Page images
PDF
EPUB

que le chapitre d'Utrecht, dans la lettre précitée, impute à Manassès :

« Le maréchal ferrant Manassès, imitant l'exemple de son > coupable maitre (exemplo nequissimi magistri), avait > institué, sous l'appellation vulgaire de gilde, une confrérie » dans laquelle douze hommes représentaient les apôtres, > tandis qu'une femme figurait la sainte Vierge : celle-ci > les suivait dans leurs voyages se livrant tour à

> tour à chacun d'eux. »

:

Certes, voilà bien le gnosticisme et cependant Manassès était l'ami, le compagnon de Tanquelinus!

Reprenons le récit.

Malgré la surveillance des officiers de l'archevêque de Cologne, Tanquelinus réussit à s'échapper de sa prison. Il revint à Anvers (1113) et reprit, avec le même succès, ses prédications et ses manoeuvres. Ce fut même alors qu'il réussit à se procurer la petite armée qui lui servait de garde.

Pendant deux années, les choses continuèrent à aller à souhait. Aussi longtemps que Godefroid le Barbu avait eu besoin de toutes ses forces pour lutter contre le duc de Limbourg et les seigneurs de Malines, il s'était refusé à intervenir entre les catholiques d'Anvers et leurs oppresseurs; mais il n'en fut plus de même lorsque, en 1115, il put enfin s'occuper de la situation intérieure de ses États. Avant de licencier son armée, il fit prononcer un arrêt de bannissement contre Tanquelinus, et celui-ci, désespérant de la lutte, se déguisa et s'embarqua sur un petit navire qui descendait l'Escaut. Un Anversois fervent (vir zelosus), passager sur le même bâtiment, le reconnut et le tua à coups de bâton.

La paix ne fut pas immédiatement rendue à l'Église d'Anvers. Sept ans après la mort de l'hérésiarque, Burchard,

évêque de Cambrai, y envoya saint Norbert et plusieurs de ses religieux, avec la mission spéciale d'extirper les doctrines hétérodoxes qui s'étaient conservées parmi la bourgeoisie et le peuple (1).

(1) Heylen rapporte les vers suivants, rimés à cette occasion : Dat Amandus had begonst,

Dat Eligius had geplant,

Besproyede Willibord' t' allen kant :

Dat Tanquelinus had gevelt

Dat heeft Norbertus weer hersteld.

D.

L'UTOPIE ET LES POÊTES BELGES DU XVIe SIÈCLE.

J'ai appelé l'attention du lecteur sur l'enthousiasme avec lequel les savants de la Renaissance accueillirent l'Utopie de Morus (voy. p. 213).

La Belgique ne resta pas en arrière. Elle possédait alors deux littérateurs distingués, Jean Paludan et Corneille Graphée (1). L'un et l'autre payèrent un tribut poétique à Morus.

(1) PALUDAN (Demarais ou Dumarais) était né à Cassel et occupait à l'université de Louvain une chaire de rhétorique. Il ne faut pas le confondre avec trois autres personnages, dont le nom vulgaire était Vanden Broeck, et qui avaient pris celui de Paludanus dans la république des lettres.

Paludan était l'ami intime d'Erasme. Dans une de ses lettres, le savant hollandais lui adresse l'éloge qu'Horace avait inventé pour Mécène : vir utriusque linguæ peritus. C'est à lui que Gérard Lystrius dédia son édition de l'Encomium Moriæ. Il mourut à Louvain, le 20 février 1525. M. le baron de Reiffenberg lui a consacré une intéressante notice dans les Nouveaux Mémoires de l'Académie de Bruxelles, t. VII (1832), p. 79 et suiv.

En transmettant à Pierre Gilles (voy. la note suiv.) les vers que j'ai reproduits, Paludan se plaint amèrement de l'indifférence des Belges du XVIe siècle pour les études littéraires et philosophiques. Sa lettre se trouve en tête de toutes les éditions latines de l'Utopic (Voy. entre autres l'édition in-folio de Louvain, Bogard, 1565).

CORNEILLE GRAPHÉE ou Scribonius (de Schryver), humaniste distingué du xvi siècle, était greffier ou secrétaire de la ville d'Anvers. Il avait

Paludan envoya à P. Gilles (1) les vers suivants, avec prière de les placer en tête de l'Utopie.

Forteis Roma dedit, dedit et laudata disertos

Græcia, frugales inclyta Sparta dedit.
Massilia integros dedit, at Germania duros.
Comes ac lepidos Attica terra dedit.

Gallica clara pios, quondam dedit Africa cautos.
Munificos olim terra Britanna dedit.
Virtutum ex aliis aliarum exempla petuntur
Gentibus, et quod huic desit, huic superat.
Una semel totam summam totius honesti
Insula terrigenis Utopiana dedit (2)

Voici le contingent de Graphée :

Vis nova monstra, novo dudum nunc orbe reperto?

obtenu cet emploi en 1533, après la mort de Pierre Gilles, le savant ami de Morus.

Graphée a laissé plusieurs ouvrages intéressants. M. Paquot en donne la liste à la suite de la biographie de l'auteur (Voy. Mémoires pour servir à l'Hist. litt. des Pays-Bas, t. IV, p. 187).

Né à Alost en 1482, il mourut à Anvers le 19 décembre 1558.

(1) Pierre Gilles, secrétaire de la ville d'Anvers, jouissait d'une grande réputation auprès des savants de son siècle. C'était à lui que Morus avait confié la mission de faire imprimer l'Utopie chez Thierry d'Alost, imprimeur de l'université de Louvain (Voy. ci-dessus, p. 205, en note,)

(2) « Rome produisit les vaillants; la Grèce, à jamais digne d'éloges, brilla par ses sages, et la celèbre Sparte s'illustra par la sobriété de ses enfants. Marseille produisit des hommes vertueux, et la race germanique se distingua par sa constance. La terre d'Attique donna des hommes gracieux et affables. La France s'est illustrée par la piété, l'Afrique par sa prudence, l'Angleterre par la noble bienfaisance de ses habitants. Ainsi les peuples se donnent respectivement des exemples de vertus, et l'un abonde de ce qui fait défaut à l'autre. Seule, l'île d'Utopie donne aux mortels le spectacle de toutes les vertus réunies. >>

Vivendi varia vis ratione modos?

Vis qui virtutum fontes? vis unde malorum
Principia? et quantum rebus inane latet?

Hæc lege, quæ vario Morus dedit ille colore,
Morus Londinæ nobilitatis honos (1).

(1) « Veux-tu connaître de nouveaux phénomènes, recemment découverts dans un autre monde? Veux-tu apprendre de nouvelles manières de vivre? Veux-tu découvrir les sources des vertus? Aspires-tu à connaître les principes du mal? Veux-tu savoir le néant de toutes choses? Lis ce que te présente, sous des couleurs variées, Morus, l'honneur de la noblesse de Londres. >>

« PreviousContinue »