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» d'ailleurs, je vous prie, pourrait empêcher le peuple » d'aucun pays de faire ce qu'il veut? »

Au moment où Spence se permettait cet appel à la révolte et au meurtre, les saturnales de la révolution française épouvantaient l'Europe. Le gouvernement anglais eût manqué à tous ses devoirs si, en présence de ces provocations brutales, que la misère publique rendait éminemment dangereuses, il se fût abstenu d'avoir recours aux voies légales. Appelé à la barre du banc du roi, le rédacteur de la Chair de porc, déclaré coupable d'excitation à la révolte, fut condamné à une amende de vingt livres sterling et à un emprisonnement d'un an. En conséquence, Spence fut enfermé à la geôle de Shrewsbury, où il passa son temps à déplorer l'ingratitude et l'imbécillité de l'espèce humaine. Il se plaisait à dire que les hommes ne s'étaient pas montrés pour lui des clients très-reconnaissants (1).

(1) Lord Kennyon était président du Banc du Roi au moment où Spence parut à la barre. Celui-ci s'y drapa en martyr de la philanthropie. « Milord, dit-il, vous voyez en moi l'avocat désintéressé des fils dés» hérités d'Adam. J'ai établi dans mon écrit les droits de l'homme; c'est » sur ce roc solide que j'ai basé ma république naturelle, et les portes » de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. Je le jure, la philanthropie » qui m'inspire n'a jamais embrasé au même degré d'ardeur aucun pro>> phète, aucun apôtre, aucun philosophe. J'ai parlé, parce que la vé» rité était sur mon cœur un poids insupportable; je l'ai publiée parce » que je n'aurais pu ni vivre ni mourir en paix en la taisant. » Toutefois, cet enthousiasme réel ou simulé n'empêcha pas Spence de produire l'argument qu'il lui importait surtout de faire accueillir par ses juges; il ajouta « Je suis seul, je n'ai de lien avec aucun parti; excepté quel>>ques penseurs, tous me regardent comme un lunatique; j'ai même >> des ennemis et des détracteurs parmi les amis de la liberté. Je plaide >> moi-même, n'excitant pas assez de sympathies pour trouver un avocat

Après avoir subi sa peine, le réformateur revint à Londres, où ses disciples lui firent un accueil enthousiaste. Malheureusement, Spence n'était plus ce démocrate fougueux, ce novateur audacieux qui méprisait les obstacles, bravait les lois et jetait à la société tout entière un défi superbe. La prison avait refroidi son zèle, et les agitations de la capitale lui étaient insupportables. Il reprit son métier de libraire ambulant, vendit ses propres ouvrages, sema ses idées sur la route, ainsi qu'il aimait à le dire, et ne reparut plus à la tribune des clubs qu'à de longs intervalles.

Spence mourut en 1814, mais ses idées lui survécurent. Toutefois, si le communisme spencéen ne descendit pas dans la tombe avec son inventeur, il ne faut pas s'imaginer que les disciples aient religieusement conservé toutes les doctrines du maître. A leurs yeux, Spence avait eu un double tort d'un côté, il n'avait pas assez tenu compte des idées religieuses de l'Angleterre; de l'autre, il avait effrayé les propriétaires fonciers, en proposant la confiscation générale, sans se préoccuper du sort des possesseurs actuels. Or, afin de réparer cette double faute commise par le maître, les disciples se déclarèrent Chrétiens et offrirent une indemnité aux propriétaires qu'il fallait déposséder.

Le Christianisme spencéen mérite de fixer un instant l'attention, parce qu'il a servi de prélude au christianisme de M. Cabet, de M. Considérant et d'une foule d'autres socialistes français, qui se croient de bonne foi les seuls chrétiens du XIXe siècle.

Ce fut en 1816 que M. Thomas Evans, se qualifiant

>> gratis, étant trop pauvre pour en payer un.» - C'était écarter avec adresse les soupçons de coalition contre les institutions nationales.

de bibliothécaire de la société des Philanthropes spencéens, crut devoir révéler au monde le Christianisme de sa secte (1). Dès le début, M. Evans dépouille Jésus-Christ de sa divinité et le réduit aux proportions d'un simple philosophe. « Le Christ, dit-il, était un esclave ro» main, crucifié comme esclave (mode d'exécution particu» lièrement affecté aux esclaves), pour avoir prêché la > doctrine séditieuse que Dieu était seul propriétaire de » la terre, et non les Romains; que tous les hommes » étaient égaux aux yeux de Dieu et que, par consé» quent, ils ne devaient être esclaves ni des Romains, ni > d'un homme quelconque. » M. le bibliothécaire continue sur le même ton dans une demi-douzaine de pages, puis il s'arrête avec la conviction d'avoir rassuré toutes les consciences timorées.

