Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE IX.

LE DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

SECTION Ire. LA FRANCE.

§ 1er. LES SAINT-SIMONIENS.

[ocr errors]
[ocr errors]

Le comte de Saint

- État de la doctrine

Les disciples

Importance du mouvement Saint-Simonien. Simon; sa jeunesse, ses premiers travaux. saint-simonienne au jour du décès du maître. fondent le PRODUCTEUR; ils demandent l'adoption du régime industriel. Phase nouvelle, semi-philosophique et semi-religieuse. Importance des travaux historiques qui datent de cette époque.Luttes intestines.-Doctrines sociales qui finissent par prévaloir.— La femme libre. Organisation de la hiérarchie sacerdotale. — Duumvirat suprême. · Le couple-prêtre. Révolution intérieure.

Décadence de la famille. — Ruine. Le saint-simonisme devant la cour d'assises. Conséquences sociales de la prédication saint-simonienne.

Les écrits et les actes de l'école saint-simonienne méritent d'être sérieusement étudiés.

Il ne faut pas s'imaginer que tout soit exagération ou folie dans les œuvres des disciples de Saint-Simon. Avant de fonder un culte, ils avaient sondé toutes les sources de la prospérité publique; et jamais talents plus variés,

T. II.

1

plus vigoureux et plus vrais, ne s'étaient entendus pour résoudre, par un commun effort, les vastes problèmes qui se rapportent à la production et à la distribution des richesses. Leurs premiers ouvrages renferment d'admirables études sur toutes les branches de l'économie politique. En élevant celle-ci à la dignité de croyance sociale, ils soulevèrent un grand nombre de questions qui, malgré les progrès de la science et le développement prodigieux de l'industrie, ont conservé toute leur importance. Bien des abus ont disparu devant leur critique, bien des idées saines et fécondes leur doivent la popularité dont elles jouissent aujourd'hui (1). Animés d'un ardent amour de l'humanité, les Saint-Simoniens ont été les premiers à chercher dans le domaine de la science un remède aux ravages du paupérisme. Le système, poussé à ses conséquences dernières, provoque un sourire de pitié; mais il y aura toujours beaucoup à apprendre dans les écrits d'une école où figuraient des hommes tels que Bazard, Buchez, Michel Chevalier, Comte, Flachat, Perrier, Paul Rochette et tant d'autres que des travaux sérieux ont rendus célèbres.

Dans l'ordre moral, les diverses phases du mouvement saint-simonien ne sont pas moins dignes d'attention.

Des hommes possédant le triple prestige de la jeunesse, de la science et du génie, s'affranchissent des croyances séculaires de leur patrie. Tout en exaltant les bienfaits du christianisme, tout en saluant en lui le père et le protecteur de la civilisation moderne, ils le rejettent comme un vêtement usé. Dégagés des liens du passé, bravant tous les obstacles, affranchis du servage de la révélation, dédaignant toutes les idées reçues, ils cherchent une doc

(1) Je citerai leurs travaux sur le système prohibitif, les caisses d'amortissement, le paupérisme, la puissance de l'association, etc.

trine, un symbole, une morale, un culte à la hauteur des progrès scientifiques du dix-neuvième siècle. Ils se mettent à l'œuvre avec l'opiniâtreté du sectaire, avec la ferveur du néophyte. Ils interrogent toutes les institutions, tous les systèmes, tous les dogmes, tous les monuments de la nature et de l'homme. Religions, philosophie, histoire, économie politique, sciences naturelles, tout est scruté et analysé dans l'intérêt des idées nouvelles. Rien n'échappe à leurs investigations laborieuses. Or, pendant que le christianisme, dont ils célèbrent les funérailles, se relève et reprend son empire sur les intelligences d'élite, tous les efforts de l'école saint-simonienne aboutissent à une œuvre d'immoralité et de folie dont ses auteurs sont aujourd'hui les premiers à rougir! Pour le chrétien et pour le philosophe, il y a là, ce nous semble, plus d'un sujet de méditation. C'est le rationalisme moderne aux prises avec la morale et les dogmes du christianisme; c'est le culte de l'utile substitué aux principes de dévouement et d'abnégation qui constituent la doctrine évangélique. A ce point de vue le Saint-Simonisme est peut-être le phénomène moral le plus extraordinaire du dix-neuvième siècle (1).

Le comte Claude-Henri de Saint-Simon, l'homme qui a donné son nom à la secte, le Messie que ses disciples ont placé au-dessus de Jésus-Christ, ne s'est jamais douté du rôle qu'on lui a fait jouer après sa mort. Né à Paris le 17 avril 1760, il obtint à seize ans une compagnie de cavalerie, fit la guerre d'Amérique sous La Fayette, et revint en France pour recevoir, à vingt-deux ans, les épaulettes de colonel. Fier de sa haute naissance, il se plaisait à

(1) Parmi les penseurs qui ont pris le Saint-Simonisme au sérieux, il faut citer M. Riambourg (V. les fragments intitulés Socialisme-SaintSimonien, dans ses œuv. comp., p. 643-646, éd. Migne).

rappeler sa parenté avec ce duc de Saint-Simon, contemporain de Louis XIV, que ses Mémoires ont rendu si célèbre. Il se vantait aussi de descendre de Charlemagne, et son valet de chambre avait ordre de l'éveiller tous les matins avec cette formule solennelle : « Levez-vous, M. le > comte, vous avez de grandes choses à faire. »

La révolution, brisant la fortune militaire du jeune patricien, le réduisit à la triste nécessité de chercher une autre carrière. Après quelques moments d'hésitation, le descendant de Charlemagne se fit spéculateur en domaines nationaux et en assignats; puis, après avoir réuni un capital assez considérable (144,000 fr.), il se mit à voyager dans plusieurs pays étrangers.

Ce fut dans le cours de ces voyages qu'il conçut le plan de la réforme scientifique qui lui a valu sa divinité posthume. Son projet de réorganisation intellectuelle consistait à réduire toutes les sciences, religieuses, morales, politiques, naturelles, en une seule, à l'aide d'une théorie commune. Laissons-le parler lui-même :

« Je conçus, dit-il, le projet de frayer une nouvelle » carrière à l'intelligence humaine, la carrière physico-po»litique. Je conçus le projet de faire faire un pas général » à la science et de rendre l'initiative à l'école française. > - Cette entreprise exigeait des travaux préliminaires; > j'ai dû commencer par étudier les sciences physiques, » par constater leur situation actuelle, et par m'assurer, » au moyen de recherches historiques, de l'ordre dans lequel s'étaient faites les découvertes qui les avaient en>> richies. Pour acquérir ces connaissances, je ne me suis » pas borné à des recherches dans les bibliothèques; j'ai » recommencé mon éducation, j'ai suivi les cours des pro>> fesseurs les plus célèbres; j'ai pris domicile en face de » l'École polytechnique; je me suis lié d'amitié avec plu

« PreviousContinue »