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Les idées antisociales ont jeté de profondes racines en Angleterre.Symptômes qui présagent une lutte inévitable. Organisation des classes inférieures. Littérature radicale et communiste. · Transformation des partis politiques. Le radicalisme et le chartisme à la chambre des communes.

Il serait puéril de nier la puissance et la grandeur de l'Angleterre. Le sentiment patriotique qui anime toutes les classes de la nation, la fécondité de ses manufactures, l'intelligente activité de ses commerçants, les inépuisables ressources qu'elle puise dans les richesses de son sol, l'esprit d'association poussé à ses dernières limites, l'application sans cesse renouvelée de ses capitaux, toutes ces merveilles de la politique et de l'industrie étonnent à juste titre le voyageur qui met le pied sur ses rivages. Nous ne dirons pas, avec M. de Lamennais « L'Angleterre est » morte par ses mœurs; et, au premier coup imprévu » qui viendra frapper sa richesse, on sera tout surpris » de voir ce grand corps, auquel on supposait tant de > vigueur, expirer d'épuisement après quelques convul» sions (1). »

Mais, si l'Angleterre est encore puissante et glorieuse, faut-il en conclure qu'elle échappera seule aux crises révolutionnaires toujours imminentes chez les peuples du centre et du midi de l'Europe?

(1) Essai sur l'indifférence en matière de religion, Tom. 1, ch. X. 24

T. II.

A notre avis, une réponse affirmative ne saurait étre admise.

En Angleterre, comme ailleurs, le sol est miné; mille symptômes infaillibles l'annoncent. Dans les régions gouvernementales, dans la littérature, dans la presse, dans les ateliers, dans la chaumière du prolétaire, partout se manifestent des signes avant-coureurs d'une lutte gigantesque. La résistance sera énergique et forte; les Anglais trouveront dans leur organisation politique, dans leurs traditions, dans leurs mœurs, et même dans leur caractère, des éléments de défense qu'on rencontre rarement sur le continent; mais les classes supérieures et moyennes, aujourd'hui désunies, n'en auront pas moins besoin de toutes leurs forces pour sortir victorieuses du combat. Quant à la lutte elle-même, ce n'est plus qu'une question de temps.

En 1848, au moment où Louis Blanc trônait à la tribune du Luxembourg, les Anglais parlaient avec dédain, avec un sourire de pitié, des embarras que les prétentions des prolétaires causaient à la France. Leurs journaux ne tarissaient pas en plaisanteries sur le compte de ces forgerons, de ces peintres, de ces tailleurs, de ces cuisiniers, qui dictaient la loi aux maîtres, en les menaçant d'ouvrir des ateliers sociétaires. Ignoraient-ils la situation réelle de leur propre pays? Voulaient-ils donner le change à l'Europe? Toujours est-il que, depuis dix ans, les mêmes plaies rongent les populations industrielles de la GrandeBretagne. Toutes les classes de travailleurs s'y sont organisées sur une vaste échelle; chacune d'elles a ses délégués, ses chefs officiels, son budget, son conseil exécutif. Nous ne citerons qu'un seul fait. Le 10 janvier dernier, 20,000 ouvriers mécaniciens, obéissant comme un seul homme aux ordres du Conseil exécutif, suspendirent leurs travaux et votèrent, sur les fonds de l'association, une

somme de 20,000 livres (500,000 fr.) pour l'érection d'un atelier sociétaire (1).

(1) Ce fait n'a pas assez fixé l'attention de la presse française. Voici les circonstances qui l'avaient amené.

Parmi les Unions ouvrières qui se sont organisées et enrégimentées sur toute la surface de l'Angleterre, il en est une qui, par le nombre de ses membres et la nature de leur industrie, mérite une attention spéciale. Les machinistes, les mécaniciens, les ouvriers employés dans les fonderies et les ateliers de machines ont formé une association appelée Amalgamated Society (Société réunie), avec un comité qui porte le titre de « Conseil exécutif.» Ce conseil crut convenable d'imposer aux fabricants anglais les conditions que les ouvriers français firent proclamer, le 26 février 1848, sur les marches de l'Hôtel de ville de Paris; savoir : 1o abolition des heures supplémentaires de travail, sauf dans le cas de bris de machines; 2o engagement de payer double, quand le travail supplémentaire serait indispensable; 3° renvoi des ouvriers employés à la surveillance de certaines machines, et leur remplacement par des ouvriers membres de l'association. Seulement, ce que les ouvriers français avaient réclamé loyalement et à haute voix, le Conseil exécutif résolut de l'obtenir par la ruse et la perfidie. A cette fin la décision fut tenue secrète; toute mesure générale fut abandonnée, toute grève universelle interdite les grandes maisons devaient être attaquées l'une après l'autre, par des grèves partielles. — Le plan obtint d'abord les résultats désirés. Plusieurs fabricants ont été successivement obligés de capituler. Ainsi notamment, en juillet 1851, MM. Hibbert et Platt, constructeurs de machines, avaient dû subir les conditions qu'on leur imposait. Sur un premier refus, leurs dix-sept cents ouvriers avaient en un seul jour quitté leurs ateliers. Or, les fabricants avaient à ce moment des engagements considérables à remplir; ils avaient à fournir pour plus d'un million de machines à la Russie! il fallait donc bien céder. Quelques mois plus tard, MM. Hibbert et Flatt furent menacés d'une nouvelle grève; mais, comme d'autres maisons considérables se trouvaient en face des mêmes exigences, on remonta à la source et la tac

