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son espoir fut déçu la lecture de son mémoire lui valut d'être expulsé en même temps du club et de l'école.

Réduit à chercher un nouvel état, l'ex-pédagogue se procura une petite voiture et se fit libraire ambulant; mais cette métamorphose ne lui fit pas abandonner ses études de prédilection. Parcourant l'Écosse et l'Angleterre, méditant le jour, écrivant la nuit, il réussit enfin à composer un livre qu'il crut destiné à renouveler la face du globe.

Marchant sur les traces de Platon, de Morus et de Harrington, Spence imagine un pays parfait, constitué en république et gouverné par des lois rationnelles. Cette terre fortunée s'appelle Spensonia. La république y est une et indivisible (1). Le peuple s'y compose de l'universalité des citoyens (2). La propriété foncière y est inconnue. Toutes les terres appartiennent à l'État. Le pouvoir législatif est exercé par un parlement annuel, élu par le suffrage universel. Les femmes jouissent des droits électoraux au même degré que les hommes. Un conseil de vingt-quatre membres, renouvelé par moitié chaque année, est investi du pouvoir exécutif. La république n'a point d'armée permanente. Si la guerre éclate, tout citoyen est soldat.

Nous venons de dire que la propriété foncière est inconnue à Spensonia. Le sol y est divisé en paroisses, et chaque paroisse est subdivisée à son tour en un nombre de fermes proportionné au chiffre de la population. Ces fermes sont mises en adjudication publique, tous les vingt et un ans; le produit du fermage est destiné à défrayer les dépenses publiques, et, s'il y a un excédant de recette, il est également partagé entre tous les habitants de la paroisse.

(1) The Spensonian commonwealth is one and indivisible.

(2) The Spensonian people is the universality of Spensonian citizens.

A la suite de ce placard, on lisait un avis portant:

« C'est pour obtenir cet important objet et propager la » connaissance du système ci-dessus qu'a été instituée la » Société des Philanthropes. On peut se renseigner plus » amplement sur les principes en suivant un de ses mee>tings de section, où sont discutés des sujets calculés pour » éclairer l'intelligence humaine, et où l'on se procure aussi » les règlements de la société, contenant le développement > complet du système. Chaque individu est admis sans » payer, pourvu qu'il se conduise avec décence. »

Enfin, au bas de la page, se trouvait l'indication des tavernes qui servaient de lieu de réunion, ainsi que du jour et de l'heure des assemblées hebdomadaires.

Qui était le rédacteur de ces placards attentatoires aux droits de la propriété? Qui était l'organisateur de ces meetings de section destinés à éclairer l'intelligence humaine?

C'était un instituteur primaire, nommé Spence, que ses idées extravagantes avaient fait renvoyer de l'école de Newcastle-upon-Tyne.

Spence avait débuté en 1775, par un Mémoire lu devant un club littéraire de Newcastle. Devançant Fourier de trente ans, le jeune pédagogue prétendait reconstituer l'ordre social selon les lois de l'harmonie universelle. «Toute » chose, disait-il, est fondée sur des principes inaltéra»bles chaque science et chaque art forment un tout » parfait. Il n'y a anarchie que dans la langue et la poli» tique. » — C'était cette double anarchie que Spence voulait faire disparaître. Quant à la langue, il y remédiait à l'aide d'une orthographe naturelle ou philosophique. Quant à la politique, le maître d'école avait deux moyens tout aussi expéditifs : la confiscation et le communisme.

Spence avait compté sur des applaudissements; mais

son espoir fut déçu la lecture de son mémoire lui valut d'être expulsé en même temps du club et de l'école.

Réduit à chercher un nouvel état, l'ex-pédagogue se procura une petite voiture et se fit libraire ambulant; mais cette métamorphose ne lui fit pas abandonner ses études de prédilection. Parcourant l'Écosse et l'Angleterre, méditant le jour, écrivant la nuit, il réussit enfin à composer un livre qu'il crut destiné à renouveler la face du globe.

Marchant sur les traces de Platon, de Morus et de Harrington, Spence imagine un pays parfait, constitué en république et gouverné par des lois rationnelles. Cette terre fortunée s'appelle Spensonia. La république y est une et indivisible (1). Le peuple s'y compose de l'universalité des citoyens (2). La propriété foncière y est inconnue. Toutes les terres appartiennent à l'État. Le pouvoir législatif est exercé par un parlement annuel, élu par le suffrage universel. Les femmes jouissent des droits électoraux au même degré que les hommes. Un conseil de vingt-quatre membres, renouvelé par moitié chaque année, est investi du pouvoir exécutif. La république n'a point d'armée permanente. Si la guerre éclate, tout citoyen est soldat.

