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à la morale et au culte destinés à remplacer le décalogue et la foi des chrétiens modernes, Saint-Simon se contente de la promesse de faire un jour cette révélation importante (1).

» présenté comme devant être aujourd'hui le but de tous les travaux >> religieux.

» Ce principe régénéré sera présenté de la manière suivante : la re» ligion doit diriger la société vers le grand but de l'amélioration la » plus rapide possible du sort de la classe la plus pauvre.

>> Ceux qui doivent fonder le nouveau christianisme et se constituer >> chefs de la nouvelle église, ce sont les hommes les plus capables de » contribuer par leurs travaux à l'accroissement du bien-être de la » classe la plus pauvre. Les fonctions du clergé se réduiront à ensei>> gner la nouvelle doctrine chrétienne, au perfectionnement de laquelle » les chefs de l'église travailleront sans relâche. »

Avant de mourir, Saint-Simon avait dit à M. Olinde Rodrigues : « En attaquant le système religieux du moyen-âge, on n'a réellement » prouvé qu'une chose : c'est qu'il n'est plus en harmonie avec le pro» grès des sciences positives; mais on a eu tort d'en conclure que le >> système religieux devait disparaître en entier; il doit seulement se >> mettre d'accord avec les progrès des sciences. >> C'est la pensée

fondamentale du Nouveau Christianisme.

(1) Saint-Simon a fait d'autres publications que celles que nous avons citées; mais leur lecture n'est pas indispensable pour l'intelli. gence du système. En 1819, il avait publié, sous le titre de Parabole, une brochure qui lui valut une poursuite criminelle. Afin de faire mieux ressortir les services sociaux rendus par les savants et les industriels, l'auteur s'était demandé ce que deviendrait la France si elle perdait, en une seule nuit, ses cinquante premiers physiciens, ses cinquante premiers chimistes, ses cinquante premiers mathématiciens, ses cinquante premiers architectes, etc., etc. Puis, passant à une sorte de contre-preuve, il se demandait quel serait le résultat de la mort de Monsieur, frère du roi, du duc d'Angoulème, du duc d'Orléans, des grands officiers de la couronne, de tous les fonctionnaires supérieurs,

Tel était, au jour du décès de Saint-Simon, le bagage scientifique qu'il a transmis à ses disciples. On va voir que ceux-ci dépassèrent étrangement les prévisions du maître.

Le talent ne manquait pas aux premiers adeptes. Il est peu d'écoles qui puissent se vanter d'avoir réuni, dès leur début, des hommes tels que MM. Rodrigues, Enfantin, Bazard, Adolphe Blanqui, Armand Carrel, Auguste Comte, Laurent (de l'Ardèche), Buchez, le futur président de l'Assemblée constituante de 1848, Carnot, destiné à devenir le ministre de l'instruction publique du Gouvernement Provisoire, et plusieurs autres que leurs travaux scientifiques ont rendus célèbres. Pleins d'ardeur et de zèle, jeunes, ambitieux et enthousiastes, tous ces hommes, auxquels l'avenir réservait des rôles si divers, se réunirent pour tirer les conclusions des prémisses posées par le maître.

Ils commencèrent par former, sous la raison Enfantin, Rodrigues et compagnie, une société en commandite pour la publication d'un journal hebdomadaire. Le Producteur, résultat de cette combinaison, parut le 1er octobre 1825.

Dès les premiers numéros du journal, il fut facile de s'apercevoir que l'unité manquait à la rédaction. On était d'accord pour exalter les bienfaits du travail, pour célébrer la toute-puissance de l'industrie. On déclamait contre les oisifs, on réclamait l'abolition du régime militaire et féodal, on demandait l'émancipation des prolétaires, on

etc., etc. La réponse était que les grands dignitaires pourraient être immédiatement remplacés, tandis que, pour réparer la perte des savants et des industriels, le travail de plus d'une génération serait insuffisant. Le parquet y vit un outrage à la famille royale; le jury, plus indulgent, prononça un verdict de non-culpabilité.

disait que les frelons devaient enfin céder la place aux abeilles; mais l'accord disparaissait aussitôt qu'il fallait exposer un plan de réalisation. Comment établira-t-on le régime industriel? Comment remplacera-t-on les institutions du passé? Comment ménagera-t-on la transition? Quel sera le sort de la femme dans la société nouvelle? Sur tous ces points capitaux on comptait à peu près autant d'opinions que de disciples. Chacun faisait valoir son avis personnel; tous marchaient au hasard, sans se préoccuper ni de la doctrine de Saint-Simon, ni de l'opinion de leurs collègues.

Dans ces conditions, le journal ne pouvait fournir une longue carrière il cessa de paraître le 12 décembre 1826 (1).

Un nouvel élément de discorde ne tarda pas à se manifester au sein de l'école.

