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