Nous venons de dire que la propriété foncière est inconnue à Spensonia. Le sol y est divisé en paroisses, et chaque paroisse est subdivisée à son tour en un nombre de fermes proportionné au chiffre de la population. Ces fermes sont mises en adjudication publique, tous les vingt et un ans; le produit du fermage est destiné à défrayer les dépenses publiques, et, s'il y a un excédant de recette, il est également partagé entre tous les habitants de la paroisse.

(1) The Spensonian commonwealth is one and indivisible.

(2) The Spensonian people is the universality of Spensonian citizens.

Certes, cette ébauche d'organisation sociale est loin de pouvoir être assimilée aux systèmes complets et bien coordonnés que Fourier, Cabet et Louis Blanc ont imaginés de notre temps. Toutefois, cette république une et indivisible, cette souveraineté placée dans l'universalité des citoyens, y compris les femmes, cette prétention de grouper les éléments de la vie sociale de manière à en former un tout parfait, ce sont là des idées et des projets dont les réformateurs plus rapprochés de nous ont su tirer profit. Mais Spence n'avait ni le génie, ni les connaissances nécessaires pour aller plus loin, et c'est pour ce motif, sans doute, qu'il a maintenu dans sa république toute autre propriété que la propriété foncière. Il n'a pas même songé à l'association du capital et du travail. Dans l'ordre politique, il s'arrête au suffrage universel; dans l'ordre économique, tout son secret consiste dans la confiscation du sol au profit de l'État.

Quoi qu'il en soit, Spence se transporta à Londres avec son livre, et il fut assez heureux pour s'y faire en peu de temps de nombreux disciples. Une association fut formée sous le titre de Société des Philanthropes spencéens; on ouvrit des Conférences publiques; des brochures répandues à profusion amenaient chaque jour de nouveaux adeptes; une somme considérable fut réunie à l'aide de souscriptions particulières, et Spence finit par se sentir assez fort pour oser convoquer le peuple, à l'aide de placards en forme de prospectus dont nous avons reproduit les termes.

Si l'Angleterre n'est pas le pays de l'égalité, elle est à coup sûr celui de la liberté. Toutes les opinions peuvent s'y manifester à l'aise; aussi longtemps que les prédications anarchiques ne se transforment pas en appel direct à l'émeute, l'autorité s'abstient d'intervenir. Spence en fit

l'épreuve. Pendant plusieurs années, il put écrire, prêcher et faire de la propagande en toute liberté. Aussi longtemps qu'il se renferma dans les bornes d'une polémique honnête, d'une propagande pacifique, la justice ferma les yeux. Il n'en fut plus de même lorsque Spence, enhardi par l'impunité, prêcha hautement l'insurrection, en vouant les propriétaires à la vengeance des masses. Dans un pamphlet périodique, intitulé la Chair de porc (pig's meat), il s'oublia au point de s'écrier que le peuple devait imiter les Indiens de l'Amérique et SCALPER tous les propriétaires du Royaume-Uni. «Les revenus de nos propriétaires, disait-il, » sont pour eux ce qu'était pour Samson les cheveux où » résidait sa force. Ces hommes seront de dangereux com>pagnons dans la société, tant qu'ils auront encore leurs >> cheveux ou leurs revenus. Scalpez-les donc; car il est » évident que si les Philistins avaient scalpé Samson, au > lieu de se contenter de le raser, ils auraient à la fois » sauvé leur vie et leur temple... Les détenteurs du sol sont » comme des ennemis logés chez nous pour lever des > contributions. Il faut avant tout détruire radicalement la » force de ces Samsons, et cela ne peut se faire par l'in> nocente opération de la coupe des cheveux; car ce serait > laisser les racines, et celles-ci ne tarderaient pas à re» pousser. Non; il faut les scalper... Rien de moins que > l'extirpation complète du système actuel de posséder la » terre, si vous voulez reconstituer le monde de manière » à ce qu'il vaille la peine d'y vivre... Quelques paroisses > voisines n'ont qu'à déclarer que la terre est à elles; » qu'elles forment une Convention de députés de la pa» roisse, et d'autres paroisses suivront immédiatement cet » exemple, et une belle et puissante république surgira > aussitôt dans toute sa grandeur... Le peuple n'a qu'à dire : » Que la terre soit à moi, et la terre sera à lui. Qui,

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