Parmi les chefs, on en comptait plusieurs qui, trop éclairés pour ne pas savoir qu'une société sans croyances est une société condamnée à périr, voulaient qu'on s'occupât de la recherche de ce lien commun dont le maître avait si vivement déploré l'absence. Ils soutenaient que ce lien ne pouvait consister que dans la reconnaissance d'un principe supérieur assez puissant pour rallier les intelligences, assez sublime pour soumettre les cœurs. Il fallait, disaient-ils, un dogme nouveau qui pût remplacer le dogme chrétien. Cette fraction avait à sa tête MM. Enfantin, Rodrigues, Bazard et Buchez. D'autres membres, parmi lesquels figurait M. Comte, prétendaient que toute idée

(1) Le Producteur renferme des articles très-remarquables sur l'économie politique et l'histoire. On y trouve plus d'un aperçu nouveau sur le droit de propriété. D'abord journal hebdomadaire, puis mensuel, le Producteur succomba faute de 5000 francs annuellement nécessaires pour le continuer.

T. II.

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de religion devait être écartée comme ridicule et surannée. A leur avis, le règne de la superstition était passé, et la société devait être réorganisée sur la base de la philosophie positive, c'est-à-dire du matérialisme pur (1).

Après de longs débats, l'opinion de M. Enfantin finit par prévaloir. Il fut convenu que l'on s'occuperait activement de la recherche d'une religion nouvelle.

Ici commence la seconde phase du Saint-Simonisme, la phase semi-philosophique et semi-religieuse.

Les chefs se mirent à l'œuvre. Momentanément retirés de la scène, ils s'efforçaient de formuler, dans le recueillement et le silence, les dogmes et les préceptes qui devaient composer la religion de l'avenir. Réunis à des jours fixés d'avance, les fidèles se communiquaient le résultat de leurs travaux respectifs; puis, dans une discussion générale, on examinait les mesures proposées pour l'organisation de la famille saint-simonienne. S'il faut ajouter foi aux indiscrétions de quelques dissidents, ces réunions de famille n'offraient pas toujours le tableau d'une discussion régulière et calme. Bien des paroles acerbes furent prononcées, bien des reproches amers furent échangés; mais enfin, après un travail assidu de deux années, on se crut assez avancé pour s'adresser une seconde fois au public.

Le 17 décembre 1828, Enfantin fit une première expo

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(1) M. Comte avait émis cette prétention dès 1824, dans le 3 cahier du Catéchisme des industriels. Ce ne fut toutefois qu'en 1830 qu'il fit paraître le premier volume de son Cours de philosophie positive, dont le tome VI a été publié en 1842. En 1850, M. Comte, fidèle aux idées de sa jeunesse, essaya de substituer le positivisme au socialisme. Il inventa à cette fin une sorte de culte au Grand-Être-Humanité (V. l'art. pub. par M. de Molinari, dans le Journal des Économistes du 15 octobre 1850).

sition de la doctrine, devant un cercle d'auditeurs d'élite réunis dans son appartement. Au commencement de l'année suivante, on ouvrit des conférences publiques dans une salle de la rue Taranne (1). Là, grâce à l'éloquence des prédicateurs, de Bazard surtout, le saint-simonisme reconquit promptement le terrain qu'il avait perdu; il trouva des disciples nombreux et dévoués; des capitaux considérables furent mis à la disposition des chefs, et ceux-ci firent paraître, le 15 août 1829, un nouveau journal (l'Organisateur), destiné à devenir l'expression périodique de la doctrine dans sa phase nouvelle.

Parmi les travaux de l'école qui remontent à cette époque, les études historiques, malgré la base chimérique de leur point de départ, sont dignes de toute l'attention des savants. Pour fournir les preuves de la perfectibilité indéfinie de notre espèce, les chefs de l'école se livraient à d'immenses recherches. A l'exemple du maître, ils classaient les faits particuliers en séries distinctes; puis, énumérant successivement les progrès accomplis dans la religion, dans la morale, dans l'industrie, dans les sciences, dans les arts, dans l'organisation politique, ils concentraient le résultat de leurs travaux dans une vaste synthèse, qu'ils appelaient l'idée générale du siècle. Ils divisaient les diverses. périodes de l'histoire en époques religieuses ou d'organisation, et en époques critiques ou d'incrédulité. Les premières

(1) Les prédications de la rue Taranne furent résumées en un volume intitulé: Doctrine de Saint-Simon. - Exposition. - Première année, 1829; Paris, imp. d'Everat, in-8. La 1re et la 15 conférences du 1er vol. sont de Rodrigues; la 8°, la 12° et la 16 appartiennent à Enfantin; les autres sont de Bazard, mais la rédaction avait été revue par Carnot, Fournel et Duveyrier. Le II volume d'Exposition, publié en décembre 1830, ne contient que des conférences de Bazard, rédigées par Carnot, sauf la 12° et la 13, rédigées par Bazard lui-même.

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