Qu'on rapproche cet événement de la formidable organisation du chartisme que nous exposerons plus loin, et, malgré tous les dithyrambes en l'honneur du bon sens du peuple britannique, malgré l'orgueil de ses diplomates et

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tique du Conseil exécutif fut dévoilée. On prit aussitôt les mesures nécessaires. Une Union des maîtres fut opposée à l'Union des ouvriers. Les plus fortes maisons, voyant qu'on n'avait d'autre but que d'amener successivement leur ruine, décidèrent à l'unanimité que, si une seule d'entre elles était mise en interdit par la Société réunie, elles fermeraient toutes ensemble leurs ateliers le 10 janvier. Aussitôt que cette résolution énergique fut connue, le Conseil exécutif de la société y répondit par l'excommunication des ateliers de MM. Hibbert et Platt et l'érection d'un atelier sociétaire; l'association possédait, en effet, un capital de plus de 1,500,000 fr. A la vérité, le projet n'a pas été réalisé; les maîtres ont fait de nouvelles concessions, et les ouvriers ont repris leurs travaux. Mais le fait n'en mérite pas moins d'être sérieusement médité. Il importe, en effet, de se rappeler que l'union des mécaniciens n'est pas un fait isolé. Tous les métiers ont reçu une organisation analogue. Il y a quelques mois, l'union des ouvrières en dentelles a fait successivement capituler tous les fabricants. Et qu'on ne croie pas que ces associations ouvrières, organisées dans un but purement industriel, sont étrangères aux passions révolutionnaires. S'il en était ainsi, le mal serait toujours immense, puisque, loin de conduire les prolétaires au but désiré, leurs prétentions exagérées auraient pour conséquence l'émigration des capitaux et la ruine de l'industrie anglaise, c'est-à-dire, l'irrémédiable misère des masses. Mais il ne faut pas se faire illusion. Chaque union ouvrière est une ligne révolutionnaire. Après les faits qui se sont produits, il serait puéril de le nier l'esprit du Comité européen a passé par là. Nous citerons un seul fait. Pendant que l'aristocratie anglaise, jouant sous une autre forme le rôle que la garde nationale de Paris s'était imposé le 23 février 1848, recevait et complimentait l'agitateur hongrois, toutes les Unions ouvrières avaient envoyé des députations sur le rivage. L'épisode du général Haynau est un autre symptôme tout aussi significatif.

les bravades de ses journalistes, on sera forcé d'avouer que les doctrines antisociales ont pénétré dans ses manufactures.

L'industrie moderne exige l'accumulation des capitaux et, par suite, l'agglomération des ouvriers autour de vastes usines. Cette réunion des travailleurs est un bienfait, quand le peuple a conservé des croyances religieuses et des vertus morales; elle permet d'organiser des caisses de secours pour la maladie, la vieillesse et les temps de crise; elle facilite l'achat des comestibles aux époques les plus favorables et par grandes masses: mais, par contre, elle produit des inconvénients de toute nature, elle renferme un immense danger, lorsque le scepticisme, avec son cortége de désordres et de vices, a étendu ses ravages parmi les classes laborieuses. Or, telle est précisément la position morale et sociale de l'ouvrier des manufactures anglaises. Il dédaigne la Bible, il méprise les instructions des ministres; il ne croit plus au Dieu qui bénit et récompense les sueurs et les misères du pauvre; il puise ses doctrines religieuses dans une foule de petits traités (tracs) où de prétendus amis du peuple mettent à sa portée toutes les théories matérialistes du dix-huitième siècle. Aussi, pendant que le prolétaire et l'artisan lisent les journaux chartistes et commentent les discours qu'ils entendent dans les clubs révolutionnaires, les derniers vestiges de la foi chrétienne s'effacent de leur intelligence et de leur cœur. Il n'y a pas un atelier ou l'Évangile du bon sens de Thomas Payne ne trouve quelques commentateurs enthousiastes. Les soldats de l'armée révolutionnaire se comptent par milliers, et nous verrons que les cadres ne lui manquent pas (1).

(1) Qu'on ne nous accuse pas de rembrunir le tableau. Il y a un an,

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