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niser une nouvelle Société coopérative à Hampshire. Hélas! le 22 août 1842, les journaux belges renfermaient la note suivante, empruntée aux feuilles anglaises : « La communauté religieuse de socialistes, établie à Hampshire, vient de faillir, laissant un déficit de 37,000 livres sterling (925,000 fr.). Le chef de cette secte, M. Robert Owen, a pris la fuite (1)! »

Il est probable que M. Owen réussit à s'entendre avec

>> assume le pouvoir législatif et dirige les mouvements de ce grand corps. » Deux délégués sont envoyés dans les localités diverses où se trouvent >> des ramifications de la société-mère; ces dernières sont au nombre » de soixante et une. Un autre corps exécutif, intitulé cour centrale, » siége en permanence, ou du moins en constante possibilité d'action, >> chargé de former et de surveiller les associations de la secte, il fait » partir des missionnaires pour les quatorze districts. Les missionnaires >> visitent régulièrement plus de trois cent cinquante villes; une contri>>bution minime (2 ou trois pence par individu) suffit, grâce au nombre >> des donataires, pour assurer à chaque missionnaire socialiste 30 schel>>lings par semaine; rétribution qui, jointe à d'autres avantages inci>> dents, rend la situation du missionnaire aussi désirable qu'enviée par >> les personnes peu riches qui se chargent de cette propagande. » (V. Revue britannique, 1840, T. I, p. 408.)

M. Owen répondit à cette attaque par un manifeste apologétique, où nous remarquons le passage suivant : « Je le demande, qui a été le plus honoré de cette visite? ou d'un homme de près de soixante et dix ans, qui a employé plus d'un demi-siècle à acquérir une rare sagesse, avec la seule pensée de l'appliquer aux créatures souffrantes, et qui, pour arriver à la réalisation de ses desseins, s'est assujetti à s'habiller comme un singe et à fléchir le genou devant une jeune fille, charmante sans doute, mais sans expérience; ou de la jeune fille devant laquelle le vieillard a fléchi le genou? Quant à moi, je ne tiens point à honneur d'avoir été présenté à aucun être humain, quel qu'il soit.» (1) Voy. le Journal de Bruxelles du 22 août 1842.

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ses créanciers, car, peu de temps après sa nouvelle déconfiture, nous le retrouvons à Londres, publiant successivement, dans un journal chartiste, the Northern Star, des articles adressés à la reine Victoria et qui sont intitulés The rational mode of permanently and peaceably adjusting the present disordered state of Europe. Au moment où nous écrivons, M. Owen, malgré son âge avancé, continue ces publications mensuelles. Elles ne présentent rien de nouveau; c'est toujours le développement de son ancien système de sociétés coopératives (1).

Maintenant, jetons un regard en arrière et tâchons de découvrir les motifs des échecs successifs que le système coopératif a subis en Europe et en Amérique.

Il en est, peut-être, qui attribuent l'insuccès de l'entreprise à l'insouciance avec laquelle le réformateur a procédé au choix de ses collaborateurs. Ils se trompent la véritable cause se trouve dans les impossibilités nombreuses que renferme toute théorie basée sur le communisme.

L'égalité absolue est incompatible avec la nature humaine. Les facultés physiques et morales sont essentiellement variables. Tel homme brille par l'intelligence, tel autre se distingue par son adresse; celui-ci est courageux et fort, celui-là est indolent et faible. Placés dans des conditions absolument identiques, les uns produiront beaucoup et sauront accumuler les produits, les autres travailleront peu ou se livreront à un labeur stérile : c'està-dire que les uns acquerront des richesses et que les autres mourront dans l'indigence. Comment remédier à cet inconvénient? Faut-il placer tous les hommes sur la même

(1) Ces derniers renseignements m'ont été communiqués par M. l'avocat Jottrand, de Bruxelles. Depuis le 22 août 1842, j'avais perdu la trace de M. Owen.

