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Les vieillards et les mères de famille. « Toi, qui d'Emile et de Sophie

Dessinas les traits ingénus,

Qui de la nature avilie
Rétablis les droits méconnus;

Éclaire nos fils et nos filles,

Forme aux vertus leurs jeunes cœurs,

Et rends heureuses nos familles

Par l'amour des lois et des mœurs. >>

Le chœur.

«O Rousseau! modèle des sages,

Bienfaiteur de l'Humanité,

D'un peuple fier et libre accepte les hommages, Et du fond du tombeau soutiens l'égalité. »

Les représentants du peuple.

«Ta main de la terre captive

Brisant les fers longtemps sacrés,
De sa liberté primitive

Trouva les titres égarés;

Le peuple, s'armant de la foudre

Et de ce contrat solennel,

Sur les débris des rois en poudre

A posé son trône éternel. »

Les jeunes gens.
Combats toujours la tyrannie,
Que fait trembler ton souvenir;
La mort n'atteint pas ton génie,
Ce flambeau luit pour l'avenir.
Ses clartés pures et fécondes
Ont ranimé la terre en deuil;

Et la France, au nom des deux mondes,

Répand des fleurs sur ton cercueil ! >>

F.

CONSPIRATION DE BABOEUF

(Supplément au chap. VIII.)

I.

BUONAROTTI EN BELGIQUE.

Ayant réussi à se soustraire aux recherches de la police du Directoire, Buonarotti, l'historien de la secte des Égaux et l'un des principaux complices de Babœuf, avait fini, après de longues pérégrinations, par trouver un asile en Belgique. Une personne honorable, qui a particulièrement connu le personnage, a bien voulu me communiquer, sur son séjour dans notre pays, quelques détails précis qu'on lira avec intérêt.

A la fin de 1829 ou au commencement de 1830, Buonarotti vint s'établir à Glimes, près de Jodoigne. Sortant rarement de sa retraite, il entretenait néanmoins une correspondance suivie avec les républicains français et belges. On a remarqué que ceux-ci lui faisaient souvent des envois d'argent. Des personnes qui l'ont connu à Glimes affirment même, de la manière la plus positive, que Buonarotti a été plus d'une fois informé d'avance des attentats dirigés contre la vie du roi Louis-Philippe.

Quand, à de longs intervalles, ce communiste incorrigible sortait de sa retraite, il se plaisait à faire de la propagande égalitaire auprès de tous ceux qu'il connaissait, et plus d'une fois il réussit à endoctriner des personnes simples. Un jour,

il s'avisa même de s'adresser au curé du village; mais ce respectable prêtre, aussi instruit que modeste, lui répondit par les paroles du Psalmiste (psaume 140): Corripiet me justus in misericordia et increpabit me; oleum autem peccatoris non impinguet caput meum. Buonarotti comprit la leçon il ne s'adressa plus au curé; mais, dès ce moment, il s'attacha à combattre son influence morale dans la commune, en le dépeignant comme un homme astucieux et dangereux.

:

Peu de temps après, Buonarotti poussa quelques habitants de Glimes à demander le partage des biens communaux. N'ayant pas réussi dans cette tentative, il s'en vengea en accusant les notabilités du village de s'être frauduleusement emparées de certaines terres communales au détriment du peuple. Ce fut son dernier exploit. Il mourut le 17 septembre 1855. Au commencement de son agonie, il avait réclamé les consolations de la religion; malheureusement, le curé de la commune, qui s'était empressé d'accourir, ne trouva plus qu'un cadavre. L'année précédente, Buonarotti avait publié à Namur, sous le pseudonyme, une brochure intitulée : La Conférence de Londres et les vingt-quatre articles.

On ignore pour quel motif l'historien des Égaux avait eu soin de changer de nom en arrivant à Glimes. Toujours est-il que Buonarotti s'était fait inscrire au registre de la population sous le nom de Jean-Alexandre de Civilis, né à Ferrare. Il semble même que ce déguisement ne lui suffisait pas, puisque, dans les environs de Jodoigne, il se faisait nommer M. Pisard (Pisan?).

