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Cette communauté était, du reste, envisagée comme un régime essentiellement passager. L'église naissante de Jérusalem se trouvait dans une situation tout exceptionnelle. Ses membres avaient entendu la parole du Sauveur; ils avaient assisté à sa mort, ils avaient vu couler son sang

que personæ libertas arbitrii relicta sit; puis il ajoute : « Ananie et Saphire >> furent condamnés parce que, après avoir fait vœu de remettre leurs biens >> aux apôtres, ils agirent comme si ces biens n'avaient pas cessé de leur ap>> partenir, tandis qu'ils appartenaient à celui à qui ils s'étaient engagés à » les remettre. Ils gardèrent le bien d'autrui par cette crainte de la misère » que le vrai chrétien ne doit jamais concevoir, et par là ils méritèrent leur >> châtiment (OEuvres de St Jérôme, IV, p. 792, éd. des Bénédictins. Comp. Deuteronome, XXIII, 21, 22, 23). »

St Jean-Chrysostôme donne la même interprétation aux paroles de St Luc. << Remarquons, dit-il, qu'Ananie est accusé pour avoir dérobé une partie de >> l'argent qu'il avait consacré. L'apôtre lui dit : Est-ce que, après avoir >> vendu, vous ne pouviez pas disposer du prix comme de votre propriété? En >> avez-vous été empêché? Pourquoi donc dérobez-vous après avoir volontai>>rement promis? Nous ne vous avions donné ni l'ordre de vendre ni celui » de nous remettre le prix: vous l'avez fait de votre propre mouvement. >> Pourquoi donc dérobez-vous l'argent devenu sacré... Vous vouliez être pro>> priétaire? Mais vous n'aviez qu'à conserver votre bien et à ne rien promet>> tre. En le dérobant, après l'avoir consacré, vous avez commis up grand » sacrilége... Il vous était permis de garder ce qui était à vous... Votre action » est indigne de pardon, elle est sans excuse (S. Chrys. in Act. apost. » Hom. XII). »

Au témoignage des Pères on peut ajouter l'avis de plusieurs auteurs qui, en cette matière surtout, ne sauraient être suspects de partialité en faveur du christianisme. Gibbon (cité par Moreau-Christophe, T. II, p. 261 ) et Salvador (Jésus et sa doctrine, II, p. 221) reconnaissent que la communauté de Jérusalem n'eut qu'une durée éphémère et qu'elle ne fut jamais un fait général dans l'église primitive. Morus (Utopie, p. 342 et 343, trad. de Guedeville, éd. de 1715) fait le même aveu.

divin; ils savaient que la bonne nouvelle devait être annoncée à toutes les nations. Pleins d'ardeur et de foi, entourés d'ennemis implacables, ils avaient perdu de vue les intérêts de la terre, pour s'occuper uniquement de la mission divine que Jésus-Christ avait confiée à ses disciples. Appelés à régénérer la terre, ils voulaient, d'un côté, se dégager des soucis de la vie matérielle, de l'autre, fournir aux besoins de ceux qui se consacraient à la prédication et aux travaux de l'apostolat. Les apôtres ne prêtaient point à intérêt, ils n'achetaient point de terres, les capitaux restaient improductifs dans leurs mains, et chaque distribution amoindrissait le trésor de la communauté. Comment un tel régime eût-il pu être adopté comme l'état normal d'une Église qui, comme l'affirment les apôtres, devait subsister jusqu'à la consommation des siècles et abriter dans son sein tous les peuples de la terre (1)?

Ainsi que l'a très-bien dit Fleury, « la.vie commune » était une pratique singulière de cette première église de » Jérusalem, convenable aux personnes et au temps (2). »

Si les communistes du xixe siècle étaient un peu moins présomptueux et un peu plus instruits, ils sauraient que l'étrange doctrine qu'ils ont remise au jour était déjà connue du temps des apôtres. Alors déjà on rencontrait des hommes qui, dénaturant le but et méconnaissant l'origine de la communauté de Jérusalem, voulaient le communisme permanent, comme M. Cabet, et la liberté amoureuse, comme Fourier. Connus sous le nom de Nicolaïtes, ils disaient, eux, que la propriété était incompatible avec la charité, et que tout devait être commun entre les Frères régénérés par le baptême. Or, de quelle manière les Apô

(1) V. la note 3 à la p. 97.

(2) Mœurs des Chrétiens, III.

tres, ces prétendus communistes de Jérusalem, accueillirent-ils cette doctrine commode? Virent-ils des coreligionnaires dans les sectaires qui l'avaient inventée et propagée ? Loin de là: ils les exclurent de l'Église et condamnèrent hautement leurs erreurs. « Il s'est glissé parmi nous, dit » un apôtre, certains impies qui changent la grâce de notre » Dieu en une licence de dissolution (1). » « Vous avez ceci » de bon, écrit saint Jean aux chrétiens d'Éphèse, « vous › avez ceci de bon, que vous haïssez les Nicolaïtes, comme je les hais moi-même (2). »

Ces faits si caractéristiques et si significatifs, cette protestation solennelle des apôtres qui avaient présidé à l'établissement de la communauté de Jérusalem, doivent fermer la bouche aux détracteurs des premiers chrétiens. Ils font ressortir, à la dernière évidence, le caractère passager qu'on avait attaché au régime adopté dans la ville sainte. En repoussant les Nicolaïtes du sein de l'Église, les premiers disciples du Christ ont assez prouvé que l'idée d'abolir la propriété individuelle n'avait jamais été émise par les apôtres. Aussi la communauté de Jérusalem n'eut-elle qu'une durée éphémère. Elle disparut avec les circonstances exceptionnelles qui l'avaient motivée, elle ne fut jamais un fait général dans l'Église primitive (3).