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ligne et les condamner tous à travailler invariablement dans l'intérêt de la communauté? Convient-il d'enlever au travailleur toute perspective d'amélioration de son sort, tout espoir d'une jouissance exceptionnelle? Mais en procédant de la sorte, vous vous rendriez coupable d'une spoliation odieuse, en même temps que vous poseriez un acte de folie insigne. Ce serait un acte de spoliation, parce que les facultés de l'homme constituent une propriété incontestable, et qu'il n'appartient à aucun pouvoir humain de l'empêcher d'en tirer profit; ce serait un acte de folie, parce que vous détruiriez le stimulant le plus puissant du travail, le principe moteur de l'activité individuelle. Il faut prendre l'homme tel qu'il est. Le travail doit être rémunéré en proportion de son importance et de sa valeur. « Qui fera beaucoup, aura beaucoup; qui fera peu, aura peu; qui ne fera rien, n'aura rien voilà la justice, la prudence, la raison (1). » Récompenser de la même manière celui qui fait bien ou mal, peu ou beaucoup, c'est enlever l'aiguillon de l'intérêt personnel, c'est attaquer le travail dans sa source, c'est l'affaiblir, c'est l'anéantir. Or, c'est le travail, le travail seul, le travail actif, incessant, continué de génération en génération, qui peut et doit arracher l'homme à l'état de nudité et de misère où il se trouve au moment de sa naissance. L'expérience des siècles est ici parfaitement d'accord avec le résultat que donne l'étude attentive du cœur humain. Toute entreprise basée sur le communisme doit fatalement aboutir à la misère, à la ruine. L'essai de New-Harmony n'a que trop prouvé cette vérité. Malgré les avances considérables faites par M. Owen et ses associés, la colonie connut l'indigence et la faim, au centre du territoire le plus fertile de l'Amé

(1) De la propriété, par Thiers, liv. II, chap. III.

rique, où la valeur de quinze à vingt centimes par jour suffisait pour se procurer le nécessaire! Le communisme est destructif du travail, et là où le travail languit l'indigence apparaît. Ce n'est pas sans motifs que M. Proudhon a nommé le communisme la religion de la misère (1). Nous reviendrons sur cet objet (2).

§ 4. LES CHARTISTES.

Importance du mouvement chartiste. - La grande charte. - Tendances du chartisme. Prédications communistes. -Organisation hiérarchique. Conclusion.

Sur le continent, et surtout en France, le mouvement chartiste n'est pas apprécié à sa valeur réelle. Les uns y voient l'agitation désordonnée de quelques prolétaires que des démagogues obscurs poussent au désordre, en les ameutant contre les propriétaires des manufactures. Les autres n'ont conservé des chartistes qu'un seul souvenir, celui de ces pétitions colossales, revêtues d'un million de signatures, que des chars escortés par vingt mille pétitionnaires venaient déposer au seuil de la chambre des communes; ils s'imaginent bénévolement que, dès le lendemain, les choses ont repris leur cours ordinaire et paisible.

Que les uns et les autres se détrompent! Au milieu des mille dangers qui menacent la puissance anglaise et que l'observateur attentif aperçoit de toutes parts, il n'en est pas de plus formidable, de plus imminent que le chartisme.

Les chartistes, on le sait, prennent leur nom de la Charte du peuple qu'ils veulent donner à la Grande-Bretagne.

(1) Système des contradictions économiques, t. II, p. 387. (2) Voy. ci-après le chap. X.

Cette charte est on ne peut plus laconique. Elle se compose de six articles, que voici :

Art. 1. Suffrage universel.

Art. 2. Vote au scrutin.

Art. 3. Parlements annuels.

Art. 4. Abolition du cens d'éligibilité fondé sur la propriété.

Art. 5. Salaire aux membres du parlement.

Art. 6. Division égale des colléges électoraux.

Parmi ces articles, il en est quelques-uns dont l'adoption constituerait à la fois un progrès réel et un acte de justice. Exiger, comme condition d'éligibilité, un revenu considérable en biens-fonds, c'est exclure du parlement les industriels et les commerçants dont la fortune consiste en espèces, en marchandises et en navires; c'est, surtout, prononcer un verdict d'exclusion contre les intelligences d'élite, à qui Dieu, à défaut de terres et d'or, a donné la noblesse du cœur et la puissance du génie. Refuser un salaire aux membres du parlement, c'est éloigner de la chambre des communes tous ceux qui ne sont pas assez riches pour vivre honorablement dans la capitale, quels que soient d'ailleurs leur mérite personnel et les services qu'ils ont rendus à la patrie. Enfin, prendre pour base de la circonscription électorale le nombre des maisons et l'étendue du territoire, sans tenir compte du chiffre de la population, c'est aller directement à l'encontre des principes qui reconnaissent à tous les citoyens un droit égal à être représentés au sein du parlement. Or, nonobstant la réforme de 1834, tous ces vices existent dans la législation électorale de l'Angleterre. Sous tous ces rapports, il faut l'avouer, les prétentions des chartistes répondent aux exigences légitimes du gouvernement représentatif. Le vote au scrutin serait aussi une amélioration réelle. Quant

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