Son acte de décès le désigne sous le nom de Civilis. Comme il s'agit d'un personnage historique, dont les dernières années sont peu connues, il n'est peut-être pas inutile de reproduire ce document. L'acte est conçu dans les termes suivants :

« L'an mil huit cent trente-cinq, le dix-sept du mois de septembre, à six heures du matin, par-devant nous Jean-Joseph Naniot, officier de l'état civil de la commune de Glimes, sont comparus Hubert-Joseph Anciaux, âgé de septante-trois ans, profession de propriétaire, domicilié à Glimes, non parent du défunt, et Joseph Herson, âgé de cinquante ans, profession de farinier, domicilié à Glimes, non parent du défunt, lesquels nous ont déclaré que, cejourd'hui à trois heures du matin, est décédé en la demeure du premier comparant, audit Glimes, un individu se disant JEAN-ALEXANDRE DE CIVILIS, de Ferrare en Italie, âgé d'environ soixante ans ; et ont les déclarants signé avec nous le présent acte, après que lecture leur en a été faite. (Signé) H.-J. Anciaux, Herson et J.-J. Naniot, Bure. »

J'ai quelques raisons de croire que, sous le gouvernement hollandais, Buonarotti avait cherché à jouer un rôle dans le mouvement national qui agitait alors la Belgique. Si mes souvenirs sont fidèles, son nom se trouve cité dans la correspondance de MM. Tielemans et de Potter, publiée par l'administration néerlandaise.

On sait que ce fut en 1829 que Buonarotti, alors réfugié à Bruxelles, publia l'histoire dont j'ai cité le titre (p. 322). La préface du livre, tout en révélant une circonstance curieuse, prouve que ce n'est pas sans raison que j'ai donné à l'auteur la qualification de communiste incorrigible. Après un exil de trente ans, l'ami de Babœuf avait conservé toutes les passions démocratiques, toutes les illusions de sa jeunesse. « Je n'ignore pas, dit-il dans la préface, que les principes politiques et économiques que j'ai dû exposer rencontreront beaucoup de désapprobation; mais ce n'est pas une raison pour ne pas les publier: tant d'autres prétendues erreurs sont devenues des vérités incontestables! N'estil pas d'ailleurs des hommes qui ne se laissent pas éblouir

:

par le clinquant de la société civilisée et par les systèmes prônés par ceux qui s'arrogent le droit de diriger l'opinion? Ces hommes apprécieront peut-être l'importance de ces principes et donneront quelques regrets à la mémoire des citoyens courageux qui, pénétrés de leur justice et fiers d'exposer leur vie pour les soutenir, les scellèrent enfin de leur sang.-Fortement lié à eux par la conformité de nos sentiments, je partageai leur conviction et leurs efforts; et si nous nous trompions, notre erreur était complète ils y persévérèrent jusqu'au tombeau; et moi, après y avoir longtemps réfléchi, je suis demeuré convaincu que cette égalité qu'ils chérissaient est la seule institution propre à concilier tous les vrais besoins, à bien diriger les passions utiles et à donner à la société une forme libre, paisible, heureuse et durable. Un moment avant notre condamnation, Baboeuf et Darthé reçurent de moi, sur les bancs de la haute cour de Vendôme, devant la hache aristocratique qui allait les frapper, la promesse de venger leur mémoire en publiant un récit exact de nos intentions communes, que l'esprit de parti avait si étrangement défigurées; près du terme de la vie, je m'acquitte de cette obligation, que la prison et mille autres obstacles m'ont empêché de remplir plus tôt. »

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Aujourd'hui encore, le nom de Buonarotti est en grande vénération dans le camp communiste. Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un coup d'œil sur les pages 517 et suivantes du Voyage en Icarie (édition de 1848).

II.

BABOEUF ET LOUIS BLANC.

Nous aurons plus d'une fois l'occasion de signaler la pa

T. 1.

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