Nous possédons les lettres que les apôtres adressaient aux églises naissantes, et nulle part ces documents, si remplis de charité et de foi, ne renferment une seule insinuation contre la légitimité de la propriété, une seule recommandation en faveur du communisme.

(1) Épître de saint Jude, 4.

(2) Apocalypse, II, 6, 14 et 15. On croit que saint Pierre, épître II, chap. II, indique les mêmes hérétiques.

(3) V. la note 2 à la page 93.

Saint Paul écrit à Timothée : « Ordonnez aux riches de » ce monde de n'être point orgueilleux, de ne point mettre > leur confiance dans les richesses incertaines et périssa»bles..., d'être charitables et bienfaisants, de se rendre riches > en bonnes œuvres, de donner l'aumône de bon cœur... (1). » Le même saint, youlant stimuler la charité des chrétiens de Corinthe, leur écrit : « Comme vous êtes riches en > toutes choses, en foi, en éloquence, en sciences, en > toutes sortes de soins et en l'affection que vous me por> tez, soyez-le aussi en cette sorte de grâce (la charité); » ce que je ne vous dis pas néanmoins pour vous imposer » une loi, mais seulement pour vous porter, par l'exemple › de l'ardeur des autres, à donner des preuves de votre > charité sincère... C'est ici un conseil que je vous donne, > parce que cela vous est utile... Ainsi, que chacun donne > ce qu'il aura résolu en lui-même de donner, non avec > tristesse ni comme par force; car Dieu aime celui qui » donne avec joie (2). »

Ainsi l'aumône serait libre et volontaire, et la communauté serait obligatoire (3)!

Saint Pierre, saint Jean, saint Jacques et saint Jude pro

(1) Epître I, VI, 17.

(2) Épître II, VIII, 8 et 10; IX, 7.

(3) Le langage de St Paul me semble d'autant plus décisif que c'est précisément en faveur des chrétiens de Jérusalem qu'il ne cesse de recueillir des aumônes. << Quant aux aumônes qu'on recueille pour les saints, faites la >> même chose que j'ai ordonnée aux Églises de Galatie (I Cor. XVI, 1). — » Il est inutile de vous écrire davantage touchant l'assistance qu'on prépare >> aux saints de Jérusalem... (II Cor., VIII, 1 et s.; IX, 1). — Je m'en vais à » Jérusalem porter quelques aumônes aux saints (Rom. XV, 25 ). » L'apôtre demandait l'aumône, il recommandait l'exercice de la charité : il n'imposait pas le communisme.

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fessent, à l'égard des devoirs imposés au riche, la même doctrine que saint Paul. Dans toutes les églises, on avait introduit l'usage de faire des collectes en faveur des frères pauvres et souffrants, mais les dons étaient purement volontaires; et les docteurs de l'Église nous apprennent que cet usage, après la mort des apôtres, s'était maintenu avec son caractère primitif. « Après la célébration des mystères, » dit l'auteur de la lettre à Diognète, ceux qui sont riches » donnent librement ce qu'ils veulent, et leurs aumônes sont » déposées entre les mains de celui qui préside l'assem» blée (1).» «Chacun, ajoute Tertullien, apporte tous les mois > son modique tribut, lorsqu'il le veut, s'il le peut, et dans la » mesure de ses moyens; personne n'y est obligé, et rien n'est » plus libre, plus volontaire, que cette contribution (2). D

Tous les devoirs de l'homme, toutes les obligations du citoyen, toutes les situations de la vie sont prévus et réglés dans les lettres des apôtres qui nous sont parvenues. Elles déterminent les droits et les devoirs du souverain (3), du citoyen (4), du prêtre (5), du père de famille (6), de l'époux (7), de la femme (8), de l'enfant (9), du maître (10),

(1) Épître à Diognète, V. C'est à tort que cette lettre a été attribuée à

saint Justin.

(2) Apol., XXXIX.

(5) Paul. ad Rom. XIII, 1-5. — I. Petr. II, 13-17.

(4) Paul. ad Rom. XIII, 7; ad Tit. III, 1. — 1 Petr., II, 13, 14, 17.

(5) I Paul. ad Tim., III, 1-13; I ad Corint. IV, 1, 2; ad Tit. 1, 5-9.

(6) Paul. ad Ephes. VI, 4; ad Coloss. III, 21.

(7) Paul. I ad Corint., VII, 1-17; ad Ephes. V, 25-30; ad Coloss. III, 49. -I Petr. III, 7-9.

-

(8) Paul. ad Ephes. V, 22, 23, 24; ad Coloss. III, 18. — I Petr. III, 1-6. (9) Paul. ad Ephes. VI, 1, 2; ad Coloss. III, 2 ,20.

(10) Paul. ad Philemon., 15, 16; ad Ephes. VI, 9; ad Coloss. IV, 1.

Jac. V, 4.

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