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Mais que va devenir le christianisme des défenseurs de la propriété ? Dans quelle catégorie faut-il placer ces ennemis du peuple qui croient à la divinité du Sauveur? Ces questions ne sauraient embarrasser M. Evans. Les socialistes français disent que leurs adversaires sont des pharisiens; le philosophe spencéen va plus loin i les appelle païens. « Les cours, s'écrie-t-il, les lords, les pro

priétaires et les peuples sont tous païens, adhérant en» core au paganisme avec obstination. Allez dans leurs » demeures, et vous y trouverez les tableaux, les statues » et les bustes de leurs Jupiters, de leurs Junons, de

(1) Voici le titre original de la brochure de M. Evans: Politique chréTIENNE, SALUT DE L'EMPIRE. Clair et concis examen des causes qui ont produit la prochaine et inévitable banqueroute nationale, avec les effets qui doivent s'ensuivre, à moins qu'on ne les évite par l'adoption d'un remède réel et désirable, qui élèverait ces royaumes à un degré de grandeur auquel aucune nation n'est parvenue jusqu'ici; par Thomas Evans, etc., in-8°.

> leurs Appollons, de leurs Dianes, etc., etc. » Il y a là un progrès dont les socialistes des rives de la Seine sauront profiter. Au premier jour nous nous réveillerons païens!

Quant à l'indemnité que les amis de M. Evans veulent bien allouer aux païens dépossédés, le passage suivant suffira pour en donner une idée fidèle. « Il suffit de dé

clarer, dit le philosophe spencéen, que le territoire de » ce royaume est la fortune du peuple... Cela ne fera tort > à personne et profitera à tous, le changement étant

seulement que ceux qui possèdent des maisons ou des » terres payeront à l'avenir une rente au lieu d'en rece> voir une. Le gouvernement restera comme il est; on ac»cordera des pensions au roi, aux princes, aux nobles, > aux ecclésiastiques, à la chambre des communes. La ba» lance de tout le revenu sera distribuée à tout le peuple, > à chaque homme, femme et enfant, comme profit de > leur domicile naturel, sans taxe, sans péage, sans droits » de douane, ce qui donnera environ quatre livres (100 fr.) » par année. »

On le voit les philanthropes spencéens avaient singulièrement adouci l'âpre doctrine du maître. Ils adoptent un culte, ils offrent des pensions, ils veulent même que le gouvernement aristocratique de l'Angleterre reste tel qu'il est. Peine inutile! Le public resta indifférent, des désertions nombreuses éclaircirent les rangs de la phalange, et les derniers disciples de l'instituteur de Newcastle finirent par chercher un abri dans les communautés d'Owen et les bandes du chartisme. Bien avant les mouvements révolutionnaires de 1830, les Spensoniens avaient cessé de figurer comme parti sur la scène politique du pays (1).

(1) J'ai vainement cherché à me procurer les opuscules de Spence. Les extraits que j'ai cités ont été empruntés à la Revue britannique, liv. de mai 1848.

T. II.

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§ 3.

- LE COMMUNISME COOPÉRATIF ROBERT OWEN.

Promesses magnifiques. Biographie de M. Owen.

Essai de

New-Lanarck. Système coopératif. Théorie de la bienveillance universelle. Derniers résultats de la philosophie de la sensation. Essai de New-Harmony. · Société coopérative de Hampshire. Derniers travaux du réformateur. caux des théories basées sur le communisme.

Vices radi

Pendant que Fourier, annonçant majestueusement les merveilles de la vie harmonienne, n'avait pas même le bonheur de rencontrer un homme qui voulût le prendre au sérieux, un autre réformateur, bien plus heureux dès son début, avait acquis, en Angleterre et dans quelques parties de l'Allemagne, une popularité immense. Trouvant des admirateurs enthousiastes dans toutes les classes de la société, admis dans les conseils des princes, flatté par les savants, consulté par les hommes d'État les plus importants de l'époque, Robert Owen put croire un instant, sans trop de présomption, que toutes les écoles socialistes allaient se ranger sous sa bannière.

Aussi, il faut en convenir, ses promesses n'étaient pas moins magnifiques que celles de Fourier.

« L'histoire de la race humaine, disait-il, démontre in» vinciblement l'état grossier de l'esprit de l'homme, et > chacune de ses pages contribue à établir, avec détail, > combien sa tendance est insensée et irrationnelle. Cette » histoire n'a été qu'une suite de guerres, de massacres, » de pillages, de divisions interminables, d'opposition mu>>tuelle à un état de paix et de bonheur; une longue » période dans laquelle chacun a été en lutte avec tous et >> tous avec chacun principe de conduite admirablement » calculé pour enfanter le moins de prospérité et le plus » de misère possible. » En place de ce système, qui force

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